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mercredi 27 juin 2012

Le mythe des milliards de la reconstruciton

A l’ère de la mondialisation, la coopération internationale, plus qu’une simple formalité, est une nécessité. Aucun pays gouverné par des gens lucides ne peut prétendre s’y soustraire sans donner dans la démagogie. Cependant, pour qu’une coopération soit rationnelle, il importe de la rechercher, de la cultiver, de la renforcer en respectant certaines conditions. Quand un pays puissant, industrialisé, économiquement solide, géré correctement, s’approche d’un plus faible, mal organisé, dont la méthode de travail est l’improvisation permanente, rien de profitable ne peut en sortir pour ce dernier. Ses dirigeants se sentent beaucoup plus tentés de s’enrichir rapidement que de planifier en fonction des besoins collectifs. Ils se compromettent. S’obligent à tout accepter. Sont prêts à faire des concessions inimaginables à leurs partenaires, pourvu qu’ils n’aient de compte à rendre à qui que ce soit. Avant, pendant et après le séisme qui l’a secoué jusque dans ses fondements, aucun pays n’illustre mieux cette affirmation que la République d’Haïti.

Ce désastre a mobilisé la communauté internationale. On a visé dix milliards de dollars pour la reconstruction. La moitié de ce montant a été recueillie jusqu’à date. Nous parlons de 5, 6 milliards de dollars. C’est en y faisant allusion que plusieurs claironnent incessamment qu’Haïti a reçu des milliards de dollars pour la reconstruction et que rien n’est fait présentement pour améliorer le sort de la population. Il ne serait pas inutile d’apporter quelques nuances à cette critique partiellement justifiée.
Dans une large mesure, c’est vrai que les effets des 5, 6 milliards de la reconstruction sont presqu’invisibles. Mais le crier trop fort, sans entrer dans certains détails, peut aussi être un acte de mauvaise foi. Nous avons constaté, en effet, que sur un total de 500 millions de dollars prévus pour des contrats de construction,  plus de 350 millions ont été alloués par l’Etat haïtien de manière douteuse.  L’heureux bénéficiaire de ces contrats, M. Félix Ramon Bautista, est un citoyen dominicain, sénateur de San Juan de la Maguana. Il est membre du PLD, au pouvoir depuis huit ans. Il a fait de la prison dans son pays en l’an 2000 pour cause de détournement de fonds publics. L’ex- président dominicain (2000-2004), l’agronome Hipolito Mejia membre du PRD qui était à la tête du pays lors de l’emprisonnement de M. Félix Bautista, a déclaré, il y a deux mois, dans une entrevue sur la chaine 11 de la télévision locale, telenoticias 11, que M. Félix Bautista est tellement corrompu qu’« il a exporté la corruption et le vol vers Haïti ».  Cette affirmation risquerait fort d’être taxée de politique, si Nuria Piera, une journaliste dominicaine n’avait pas réalisé un travail méticuleux d’investigation pour retracer la trajectoire des plus de 350 millions de dollars de la reconstruction d’Haïti confiés aux trois compagnies de construction appartenant à Félix Ramon Bautista. Ces recherches qui s’étalent sur plusieurs années, notamment 2010-2012, ont établi, copies de chèques et signatures à l’appui, que des millions de dollars de ces contrats sans appel d’offres, ont servi à financer des campagnes électorales et à enrichir des politiciens en Haïti et en République dominicaine. L’ex-premier ministre haïtien, Gary Conille, pour avoir agité le doigt dans cette même plaie béante de la corruption, grâce à un audit des dépenses publiques dans le cadre de la reconstruction, a été de manière mystérieuse mais rapide écarté du pouvoir en Haïti.
Mais ne nous y méprenons pas, il n’y a pas que les autorités haïtiennes qui affichent dans cette affaire une gestion nébuleuse. Certes, ces dernières n’ont plus la force morale nécessaire pour intervenir, dissiper les doutes sur la demi-vérité galvaudée par ceux qui prétendent qu’Haïti a reçu des milliards pour la reconstruction. Cependant la somme qui expose le manque de délicatesse des gouvernements haïtiens ne représente que la dixième partie des 5, 6 milliards de dollars disponibles. Qu’a-t-on fait de la différence ?

Tout le monde sait qu’une nuée d’ONG fonctionnait en Haïti avant, pendant et après le tremblement de terre de janvier 2010. Ce n’est pas par hasard que les mauvaises langues ont rebaptisé ce pays « la République des ONG ». Mais ce qui échappe à la majorité des observateurs, c’est que même le gouvernement à peine fonctionnel d’Haïti ignore combien d’ONG opèrent sur son territoire. Les chiffres avancés jusqu'à présent vont de 256, selon le ministère de l’économie à 481, selon le ministère de la planification et de la coopération externe. Si cela ne suffit pas à donner une idée du niveau moral du gouvernement ou des gouvernements haïtiens, rien ne pourra jamais le faire. En attendant que ces ministères se mettent d’accord, retenons que, sur un échantillon de 196 ONG, huit seulement ont consenti à publier des rapports de leurs activités, d’après le Disaster Accountability Project1. Et c’est à cet ensemble hétéroclite d’ONG que trois milliards de dollars ont été confiés dans le cadre de la reconstruction d’Haïti. Et de la même source2 nous apprenons que l’Agence Interaméricaine de Développement (USAID) administre un milliard de dollars de ces fonds. Et sa gestion laisse autant à désirer que celle des nombreuses ONG déjà mentionnées. La preuve, 1 % seulement de tous les contrats attribués par cet organisme international, soit l’équivalent de 9 millions de dollars, a été alloué à des entreprises locales, haïtiennes. Le reste retourne aux Etats-Unis pour être confié à des firmes appartenant à ce qu’on appelle de l’autre côté de la frontière canadienne le Beltway où s’agglutinent des contractants de Washington DC, de Maryland et de la Virginie. Il s’agit d’un cercle restreint de lobbyistes qui n’ont en vue que leurs propres profits. Et voilà comment on prétend écarter le spectre de la misère dans un pays au bord du précipice.  
1.       L’édition en ligne du Nouvelliste du 17 juin 2012
2.       Idem.




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