D’abord, qu’est-ce que la démocratie ?
Jean-Jacques Rousseau en découvre l’essence dans l’aliénation volontaire de la
liberté individuelle en faveur de règles équitablement appliquées au sein d’une
collectivité. Comment nous convaincre de la justesse d’une telle
définition ? En rappelant tout simplement que personne n’a encore conçu un
style de gouvernement plus recommandable pour le remplacer. Au contraire, tous
les régimes, mêmes les plus oppressifs, en appellent à la démocratie pour plaider leur cause. Le terme même de
démocratie est devenu un symbole triomphant, mais aussi un prétexte pour essayer
de justifier toutes les atrocités. C’est l’apparence derrière laquelle on tend
à camoufler tous les pièges. La bonne intention dont est pavé l’enfer. Qu’on se
souvienne du pléonasme « démocraties populaires » appliqué aux
régimes communistes d’après la Seconde Guerre. C’est dans cette même logique
que s’inscrit, par exemple, la République démocratique allemande… communiste.
Comme si un simple mot pouvait effacer tous les crimes !
La semaine dernière, nous avons assisté
stupéfaits à la chute, au Paraguay, du gouvernement démocratique de l’évêque
catholique Fernando Lugo. Grâce à son élection en 2008, il avait mis fin à une
suite interminable de dictatures dont celle d’Alfredo Stroessner, la plus
longue, qui avait duré 34 ans. Un record qui a été presque battu par Trujillo
en République dominicaine (31 ans) et les Duvalier en Haïti (29 ans).
Revenons à Stroessner ! Hormis ses
innombrables assassinats, il était connu aussi pour avoir hébergé des criminels
nazis, au Paraguay, parmi lesquels le docteur de la mort, Joseph Mengele. C’est
dans ce pays que Fernando Lugo, élu par une vaste coalition de partis et de
mouvements politiques, s’était fixé une double priorité. Réformer le système de
santé et résoudre le problème des titres des terres dont s’étaient emparés les
grands propriétaires. Dans le premier cas, le nouveau président paraguayen
avait reçu l’appui de ses alliés et du parlement. Dans le deuxième, comme on
peut déjà l’anticiper, il ne pouvait compter ni sur les uns ni sur les autres.
Est-ce, d’ailleurs, un secret que les problèmes agraires, en Amérique latine,
ont provoqué à travers l’histoire la chute de plus d’un gouvernement ?
C’est qu’il est très difficile de forcer des gens qui ont vécu de
l’exploitation éhontée de leurs concitoyens, pendant si longtemps, à renoncer
brusquement à leurs privilèges. Pour ceux qui ont toujours vécu de rapines et
refusent le partage équitable des biens de l’Etat, le statu quo est sacré. La
destitution de « l’évêque des pauvres », comme on appelait Fernando
Lugo, fait suite, précisément, à une intervention musclée de la police dans un
conflit d’invasion de terrain, le 15 juin dernier. 11 civils et 6 policiers ont
perdu la vie dans l’incident. Sous couvert d’une mauvaise gestion de la crise
par le président, le Sénat a pris l’initiative de cette mesure extrême, un an
seulement avant la fin de son mandat commencé en 2008.
La démocratie bafouée une fois de plus !
Mais ne commettons point l’excès de croire que ces contorsions politiques
obscènes, destinées à corrompre la démocratie sont l’apanage exclusif des pays
sous-développés.
Certes, à l’exception du Brésil qui, en 2011, a
déplacé le Royaume-Uni pour devenir la 6e puissance économique
mondiale, il suffirait de faire un petit tour dans le continent pour constater
jusqu'à quel point la démocratie se détériore. Certes il y a encore de l’espoir
avec des pays comme le Chili, l’Argentine, le Costa Rica, le Mexique, et, même
la Colombie, où la guérilla fait tout pour imposer ses propres lois. Mais la
démocratie se porte très mal au Venezuela, en République dominicaine et en
Haïti. Quant à la Bolivie où 60 % de la population est indigène et vivent sous
le seuil de pauvreté, il y a peu de mots pour la qualifier.
Dans le cas de tous les pays mentionnés,
« l’argent, le nerf de la guerre », est constamment présent. Les
multinationales, qui s’y alimentent de pétrole, de gaz naturel, de minerais de
bauxite, d’or, de diamant, entre autres, ont fait de la démocratie leur mot
d’ordre tout en reniant ce qui en fait la force : l’être humain. Voilà
pourquoi elles n’hésitent pas à pactiser avec les corrompus de ces pays, quand
elles ne les corrompent pas elles-mêmes, pour préserver leurs privilèges. C’est
sous leur influence que des parlementaires républicains, aux Etats-Unis,
militent pour la disparition de toute forme de régulation au sein des
institutions financières, cause principale de la faillite de plusieurs banques
et entreprises dans ce pays et dans le monde. D’après leur sophisme, le marché,
cette entité pourtant abstraite, abandonné à lui-même, peut s’autoréguler de
manière que tout aille toujours bien. Si par hasard il se présentait un
inconvénient : imposez l’austérité ! Réduisez les emplois !
Limitez les services ! Or nous avons vu le président Obama prendre
exactement le contrepied de cette théorie et réinvestir dans des industries
automobiles en faillite. Résultats ? Surprenants ! GM après avoir
perdu des milliards de dollars, pendant près de cinq ans, grâce à ces nouveaux
investissements, a recouvré sa première place dans le monde. Le plan Marshall qui
a investi 13 milliards de dollars pour la reconstruction d’une Europe qui ne
pouvait même plus payer ses dettes, n’a pas appliqué une méthode différente.
L’histoire nous en rappelle les effets bénéfiques. Le prix Nobel d’économie
américain, Paul Krugman, a démontré, en prenant l’Europe d’aujourd’hui comme
exemple à ne pas suivre, que ce n’est pas l’austérité fiscale, c’est son opposé
qui permet la récupération économique. Alors le Canada, ne s’est-il pas trompé
de modèle en suivant les derniers de classe tels que les pays européens et les
Républicains aux Etats-Unis ?
Face à un comportement comme celui des
Républicains aux Etats-Unis, on ne peut plus accepter, sans réserve, l’idée de
Tocqueville selon laquelle « l’Amérique présente l’exemple d’une
expérience chimiquement pure de la démocratie ». Ce système politique,
n’étant pas, comme il l’admet lui-même, « une fin de l’histoire », il
est appelé à se renouveler en permanence. Voilà pourquoi, contrairement à ce
qu’Alvin Toffler ou Francis Fukuyama semblent suggérer, la démocratie sociale
ou, si l’on préfère, « une société plus sage », n’est ni pour demain
ni pour après-demain. A moins que l’argent cesse de menacer de prendre la
parole à la place des citoyens, notamment des électeurs, dans les Etats américains
sous l’égide des Républicains.
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