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jeudi 26 juillet 2012

Doit-on rééditer le communisme?


Tel que fonctionnent nos sociétés d’aujourd’hui, nos discours sur la démocratie ont les mêmes effets que la résonnance d’un tonneau vide. Moins il y a de matière, plus il y a de bruit. C’est à en perdre la raison. A force de parler de ce qui n’est, ça et là, qu’une simple ébauche, on finit par perdre de vue l’essence de la démocratie. Le paraitre prend le pas sur l’être. La mode n’étant plus à l’authenticité, il suffit désormais d’un rien pour impressionner la foule. C’est ce qu’Ortega y Gasset a baptisé « La rébellion des masses ». Une espèce de révolution à rebours. Un nivellement par le bas. Une absence complète d’idéal. Mais la démocratie, celle qui a arraché des peuples entiers du joug de la barbarie, celle qui a converti les fondamentalistes naturels que nous sommes, sans exception, en des êtres sociables, tolérants et légitimement ambitieux, semble une disposition particulière de l’esprit à s’ouvrir, à respecter les  règles du jeu même à l’encontre de ses propres intérêts. C’est un échelon supérieur dans la hiérarchie des valeurs.

La démocratie nait et se développe dans la mesure où les acteurs politiques qui prétendent y croire l’alimentent, la font grandir, et vivent en harmonie avec ses préceptes. Si par mauvaise foi, d’aucuns s’avisent d’y voir un impossible, il suffira de leur rappeler que nul ne jure que par elle.

Mais d’où vient ce cynisme scandaleux, ce désaveu aussi flagrant de nos propres valeurs ?

La révolution américaine a enclenché une véritable prise de conscience de l’importance de la justice sociale. La révolution française a voulu la conquérir, l’imposer par la force si nécessaire. Dans les deux cas, l’exploration qui ne s’est pas révélée totalement infructueuse, est restée néanmoins incomplète. Malgré de considérables progrès, la fleur n’a pas eu le temps de s’épanouir. Ils sont nombreux les auteurs qui nous ont fourni leurs constats de succès et d’échecs. Mais un corps étranger, un intrus, vint troubler cette aventure. La révolution industrielle. Elle est venue brouiller toutes les pistes, déplacer tous les repères. Fondée sur l’accumulation de la richesse, sur sa multiplication à outrance, sa préoccupation première consistait à prendre plus efficacement possession de l’espace et du temps. D’un certain point de vue, c’est un immense progrès. Mais dans sa folie furieuse, dans son emportement triomphaliste, elle en est venue à ne plus réaliser qu’au sein même de ces sociétés dont elle prétendait faire le bonheur, elle créait les conditions de la marginalisation d’un groupe, d’une nouvelle classe. Les  prolétaires. Surgis dans la foulée de cette nouvelle dynamique, ces prolétaires exposent le côté sombre, les limites extrêmes de ce nouveau système. Désormais, qui dit révolution industrielle dit nouveaux moyens pour en assurer le succès à tout prix. Ce qui revient à reconnaitre qu’une partie de la famille humaine n’a d’autre destination que celle d’être exploitée par l’autre. Ce n’est  plus l’esclavage, mais ce n’est pas non plus la démocratie tant préconisée. Nous voilà en présence d’un compromis dangereux et immoral !

Puisque l’équilibre, la stabilité sociale ne se construit pas spontanément, quelque chose devait être fait. Avec plus d’urgence encore si l’économie s’en mêlait. Ainsi quand même personne ne le demanderait, « les prolétaires de tous les pays » s’uniraient d’eux-mêmes. Mais l’invitation a été lancée. Ce nouveau moteur, cette nouvelle motivation, à la fois politique et historique, laissait présager de nouveaux horizons, de nouvelles alternatives. Il fallait au moins une compensation à la mesure de cet avortement forcé de la démocratie. Ce fut donc graduellement que nous sommes passés d’un socialisme hésitant, utopique, à la vitesse supérieure dénommée communisme. De sorte que la révolution d’octobre 1917, loin d’être un accident, traduisait un aboutissement, la cristallisation d’un lent et long processus de recherche d’équilibre à la fois social, politique et économique. Comment, dès lors, blâmer les penseurs de tout bord, de n’avoir pas hésité à investir tout leur prestige dans la poursuite de ce rêve humaniste ? Le crime, à ce stade-là, ce n’était pas de vouloir le changement, mais de prétendre que tout allait bien et de contribuer ainsi à la perpétuation d’un cannibalisme moderne, d’assumer comme une fatalité l’idée que « l’homme est un loup pour l’homme » (« homo homini lupus »). Oui, la réalité s’est révélée amère. Ce n’était, au bout du compte, qu’un idéal parmi tant d’autres. Mais il a fallu des années pour le comprendre. Ainsi que le sacrifice de plusieurs millions de vie. Un rêve basé sur la répression, la torture, l’empoisonnement et l’exil aura toujours peu de chance de résoudre quoi que ce soit. On ne surmonte pas un mal en le remplaçant par un plus terrible.

Désormais personne ne nie plus que l’aventure a mal tourné. La chute du mur de Berlin en a attesté avec éloquence. Mais que les penseurs conservateurs et timorés n’applaudissent pas si vite ! Leur réaction la plus honnête consisterait, non pas à rechercher la signification de cet échec communiste qui est on ne peut plus évidente, mais comment on a pu en arriver là. De Platon à Thomas More, d’Auguste Blanqui à Lénine, en passant par Saint-Simon et Karl Marx, les rêves des socialistes étaient convergents. Il fallait sauver l’homme de la machine capitaliste. Un vœu si fervent, une ambition si noble s’invaliderait d’elle-même et définitivement si les conditions qui avaient abouti à la crise d’octobre 1917 s’étaient dissipées. Or la situation s’est aggravée. Les moyens de réduire à son expression minimale toute possibilité de survie de l’être humain, tout en devenant plus subtiles, se sont multipliés. Le communisme a beau être en déclin, la lacune demeure, les vices de notre pseudo-démocratie sautent aux yeux. La nature ayant horreur du vide, à moins d’un revirement dramatique, la prochaine étape de notre quête risque de consister à déterminer le nom du nouveau mouvement qui s’opposera à notre pseudo-démocratie.








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