Le divorce du RDNP avec le PLAH, la vigilance tout au cours du processus électoral, l'arrivée de deux chanteurs-vedette dans la course... Mirlande H. Manigat, candidate à la présidence, se confie au Nouvelliste au cours d'un entretien exclusif.
Haïti: Le Nouvelliste (LN) : Mme Manigat, vous êtes la Secrétaire générale du Rassemblement des Démocrates Nationaux et Progressistes (RDNP), vous avez déclaré votre candidature à la présidence ; ce n'est pas une surprise. La surprise, c'est que vous avez annoncé en même temps votre retrait du PLAPH. Pouvez-vous nous expliquer le contexte dans lequel ces deux opérations sont intervenues ?
Mirlande Manigat (MM) : Les deux opérations ne sont pas simultanées. En janvier 2008, j'avais annoncé ma candidature sur une station de radio qui m'avait demandé si j'allais être candidate au Sénat. J'avais dit non, mais si Dieu et mes compatriotes le veulent, je serai candidate à la présidence.
Depuis, je n'ai pas cessé, non pas de l'annoncer, je ne l'ai pas tonitrué à tout vent, mais à l'occasion, quand on me demande quels sont mes projets, je le dis.
Quand nous avons intégré la plateforme, je ne disais plus que j'étais candidate du RDNP mais que j'étais candidate à l'investiture de la plateforme. Je n'ai cessé de le dire, jusqu'à la semaine dernière parce que - et c'est vrai - jusqu'à cette date, la plateforme n'avait pas, semble-t-il, décidé de m'accorder cette investiture et surtout de me donner les moyens légaux pour pouvoir m'inscrire comme sa candidate.
Comme je l'ai dit, comme je l'ai répété : je ne souhaite pas déballer sur la place publique, par écrit ou à l'oral, la séquence des difficultés que nous avons eues. Disons que nous avons eu des divergences d'opinions particulières sur la question des élections. Au sein du RDNP, et après avoir consulté pas mal de gens, j'ai fini par réaliser qu'il ne fallait pas laisser la place vide, qu'il fallait se lancer. Les problèmes demeurent, nos réserves à l'égard des risques encourus demeurent, et, surtout, j'ai parfaitement conscience qu'en déclarant la candidature du RDNP, d'une certaine manière, je cautionne les élections à venir, « m ba yo jarèt » comme on dit ; je leur accorde une certaine crédibilité. En ce sens, j'ai parfaitement conscience que les gens peuvent penser que je mets en jeu ma propre crédibilité. Je demeure une personne honnête, conséquente, honnête dans ma vie privée et dans ma vie politique, mais cependant cette décision je l'ai prise, pas seule, et je l'assume.
Maintenant, un problème juridique s'est posé : la plateforme a été enregistrée au cabinet d'un notaire qui a donc indiqué quels en étaient les membres fondateurs, dont le RDNP. Et, pour participer aux élections parlementaires de février, nous avons inscrit des « candidats-plateforme » ; il fallait donc déposer les pièces concernant la plateforme au CEP. Nous avons fait des enquêtes. Vendredi dernier, deux personnes ont demandé pour nous, particulièrement un avocat ; ils ont demandé est-ce que le RDNP pouvait s'inscrire comme parti ? Deux personnes au sein du CEP ont répondu que oui. Cependant, nous avons estimé qu'ils n'avaient pas fait attention au fait que nous étions déjà membre d'une plateforme. Et voilà pourquoi il nous a fallu trouver les moyens juridiques, sur les conseils d'un avocat et sur les conseils d'un notaire, de nous retirer officiellement de la plateforme pour pouvoir nous inscrire au CEP.
C'est ce que nous avons fait par l'exploit d'huissier.
Je dois dire qu'à la séance du vendredi après-midi - à laquelle je n'ai pas participé - on a finalement demandé aux membres de la plateforme : oui ou non, est-ce que pour vous Mme Manigat est votre candidate ? Ils ont répondu « oui ». Oui ou non, est-ce que la plateforme est disposée à lui donner un mandat pour qu'elle puisse s'inscrire comme candidat au nom de la plateforme. Il y a eu des hésitations. A ce moment-là, nous étions quand même pris de court par le temps et nous avons donc signifié, par exploit d'huissier la notification du retrait du RDNP de la plateforme.
Je pense - je n'étais pas là - qu'ils ont été pris de court, qu'ils ont été surpris, sans doute déçus, mais nous n'avions pas le choix : ils ne nous ont pas donné le choix car jusqu'à vendredi après-midi ils n'étaient pas disposés à nous accorder cette investiture.
Et, lorsqu'il fallait que je me rende personnellement au CEP pour inscrire le RDNP, les responsables rencontrés ont déclaré que le RDNP a déjà un dossier, parce que nous avons participé à tant d'élections passées. Toutefois, c'est nous qui avions attiré leur attention sur le fait qu'il aurait pu avoir par la suite un petit problème juridique. Ils ont donc accepté la réinscription (si vous voulez) du RDNP avec toutes les pièces, l'attestation du ministère de la Justice, etc. Voilà !
LN : Il y a un précédent, celui du parti Lavalas. Vous ne craignez pas qu'on traite le RDNP de « fraction du PLAPH » et de décider au niveau du CEP que comme il y a une bataille entre deux fractions d'un même mouvement, le RDNP ne peut participer aux élections... Cela s'est déjà vu dans le processus électoral de ces dernières années ?
MM : (Rire). Ils vont dire mieux que ça, ou pire ! Ils vont dire que le RDNP ne reste jamais longtemps dans une formation. Ils l'ont déjà dit, les gens qui nous critiquent... - je dois dire qu'il y a beaucoup plus de gens à nous approuver que de gens à nous critiquer. Simplement, je crois que c'est de l'ignorance de l'histoire de notre vie politique en Haïti... Le RDNP a trente et un ans d'existence. L'histoire de notre vie politique en Haïti a toujours été l'acceptation de participer à des mouvements : Convergence, etc. Et pour l'instant, nous sommes membres de la Convention des partis politiques. Donc, nous n'écartons pas délibérément la participation. Ça a toujours été des participations, des adhésions, sinon strictement à finalité électorale, mais disons à finalité politique, mais limitée.
Avec la Plateforme des Patriotes Haïtiens, c'est la première fois que le RDNP avait accepté d'intégrer une plateforme en renonçant, pour ce faire, non pas à son identité personnelle, mais disons à l'utilisation de cette identité sur le terrain politique. C'était la première fois, et ça n'a pas été facile. Je sais que beaucoup de gens n'ont pas été d'accord comme peut-être aussi pour d'autres partis les gens n'ont pas été d'accord. Mais je récuse cette accusation que nous ne voulons pas intégrer des regroupements.
Vous savez que pour les élections de 2006 nous étions dans une formation qui était électoraliste. Et on a beaucoup insisté pour avoir une candidature commune, c'était seulement une candidature au second tour, et, quand ce qui s'est passé s'est passé - on n'a pas besoin d'y revenir - , je dois dire qu'il n'y a eu qu'un seul leader, un seul des neuf, à appeler le professeur Manigat pour exprimer son regret : Charles Henri Baker. Le seul à l'avoir fait !
Pour revenir au choix du RDNP de sortir de la Plateforme, je veux citer une expression déjà utilisée par mon mari : « Le risque calculé ». Nous pensons que la conjoncture de 2010 est différente de celle de 2006, je crois... et même de celle de l'année dernière. Ce n'est pas le tremblement de terre qui aura déterminé cette nouvelle conjoncture en soi. Mais ce tremblement de terre a eu comme conséquence de placer Haïti sous les feux de l'actualité. Pour des raisons humanitaires, je salue une fois de plus la formidable solidarité internationale qui s'est manifestée : gouvernements, associations, ONG, particuliers, etc. C'est extraordinaire. Mais en même temps : quelque soit ce qui se passe en Haïti retient l'attention. Et je crois que les gens qui auraient l'intention ou le désir de manipuler les élections ne pourront pas le faire aussi facilement qu'ils le croient.
D'abord parce qu'il y a une vigilance des partis qui participent aux élections, il y a aussi une vigilance internationale, et je ne tombe pas, moi personnellement, dans la propagande suivant laquelle l'internationale ou « le Blanc » appuie le gouvernement. D'ailleurs ça ne veut rien dire. « L'international », c'est une nébuleuse. L'international, le milieu international, en dehors des organisations, comprend des États. Et les États ont peut-être leur façon individuelle de voir les choses. Et je crois - c'est une hypothèse peut-être osée - que ceux qui veulent nous aider à reconstruire économique Haïti voudraient aussi le complément politique, c'est-à-dire l'amorce d'une reconstruction politique valable.
Vous savez, je prête attention au fait que l'OEA ait décidé d'envoyer une centaine d'observateurs dès le mois d'août. En général, ils envoient des observateurs au moment des élections. Dès le mois d'août, cette fois ! Alors, de deux choses l'une : ou ceux qui vont venir resteront à Port-au-Prince dans leur chambre d'hôtel, sur la plage, au bord d'une piscine - ce que je ne crois pas - ou ils feront leur travail, c'est-à-dire ils iront en province, ils scruteront les préparatifs techniques et administratifs pour les élections. Personnellement, je n'accorde pas une confiance absolue, mais, pour moi, c'est un signe.
Je pense que ceux qui disent « A ! y'ap vin foure bouch yo nan afè nou depi kounye a » se trompent. Je préfère voir les choses de manière plus positive, à savoir s'ils viennent depuis le mois d'août, c'est pour suivre le processus dès le début. Et les partis qui participent, eux aussi, manifesteront une certaine vigilance. Et je ne sais pas combien de personnes, de personnalités politiques finalement se décideront à participer aux élections présidentielles. Et je crois que plus on est nombreux, plus on peut se partager cette vigilance dans les dix départements, cent quarante-deux communes, cinq cent soixante-dix sections communales. Ce n'est pas rien : un seul parti ne peut pas, un seul candidat ne peut pas. À moins de disposer (je ne sais pas moi !) d'une flotte extraordinaire. Mais la convergence des vigilances, en quelque sorte, peut nous donner une certaine garantie. Et si au bout du compte on réalise qu'on s'est trompé, je reconnaîtrai en toute humilité que je me serai trompée.
LN : Dernière question, Mme Manigat. Cette semaine, il y a eu votre revirement, il y a eu l'annonce presque officielle de la candidature de Wyclef qui est un nouveau venu sur la scène ; Michel Martelly a quasiment confirmé pour Le Nouvelliste que lui aussi, il va se lancer dans la course... Comment voyez-vous ce chamboulement ?
MM : Tout d'abord, vous savez que je suis légaliste-constitutionnaliste : n'importe quel citoyen n'a même pas besoin de passer par un parti politique pour se porter candidat, au CASEC, Conseil municipal ou comme député, sénateur... et même président. C'est un droit citoyen. Maintenant, s'ils remplissent toutes les conditions requises par la Constitution, mais d'abord par la loi électorale qui ne fait que reproduire les dispositions de la Constitution, qu'ils se présentent ! Ce sont deux personnalités qui n'ont jamais évolué dans le domaine politique, mais (si vous voulez) le domaine politique n'est pas la propriété privée des politiques. C'est un domaine citoyen, et il n'y a rien de plus citoyen que les élections. Donc, n'importe qui, s'il estime qu'il peut se présenter... se présentera. Nous aurons probablement une pléthore de candidats. Malheureusement, la décantation souhaitable et possible ne s'est pas faite durant les vingt dernières années. Peut-être que parce que nous n'avons jamais eu vraiment des élections orientées vers cela. Nous avons comme vous le savez une centaine de partis politiques là encore, je pense qu'il serait bon que nous ayons une décantation. Mais nous ne pouvons pas obtenir ces deux décantations par la loi. Il faut laisser faire le temps, il faut laisser faire l'éducation, les développements de l'instruction. Et, comme ça c'est passé en République dominicaine, par exemple, il y a eu aussi, à la chute de la dictature, une pléthore de partis, et après il y a eu cette décantation.
Maintenant, pourquoi quelqu'un se présente comme candidat à la présidence ? Je crois qu'il y a des gens qui savent pertinemment qu'ils ne pourront pas être élus. Cependant, ils souhaitent peut-être mettre sur leur carte de visite "ex-candidat à la présidence".
Deuxièmement, dans le milieu médiatique, il va y avoir une effervescence, et l'attention va être portée sur les candidats. Tous. Donc, le temps d'une campagne électorale, quelqu'un aura les privilèges d'apparaître dans la presse écrite, parlée, télévisée... Donc, un petit moment, sinon de gloire, du moins de notoriété.
Troisièmement, mon expérience des gens, mon expérience dans la vie des individus et dans la politique m'amène à croire que les gens n'ont pas toujours le sentiment de ce qu'ils peuvent faire, de ce qu'ils sont capables de faire. Ils se regardent dans un miroir et ils voient déjà l'écharpe ; ils se disent "pourquoi pas moi ?" Et, ils peuvent être persuadés. Ensuite, il y a certaines personnes - vous savez, l'idiosyncrasie haïtienne est très prolixe - pour qui c'est un rêve, une révélation, le message transmis par des morts, le message transmis par les dieux. Cela fait partie de notre culture, la croyance dans la l'authenticité d'un rêve, d'une révélation. Donc, il y a des gens qui sont animés par ces pratiques. Dieu les a chargés d'une mission, etc. Et ils se présentent.
Bon ! eh bien, pour toutes ces raisons qui font partie de notre sociologie de peuple, nous aurions (je crois) une variété de candidats. C'est la première fois que nous auront deux chanteurs, et pas des moindres ! Je serais tentée de dire à Sweet Micky qu'il a l'habitude de se déclarer président. Pourquoi veut-il maintenant obtenir l'onction juridique (rire) alors qu'il est le « prezidan konpa », il décide même des jours de congé, etc ? Bon, on verra ! Leur présence va peut-être mettre un petit peu de fantaisie dans la campagne. J'espère tout simplement que la fantaisie n'exclura pas le sérieux...
Propos recueillis par Frantz Duval
Décryptés par Duckenson Lazard
Le Nouvelliste
Les propos de Madame Manigat montrent clairement sa maturité politique et sa connaissance du milieu haïtien. C’est l’un des rares personnages du spectre politique du pays dont le pays aurait raison de s’enorgueillir. Cependant, il serait souhaitable que d'autres politiciens professionnels (car il y en a), comme elle, se joignent à elle ou entre eux pour former des partis ou des groupement de partis qui économiseraient à l'état le casse-tête de gérer une nuée de partis politiques et de mouvements dont on se demande s'ils sont sérieux dans leur recherche du pouvoir ou s'ils veulent tout simplement montrer jusqu'à quel point l'aveuglement peut conduire les individus à tomber dans le ridicule en surestimant leurs possibilité. Peut-être n’est-ce qu’une question d’argent !
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