Quand certaines religions recommandent à ce peuple incapable de se nourrir d’avoir autant d’enfants que lui donne le ciel - chaque enfant est censé naitre avec son pain sous le bras – elles abusent de l’autorité que leur confère la confiance presqu’aveugle de ces exclus. Les politiciens quant à eux réunissent les sans abri pour les haranguer et leur offrir du pain pour des applaudissements. Ils n’abusent pas moins de l’avantage que leur procure la résignation d’un peuple amputé de sa fierté.
En Haïti, il
existe plusieurs méthodes pour camoufler la vénalité, la médiocrité des
gouvernants. Voilà pourquoi certains comportements hautement répréhensibles,
certaines pratiques universellement condamnables y subsistent comme des
phénomènes naturels. C’est peut-être aussi un moyen sûr et efficace d’inspirer
la pitié et de forcer la main aux institutions de bienfaisance. Le vestige le
plus palpable de l’esclavage dans ce pays de « Négriers d’eux-mêmes »
(selon le titre du livre de Jean Casimir), ce sont les « restaveks ».
Ces enfants esclaves dont les parents trop pauvres pour s’en occuper, les confient
à d’autres plus fortunés. Ce système d’entraide appelé à fournir à l’enfant
l’occasion d’améliorer ses conditions d’existence atteint rarement l’objectif
visé. Ils sont tout simplement réduits en esclavage. Ce qui fait que ni
l’église, ni les politiciens, ni les familles aisées n’ont intérêt à voir
appliquer le contrôle de la natalité. Cette armée de citoyens de seconde
classe, en guenille, est nécessaire pour préserver certains intérêts. 10
millions d’habitants pour 28 000 kilomètres carrés. C’est beaucoup. Mais est-ce
suffisant ? Car « Il n’y a
point de héros sans auditoire ». André Malraux voyait juste. Le statu quo
est du côté des privilégiés. Vive la pauvreté !
Dans la Grèce
antique ainsi que plus tard à Rome, le héros était un personnage que l’on
pouvait rarement confondre avec le reste de la population. Sa personnalité était si clairement définie que l’histoire
ne laissait aucun doute sur son profil. Plus il coupait de têtes et déflorait
de femmes, plus sa réputation grandissait. Son devoir lui était dicté par une
tradition millénaire qui se moquait des frontières. Seul le camp auquel il
appartenait le distinguait d’un autre de sa catégorie. Pour le reste, Hector
n’était pas différent d’Achille, ni Prométhée de Zeus, encore moins les Horaces
des Curiaces. Dans l’Haïti d’aujourd’hui où la communication n’arrive pas
encore à dégourdir tous les esprits, où l’école est un luxe réservé à une élite
inconsciente de ses privilèges, peu de politiciens pensent à l’avenir en termes
collectifs. Il leur convient plutôt de maintenir et de protéger leurs
privilèges à tout prix. C’est pourquoi l’hydre de l’autoritarisme, cette
obscénité politique, étend ses tentacules sous des formes subtiles sur le dos
de toute une nation. Et plus que nulle part ailleurs, « l’homme (peut s’y
définir) un animal à mousquet » (Anatole France).
On a beau se
convaincre que l’humanité évolue, doit évoluer, que les méthodes de
gouvernement archaïques ont vécu, de telles constatations n’ont de réalité
qu’ailleurs. Elles sont récusées par les politiciens haïtiens. Les changements
ne semblent valides que sous d’autres latitudes. C’est sans doute pour en
retarder l’avènement que l’instruction aussi tarde à se démocratiser dans ce
pays caribéen. Ceux qui ont intérêt à ce que rien n’avance savent freiner le progrès
et perpétuer la misère pour continuer à construire leur bien-être sur les dépouilles
d’une population analphabète. Il faut en effet avoir sombré sous le poids d’une
misère intellectuelle et physique considérable pour perdre la capacité de réagir
à ce point.
L’ex-premier
ministre haïtien, Jean Max Bellerive n’hésite pas à affirmer avoir versé
plusieurs millions de dollars à une firme dominicaine pour la construction d’un
bâtiment devant loger le parlement. L’actuel premier ministre Laurent Lamothe nie
catégoriquement cette affirmation. Quelle autre société accueillerait une telle
contradiction sans exiger des explications ? Où sont les millions de dollars ainsi grossièrement
soustraits des fonds prévus pour la reconstruction ?
La compagnie
brésilienne responsable de la construction de la route Cayes-Jérémie vient de
résilier son contrat de 132 millions de dollars. Un projet financé par l’ACDI
et la BID. Pourquoi les autorités haïtiennes ne donnent-elles pas une
explication sur les raisons de cette décision ? Tout le monde sait que le
Brésil fait partie des meilleurs alliés d’Haïti dans sa lutte contre le
sous-développement. D’ailleurs, ceux qui parlent de remettre sur pied l’armée
d’Haïti - même si le pays n’est pas en guerre - ont prévu de s’adresser à
l’Equateur et au Brésil pour la nouvelle armée. Est-ce que les commissions
exigées aux Brésiliens, selon une vieille pratique des politiciens haïtiens,
dépassent le montant de leur propre devis ?
Haïti aura beau
parler de progrès, elle aura beau désirer ce progrès, ses possibilités d’y
accéder seront minces. Peu importent les efforts fournis par ceux qui
souhaitent sincèrement sa réhabilitation et sa réintégration au sein des
peuples civilisés. La mentalité prédatrice, proche de la piraterie et l’absence
totale de fierté de ses politiciens font de ceux qui placent leur confiance en
eux des naïfs. Un geste simple qui pourrait donner le ton de la volonté de
reconstruire le pays pourrait être la légalisation des titres de propriété,
l’établissement d’une structure cadastrale méticuleusement étudiée. C’est d’ailleurs
le premier gros handicap auquel se heurtent les acteurs de la reconstruction. C’est
vrai que cela limiterait la possibilité de dépouiller les paysans de leurs
terres, d’expulser arbitrairement au nom d’une déclaration douteuse d’utilité
publique, quiconque prétend être maitre de sa propriété. Voilà qui nous ramène
drôlement à 1804, l’année de l’indépendance d’Haïti. Rien n’appartenait à
personne. Mais tandis qu’un petit groupe très réduit s’emparait des terres, tous
allaient se sacrifier pour rembourser les 21 milliards de dollars réclamés par
la France pour dédommager ses colons.
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