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vendredi 20 avril 2012

Martin Tremblay ou Réflexions sur la tiermondisation de la justice dans une société industrialisée

Renos Dossous

Que la police ait l’obligation, tout au moins l’obligation morale, de protéger les citoyens au sein de n’importe quelle société civilisée, cela semble évident. Et y combattre la fraude fait aussi partie de ses attributions. Mais que cette même police, au nom d’on ne sait quelle intelligence extraterrestre-artificielle-supérieure, tende des pièges aux citoyens pour essayer de corrompre ceux qui, selon ses présomptions, sont corrompus, voilà un comportement qui choque. Voilà une logique que nous avons du mal à absorber. Cela laisse décidément un goût amer de confusion, de frustration, d’indignation dans la gorge. Et pire encore, cela vous fait douter de l’objectivité, de l’équité, de la bonne volonté de ceux qui jugent. Et dire que nous sommes en plein XXIe siècle ! Et dire qu’on est en Amérique du Nord, l’un des lieux de plus grande concentration démocratique dans le monde ! « Est –ce la corruption des juges qui prive la justice de son prestige d’antan » ?

La justice a tout de même fait du chemin depuis des siècles. Elle s’est considérablement enrichie grâce aux penseurs de tous les temps dont la maturité, la réflexion, le raisonnement lucide font encore l’objet de notre admiration et de notre respect. C’est ancré dans cette sagesse-là que les anciens observaient, analysaient les problèmes les plus délicats de leur communauté et du monde qui les environnait. C’est dans ce même contexte que des solutions intelligentes ont pu être apportées à des problèmes qu’on croirait à jamais insolubles. Philosophes, psychologues, psychiatres, historiens, anthropologues, chacun, alimentant nos réflexions de ses apports respectifs a permis à la logique de s’établir sur un terrain de plus en plus ferme. Même si des améliorations sont toujours possibles, la vérité arriverait quand même à briller de sa propre lumière, comme en a exprimé le souhait le philosophe français Voltaire. La criminologie, elle-même, cette convergence de disciplines diverses, est l’aboutissement de ce long et laborieux cheminement. C’est vrai que des inquisitions de toutes les couleurs ont terni cette marche vers le progrès scientifique, judiciaire, politique, économique et même artistique. De sorte que, ce ne serait pas contestable si quelqu’un affirmait que nous avons atteint et même dépassé le stade des lumières, mais par bonds successifs, de manière plutôt sporadique. On n’a qu’à jeter un regard rétrospectif sur le XVIIIe siècle. Le concept des « lumières » d’alors s’est peu à peu enrichi par de nouvelles découvertes, de persévérantes recherches et les perfectionnements incessants des méthodes scientifiques. Nous sommes donc bien au-delà d’une certaine idée de progrès. C’est le règne absolu de la lucidité et l’éclipse des sophismes caractéristiques des temps obscurs, pratiquement révolues, de la prévalence de l’instinct sur la réflexion. La pensée est désormais libre, sommes-nous tentés de crier à tue-tête et la justice est armée contre l’arbitraire ! Eh bien, non ! Trêve d’ingénuité ! La barbarie n’est pas morte ! La sauvagerie dispose de mille stratagèmes pour survivre au milieu des progrès les plus éblouissants ! C’est ce que nous enseigne l’histoire d’une aventure policière et judiciaire qu’il est impossible de ne pas remettre en question. Quel intérêt particulier défend-elle, cette justice spéciale ?

La famille Tremblay est connue au Canada pour sa richesse multimillionnaire qui a traversé plusieurs générations apparemment. Elle a profité de possibilités offertes par les lois du pays pour protéger une part importante de ce patrimoine en ouvrant « légalement » des comptes ailleurs qu’au Canada. Où est le crime ? Pour une raison quelconque, les autorités monétaires américaines soupçonnent Martin Tremblay d’avoir blanchi un milliard de dollars. Cela est un crime ! Mais où est la preuve ? Il n’y en a pas ! Alors, il faut l’inventer ! L’homme d’affaires canadien, Martin Tremblay s’est transformé du jour au lendemain, en cible privilégiée de tous les complots pour DEMONTRER sa culpabilité. A-t- ouvert une enquête digne de porter ce nom pour établir cette culpabilité-là comme l’exigent les lois en vigueur dans les deux pays ? Pas du tout ! La GRC, côté canadien et le FBI, côté américain, se sont alliés pour lui tendre un premier piège : faire apparaitre comme par magie sur son compte bancaire la somme de 200 000 dollars. Non moins de 53 appels téléphoniques* et tentatives de prises de contact mafieux, ont été réalisés pour essayer d’atteindre cet objectif. Mais rien n’a fonctionné. Comme « patience et longueur de temps font plus que force ni que rage », la persévérance dans l’art de corrompre a porté ses fruits. Comment ? On a réussi à le faire tomber dans un piège noué autour de la symbolique somme de (tenez-vous bien !) 20 000 dollars. Eureka ! Quelle expertise ! Désormais, il ne manquera à la justice que quelques petites contorsions adroites pour valider cette iniquité et l’enfermer pendant 34 mois. Et justice est faite !

« Eh vous, juge sans vergogne, si un jour vous commettiez l’imprudence de dire à haute voix ce que vous pensez en réalité, tout le monde vous crierait, dehors immondice, reptile venimeux ! » (Nietzsche, in Ainsi parlait Zarathoustra)

Un acte de corruption implique un corrupteur et un corrompu. Lequel doit être puni par la loi ? Qui nous garantit que celui qui a pris l’habitude de corrompre, puisque c’est là sa profession (officielle), ne le fera pas pour son intérêt personnel ? Le résultat obtenu dans ces circonstances antérieures nous fait indubitablement l’effet de la prostitution d’un(e) mineur(e) par un majeur, celui d’un sapeur pompier qui mettrait le feu à une maison pour se rendre utile en venant l’éteindre, celui d’un policier qui mettrait clandestinement de la drogue dans la valise d’un citoyen pour avoir une raison de l’accuser de trafic de stupéfiants, celui d’un enquêteur qui torturerait son prisonnier pour l’obliger à avouer un crime dont il ignore absolument tout, celui d’un violeur qui accuserait d’avance sa victime (faire circuler par exemple, des rumeurs de lesbianisme, d’homosexualité) pour l’intimider et le prévenir de dénoncer son bourreau. Bref, nous avons ici tous les ingrédients d’une justice manipulatrice, véritable dégradation de la justice et - paradoxe des paradoxes - révélation flagrante de la corruption de ceux qui sont appelés à combattre la corruption. Qui donc, dans de telles conditions et pour la promotion de la justice - la vraie - s’interposera entre nos juges et nous pour prononcer un jugement au dessus de tout soupçon ? Est-il possible qu’il y ait une déontologie applicable à ceux qui réalisent ces conjonctions douteuses entre la criminalité et la justice ?

*Télé journal RDI, du mercredi 14 mars 2007, Canada

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