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jeudi 5 juillet 2012

Richesse et démocratie en Amérique

De la Démocratie en Amérique, c’est le titre d’une étude du style de gouvernement que se sont donné les Nord-Américains depuis leur indépendance. Ces observations de l’auteur français, Alexis de Tocqueville, résultèrent d’un long périple à travers le Nouveau Monde.  Son objectif était non seulement de découvrir ce qui faisait le succès de cette jeune nation, à peine sortie du giron de l’empire britannique, mais aussi, par un retour des choses, les vertus que l’Europe pouvait tirer de cette tentative réussie. Comme tout système politique, ce modèle a connu des hauts et des bas. Mais en dépit d’errements notoires, il a été administré avec l’expertise et la prudence de chefs qui savent que l’autorité repose davantage sur le respect de normes clairement établies que sur l’application à outrance de la force et de l’intimidation. Car un pays ne devient pas par hasard la première puissance économique mondiale.

D’abord, qu’est-ce que la démocratie ? Jean-Jacques Rousseau en découvre l’essence dans l’aliénation volontaire de la liberté individuelle en faveur de règles équitablement appliquées au sein d’une collectivité. Comment nous convaincre de la justesse d’une telle définition ? En rappelant tout simplement que personne n’a encore conçu un style de gouvernement plus recommandable pour le remplacer. Au contraire, tous les régimes, mêmes les plus oppressifs, en appellent à la démocratie  pour plaider leur cause. Le terme même de démocratie est devenu un symbole triomphant, mais aussi un prétexte pour essayer de justifier toutes les atrocités. C’est l’apparence derrière laquelle on tend à camoufler tous les pièges. La bonne intention dont est pavé l’enfer. Qu’on se souvienne du pléonasme « démocraties populaires » appliqué aux régimes communistes d’après la Seconde Guerre. C’est dans cette même logique que s’inscrit, par exemple, la République démocratique allemande… communiste. Comme si un simple mot pouvait effacer tous les crimes ! 

La semaine dernière, nous avons assisté stupéfaits à la chute, au Paraguay, du gouvernement démocratique de l’évêque catholique Fernando Lugo. Grâce à son élection en 2008, il avait mis fin à une suite interminable de dictatures dont celle d’Alfredo Stroessner, la plus longue, qui avait duré 34 ans. Un record qui a été presque battu par Trujillo en République dominicaine (31 ans) et les Duvalier en Haïti (29 ans). Revenons  à Stroessner ! Hormis ses innombrables assassinats, il était connu aussi pour avoir hébergé des criminels nazis, au Paraguay, parmi lesquels le docteur de la mort, Joseph Mengele. C’est dans ce pays que Fernando Lugo, élu par une vaste coalition de partis et de mouvements politiques, s’était fixé une double priorité. Réformer le système de santé et résoudre le problème des titres des terres dont s’étaient emparés les grands propriétaires. Dans le premier cas, le nouveau président paraguayen avait reçu l’appui de ses alliés et du parlement. Dans le deuxième, comme on peut déjà l’anticiper, il ne pouvait compter ni sur les uns ni sur les autres. Est-ce, d’ailleurs, un secret que les problèmes agraires, en Amérique latine, ont provoqué à travers l’histoire la chute de plus d’un gouvernement ? C’est qu’il est très difficile de forcer des gens qui ont vécu de l’exploitation éhontée de leurs concitoyens, pendant si longtemps, à renoncer brusquement à leurs privilèges. Pour ceux qui ont toujours vécu de rapines et refusent le partage équitable des biens de l’Etat, le statu quo est sacré. La destitution de « l’évêque des pauvres », comme on appelait Fernando Lugo, fait suite, précisément, à une intervention musclée de la police dans un conflit d’invasion de terrain, le 15 juin dernier. 11 civils et 6 policiers ont perdu la vie dans l’incident. Sous couvert d’une mauvaise gestion de la crise par le président, le Sénat a pris l’initiative de cette mesure extrême, un an seulement avant la fin de son mandat commencé en 2008.

La démocratie bafouée une fois de plus ! Mais ne commettons point l’excès de croire que ces contorsions politiques obscènes, destinées à corrompre la démocratie sont l’apanage exclusif des pays sous-développés. 

Certes, à l’exception du Brésil qui, en 2011, a déplacé le Royaume-Uni pour devenir la 6e puissance économique mondiale, il suffirait de faire un petit tour dans le continent pour constater jusqu'à quel point la démocratie se détériore. Certes il y a encore de l’espoir avec des pays comme le Chili, l’Argentine, le Costa Rica, le Mexique, et, même la Colombie, où la guérilla fait tout pour imposer ses propres lois. Mais la démocratie se porte très mal au Venezuela, en République dominicaine et en Haïti. Quant à la Bolivie où 60 % de la population est indigène et vivent sous le seuil de pauvreté, il y a peu de mots pour la qualifier.

Dans le cas de tous les pays mentionnés, « l’argent, le nerf de la guerre », est constamment présent. Les multinationales, qui s’y alimentent de pétrole, de gaz naturel, de minerais de bauxite, d’or, de diamant, entre autres, ont fait de la démocratie leur mot d’ordre tout en reniant ce qui en fait la force : l’être humain. Voilà pourquoi elles n’hésitent pas à pactiser avec les corrompus de ces pays, quand elles ne les corrompent pas elles-mêmes, pour préserver leurs privilèges. C’est sous leur influence que des parlementaires républicains, aux Etats-Unis, militent pour la disparition de toute forme de régulation au sein des institutions financières, cause principale de la faillite de plusieurs banques et entreprises dans ce pays et dans le monde. D’après leur sophisme, le marché, cette entité pourtant abstraite, abandonné à lui-même, peut s’autoréguler de manière que tout aille toujours bien. Si par hasard il se présentait un inconvénient : imposez l’austérité ! Réduisez les emplois ! Limitez les services ! Or nous avons vu le président Obama prendre exactement le contrepied de cette théorie et réinvestir dans des industries automobiles en faillite. Résultats ? Surprenants ! GM après avoir perdu des milliards de dollars, pendant près de cinq ans, grâce à ces nouveaux investissements, a recouvré sa première place dans le monde. Le plan Marshall qui a investi 13 milliards de dollars pour la reconstruction d’une Europe qui ne pouvait même plus payer ses dettes, n’a pas appliqué une méthode différente. L’histoire nous en rappelle les effets bénéfiques. Le prix Nobel d’économie américain, Paul Krugman, a démontré, en prenant l’Europe d’aujourd’hui comme exemple à ne pas suivre, que ce n’est pas l’austérité fiscale, c’est son opposé qui permet la récupération économique. Alors le Canada, ne s’est-il pas trompé de modèle en suivant les derniers de classe tels que les pays européens et les Républicains aux Etats-Unis ?

Face à un comportement comme celui des Républicains aux Etats-Unis, on ne peut plus accepter, sans réserve, l’idée de Tocqueville selon laquelle « l’Amérique présente l’exemple d’une expérience chimiquement pure de la démocratie ». Ce système politique, n’étant pas, comme il l’admet lui-même, « une fin de l’histoire », il est appelé à se renouveler en permanence. Voilà pourquoi, contrairement à ce qu’Alvin Toffler ou Francis Fukuyama semblent suggérer, la démocratie sociale ou, si l’on préfère, « une société plus sage », n’est ni pour demain ni pour après-demain. A moins que l’argent cesse de menacer de prendre la parole à la place des citoyens, notamment des électeurs, dans les Etats américains sous l’égide des Républicains.

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