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jeudi 9 août 2012

Haiti 2012 : le pays ou l'on marche à reculons

Haïti, c’est un galet terne et immobile au bord de la grande rivière en mouvements accélérés que représente le monde d’aujourd’hui! Tout change, tout bouge autour de ce pays. De nombreux gouvernements dans le monde s’accommodent très bien de ces transformations indispensables pour améliorer la vie de leurs citoyens. Mais en plein cœur des Caraïbes, à contrecourant de cette évolution généralisée, il y a un pays qui rétrograde depuis 208 ans. Malgré des alternances d’éclaircies et de nuages sombres, ces rares lueurs d’espoir n’ont généralement été monopolisées que pour le profit d’un petit groupe. Ce n’est pas par hasard que, l’analphabétisme aidant, les politiciens haïtiens préfèrent inviter leurs concitoyens à se réfugier dans un passé désuet, lointain, plutôt qu’à regarder l’avenir en face. L’histoire remplace la politique. Quel meilleur moyen d’asseoir la fiction d’un passé héroïque, figé dans le temps ?

 Il y a des mythes qui ne trompent pas tout le monde et qui ne trompent pas longtemps. Si plus de 50 pour 100  des citoyens de ce pays n’ont pas reçu le pain de l’instruction, ils ne sont pas bêtes pour autant. Ils savent ce qui leur convient. Le problème, c’est qu’ils n’ont pas le choix. Recourir au cliché qui voudrait qu’on a le gouvernement qu’on mérite, c’est assumer que les élections se déroulent toujours normalement. Or c’est rarement le cas. Chaque appel aux urnes représente un nouveau défi, une nouvelle aventure où seuls triomphent ceux qui savent frauder, impressionner, terroriser les foules. Cela veut dire une certaine catégorie d’électeurs, mais surtout certains membres des Conseils électoraux. C’est un jeu périlleux où l’intimidation et la peur constituent les pions les plus visibles de l’échiquier politique.

Quand certaines religions recommandent à ce peuple incapable de se nourrir d’avoir autant d’enfants que lui donne le ciel -  chaque enfant est censé naitre avec son pain sous le bras – elles abusent de l’autorité que leur confère la confiance presqu’aveugle de ces exclus. Les politiciens quant à eux réunissent les sans abri pour les haranguer et leur offrir du pain pour des applaudissements. Ils n’abusent pas moins de l’avantage que leur procure la résignation d’un  peuple amputé de sa fierté.

En Haïti, il existe plusieurs méthodes pour camoufler la vénalité, la médiocrité des gouvernants. Voilà pourquoi certains comportements hautement répréhensibles, certaines pratiques universellement condamnables y subsistent comme des phénomènes naturels. C’est peut-être aussi un moyen sûr et efficace d’inspirer la pitié et de forcer la main aux institutions de bienfaisance. Le vestige le plus palpable de l’esclavage dans ce pays de « Négriers d’eux-mêmes » (selon le titre du livre de Jean Casimir), ce sont les « restaveks ». Ces enfants esclaves dont les parents trop pauvres pour s’en occuper, les confient à d’autres plus fortunés. Ce système d’entraide appelé à fournir à l’enfant l’occasion d’améliorer ses conditions d’existence atteint rarement l’objectif visé. Ils sont tout simplement réduits en esclavage. Ce qui fait que ni l’église, ni les politiciens, ni les familles aisées n’ont intérêt à voir appliquer le contrôle de la natalité. Cette armée de citoyens de seconde classe, en guenille, est nécessaire pour préserver certains intérêts. 10 millions d’habitants pour 28 000 kilomètres carrés. C’est beaucoup. Mais est-ce suffisant ?  Car « Il n’y a point de héros sans auditoire ». André Malraux voyait juste. Le statu quo est du côté des privilégiés. Vive la pauvreté !

Dans la Grèce antique ainsi que plus tard à Rome, le héros était un personnage que l’on pouvait rarement confondre avec le reste de la population. Sa  personnalité était si clairement définie que l’histoire ne laissait aucun doute sur son profil. Plus il coupait de têtes et déflorait de femmes, plus sa réputation grandissait. Son devoir lui était dicté par une tradition millénaire qui se moquait des frontières. Seul le camp auquel il appartenait le distinguait d’un autre de sa catégorie. Pour le reste, Hector n’était pas différent d’Achille, ni Prométhée de Zeus, encore moins les Horaces des Curiaces. Dans l’Haïti d’aujourd’hui où la communication n’arrive pas encore à dégourdir tous les esprits, où l’école est un luxe réservé à une élite inconsciente de ses privilèges, peu de politiciens pensent à l’avenir en termes collectifs. Il leur convient plutôt de maintenir et de protéger leurs privilèges à tout prix. C’est pourquoi l’hydre de l’autoritarisme, cette obscénité politique, étend ses tentacules sous des formes subtiles sur le dos de toute une nation. Et plus que nulle part ailleurs, « l’homme (peut s’y définir) un animal à mousquet » (Anatole France).

On a beau se convaincre que l’humanité évolue, doit évoluer, que les méthodes de gouvernement archaïques ont vécu, de telles constatations n’ont de réalité qu’ailleurs. Elles sont récusées par les politiciens haïtiens. Les changements ne semblent valides que sous d’autres latitudes. C’est sans doute pour en retarder l’avènement que l’instruction aussi tarde à se démocratiser dans ce pays caribéen. Ceux qui ont intérêt à ce que rien n’avance savent freiner le progrès et perpétuer la misère pour continuer à construire leur bien-être sur les dépouilles d’une population analphabète. Il faut en effet avoir sombré sous le poids d’une misère intellectuelle et physique considérable pour perdre la capacité de réagir à ce point.

 En effet, les autorités de ce pays tapissé de déchets, des décombres du dernier tremblement de terre (2010), privé d’eau potable et où l’environnement s’est complètement dégradé,  parlent sans rougir du succès d’un soi disant « carnaval des fleurs » qui a paralysé les rares activités productives de ce pays du 29 au 31 juillet.  

L’ex-premier ministre haïtien, Jean Max Bellerive n’hésite pas à affirmer avoir versé plusieurs millions de dollars à une firme dominicaine pour la construction d’un bâtiment devant loger le parlement. L’actuel premier ministre Laurent Lamothe nie catégoriquement cette affirmation. Quelle autre société accueillerait une telle contradiction sans exiger des explications ?  Où sont les millions de dollars ainsi grossièrement soustraits des fonds prévus pour la reconstruction ?

La compagnie brésilienne responsable de la construction de la route Cayes-Jérémie vient de résilier son contrat de 132 millions de dollars. Un projet financé par l’ACDI et la BID. Pourquoi les autorités haïtiennes ne donnent-elles pas une explication sur les raisons de cette décision ? Tout le monde sait que le Brésil fait partie des meilleurs alliés d’Haïti dans sa lutte contre le sous-développement. D’ailleurs, ceux qui parlent de remettre sur pied l’armée d’Haïti - même si le pays n’est pas en guerre - ont prévu de s’adresser à l’Equateur et au Brésil pour la nouvelle armée. Est-ce que les commissions exigées aux Brésiliens, selon une vieille pratique des politiciens haïtiens, dépassent le montant de leur propre devis ?

Haïti aura beau parler de progrès, elle aura beau désirer ce progrès, ses possibilités d’y accéder seront minces. Peu importent les efforts fournis par ceux qui souhaitent sincèrement sa réhabilitation et sa réintégration au sein des peuples civilisés. La mentalité prédatrice, proche de la piraterie et l’absence totale de fierté de ses politiciens font de ceux qui placent leur confiance en eux des naïfs. Un geste simple qui pourrait donner le ton de la volonté de reconstruire le pays pourrait être la légalisation des titres de propriété, l’établissement d’une structure cadastrale méticuleusement étudiée. C’est d’ailleurs le premier gros handicap auquel se heurtent les acteurs de la reconstruction. C’est vrai que cela limiterait la possibilité de dépouiller les paysans de leurs terres, d’expulser arbitrairement au nom d’une déclaration douteuse d’utilité publique, quiconque prétend être maitre de sa propriété. Voilà qui nous ramène drôlement à 1804, l’année de l’indépendance d’Haïti. Rien n’appartenait à personne. Mais tandis qu’un petit groupe très réduit s’emparait des terres, tous allaient se sacrifier pour rembourser les 21 milliards de dollars réclamés par la France pour dédommager ses colons.


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