Le roman
« Acide sulfurique » d’Amélie Nothomb, nous fait vivre un épisode
tragique dans la vie d’un groupe d’individus qui ont signé un contrat pour
participer à une émission à la télé. Cette dernière consiste à créer des scènes
suffisamment étranges et risquées pour retenir l’attention du public. Ce qui a
pour but d’en augmenter la popularité. Mais il n’y a pas de limite dans cette
recherche d’émotions fortes même si cela doit provoquer la mort d’un ou de
plusieurs participants. On a signé, on va jusqu’au bout. C’est la condition des investisseurs qui n’hésitent
pas à miser sur tous les tableaux. Or il se passe un phénomène incroyable. Quel
que soit le degré de répugnance inspirée par les scènes de ce jeu dangereux, le
public devient incapable de cesser de les regarder. Il le fait soit pour
s’indigner, soit pour critiquer, désapprouver ou souffrir. C’est comme une
drogue dont on n’ignore pas les effets pervers mais qu’il est difficile voire
impossible d’écarter de son chemin.
L’intoxication médiatique
infligée par certaines publicités et certaines propagandes mettra certes du
temps à se laisser évaluer avec précision. Mais les spécialistes de la
communication ne nous ont jamais caché certaines implications déterminantes de
ce phénomène sur la vie moderne. La prochaine campagne présidentielle qui n’a
même pas encore commencé aux Etats-Unis, nous en offre déjà un avant-gout.
C’est un observatoire privilégié pour juger des effets nocifs de la
désinformation sur l’existence de citoyens rarement préparés à l’affronter. Les
propagandistes républicains, fers de lance de la campagne d’un Mitt Romney qui
n’a pas froid aux yeux, nous font revivre le jeu périlleux décrit dans le roman
d’Amélie Nothomb, mais avec en prime une dose de cynisme. En effet, peut-il
exister dans un pays, phare de la démocratie dans le monde, une régression
aussi flagrante dans le domaine des devoirs civiques que de restreindre la
possibilité de voter de plusieurs millions de citoyens ? Peut-on concevoir
un meilleur exemple de masochisme que l’applaudissement ou même la simple
acceptation de la part des Républicaines de mesures aussi anachroniques que de
procéder à des examens vaginaux préalables pour décider si une femme peut avoir
ou non le droit de recourir à l’avortement ? Peut-on justifier dans un
environnement moral sain la nécessité d’augmenter les impôts sur le revenu des
démunis pour diminuer ceux des milliardaires sous prétexte qu’ils sont des
créateurs d’emplois ? Peut-on encore assister impassible aux
assassinats quotidiens de milliers de citoyens, dont de nombreux enfants, sans
aucun droit de critiquer impunément les fabricants d’armes ou la publicité
obscène qui vante les mérites de l’instrument qui sème la terreur et le deuil
au sein des familles américaines ?
Ce n’est pas faux
que partout, nous risquons de trouver des nationalistes obsédés qui, pour
camoufler leur ambition de pouvoir - car il n’est point de pays qui ne
souhaiterait être la première puissance du monde - font globalement des
Etats-Unis le royaume de l’arrogance et de la démesure. Ils ne réalisent pas
que dans leur mauvaise foi, ils forcent victimes et bourreaux à entrer dans le
même panier. Leur aveuglement total, pour ne pas dire leur manifestation
extrême d’ethnocentrisme, leur permet de s’abritent derrière l’amalgame même
s’ils sont les premiers à protester énergiquement quand on leur applique la
même médecine. Pourtant, il y a de la place pour une réaction plus rationnelle.
Elle consiste à dire les choses telles qu’elles se manifestent, sans concession
inutile mais sans fausse pudeur.
Dans cet ordre d’idées, pour montrer l’absence totale de scrupule de ceux qui font et défont les gouvernements dans le monde, y compris aux Etats-Unis, on n’a qu’à suivre l’itinéraire des millions qu’ils sont prêts à investir et les diverses raisons pour lesquelles ils le font. Veulent-ils fournir une assurance médicale aux millions de citoyens qui en sont encore privés ? Se prononcent-ils pour la modernisation des infrastructures qui crée des emplois et met fin à la disette qui déshumanise et détruit ceux qui n’ont commis qu’une imprudence : naitre dans un groupe minoritaire ? Finalement, sont-ils partisans d’attribuer à l’État la part qui lui revient dans les profits des citoyens et des institutions afin de justifier son existence ? Non ! Mille fois non ! L’objectif des investissements illimités des grandes compagnies pétrolières, de gaz et minières, des grandes banques et des compagnies pharmaceutiques, entre autres, consiste essentiellement, en plus de contaminer la planète et de réduire toute possibilité d’un rayonnement environnemental optimal, à alimenter les propagandes favorables à leur rapacité. Mais c’est aussi pour prendre en otage citoyens et gouvernements sous toutes les latitudes. À cette fin, ils ont conçu une nouvelle classe de mercenaires. Les mercenaires de la plume. Des instruments médiatiques prêts à vendre leur âme aux plus offrants. Puisque le travail est simple : jongler constamment avec la vérité pour jouer dans la tête des gens. Fussent-ils leur propre père, leur mère, leurs enfants ou leurs petits-enfants. Le lien de convergence des valeurs des Républicains et celles de ces Multinationales meurtrières n'est plus à démontrer. Dans de telles circonstances, nous n’avons pas d’argument pour faire mentir Giambattista Vico en démontrant que l’humanité ayant accédé à la civilisation, elle n’est pas prête à revenir en arrière, à retourner vers la barbarie ?
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