Ce désastre a
mobilisé la communauté internationale. On a visé dix milliards de dollars pour
la reconstruction. La moitié de ce montant a été recueillie jusqu’à date. Nous
parlons de 5, 6 milliards de dollars. C’est en y faisant allusion que plusieurs
claironnent incessamment qu’Haïti a reçu des milliards de dollars pour la
reconstruction et que rien n’est fait présentement pour améliorer le sort de la
population. Il ne serait pas inutile d’apporter quelques nuances à cette
critique partiellement justifiée.
Dans une large
mesure, c’est vrai que les effets des 5, 6 milliards de la reconstruction sont
presqu’invisibles. Mais le crier trop fort, sans entrer dans certains détails,
peut aussi être un acte de mauvaise foi. Nous avons constaté, en effet, que sur
un total de 500 millions de dollars prévus pour des contrats de
construction, plus de 350 millions ont
été alloués par l’Etat haïtien de manière douteuse. L’heureux bénéficiaire de ces contrats, M.
Félix Ramon Bautista, est un citoyen dominicain, sénateur de San Juan de la Maguana.
Il est membre du PLD, au pouvoir depuis huit ans. Il a fait de la prison dans
son pays en l’an 2000 pour cause de détournement de fonds publics. L’ex-
président dominicain (2000-2004), l’agronome Hipolito Mejia membre du PRD qui
était à la tête du pays lors de l’emprisonnement de M. Félix Bautista, a
déclaré, il y a deux mois, dans une entrevue sur la chaine 11 de la télévision
locale, telenoticias 11, que M. Félix Bautista est tellement corrompu
qu’« il a exporté la corruption et le vol vers Haïti ». Cette affirmation risquerait fort d’être
taxée de politique, si Nuria Piera, une journaliste dominicaine n’avait pas
réalisé un travail méticuleux d’investigation pour retracer la trajectoire des
plus de 350 millions de dollars de la reconstruction d’Haïti confiés aux trois
compagnies de construction appartenant à Félix Ramon Bautista. Ces recherches
qui s’étalent sur plusieurs années, notamment 2010-2012, ont établi, copies de
chèques et signatures à l’appui, que des millions de dollars de ces contrats
sans appel d’offres, ont servi à financer des campagnes électorales et à
enrichir des politiciens en Haïti et en République dominicaine. L’ex-premier
ministre haïtien, Gary Conille, pour avoir agité le doigt dans cette même plaie
béante de la corruption, grâce à un audit des dépenses publiques dans le cadre
de la reconstruction, a été de manière mystérieuse mais rapide écarté du
pouvoir en Haïti.
Mais ne nous y
méprenons pas, il n’y a pas que les autorités haïtiennes qui affichent dans
cette affaire une gestion nébuleuse. Certes, ces dernières n’ont plus la force
morale nécessaire pour intervenir, dissiper les doutes sur la demi-vérité
galvaudée par ceux qui prétendent qu’Haïti a reçu des milliards pour la
reconstruction. Cependant la somme qui expose le manque de délicatesse des
gouvernements haïtiens ne représente que la dixième partie des 5, 6 milliards
de dollars disponibles. Qu’a-t-on fait de la différence ?
Tout le monde sait
qu’une nuée d’ONG fonctionnait en Haïti avant, pendant et après le tremblement
de terre de janvier 2010. Ce n’est pas par hasard que les mauvaises langues ont
rebaptisé ce pays « la République des ONG ». Mais ce qui échappe à la
majorité des observateurs, c’est que même le gouvernement à peine fonctionnel
d’Haïti ignore combien d’ONG opèrent sur son territoire. Les chiffres avancés
jusqu'à présent vont de 256, selon le ministère de l’économie à 481, selon le
ministère de la planification et de la coopération externe. Si cela ne suffit
pas à donner une idée du niveau moral du gouvernement ou des gouvernements
haïtiens, rien ne pourra jamais le faire. En attendant que ces ministères se
mettent d’accord, retenons que, sur un échantillon de 196 ONG, huit seulement
ont consenti à publier des rapports de leurs activités, d’après le Disaster Accountability Project1. Et
c’est à cet ensemble hétéroclite d’ONG que trois milliards de dollars ont été
confiés dans le cadre de la reconstruction d’Haïti. Et de la même source2 nous
apprenons que l’Agence Interaméricaine de Développement (USAID) administre un
milliard de dollars de ces fonds. Et sa gestion laisse autant à désirer que
celle des nombreuses ONG déjà mentionnées. La preuve, 1 % seulement de tous les
contrats attribués par cet organisme international, soit l’équivalent de 9 millions
de dollars, a été alloué à des entreprises locales, haïtiennes. Le reste
retourne aux Etats-Unis pour être confié à des firmes appartenant à ce qu’on
appelle de l’autre côté de la frontière canadienne le Beltway où s’agglutinent
des contractants de Washington DC, de Maryland et de la Virginie. Il s’agit
d’un cercle restreint de lobbyistes qui n’ont en vue que leurs propres profits.
Et voilà comment on prétend écarter le spectre de la misère dans un pays au bord
du précipice.
1. L’édition en ligne du Nouvelliste du 17 juin 2012
2. Idem.