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lundi 12 décembre 2011

Les pieds dans le plat

À refaire ?

Haïti: Tout est à refaire ! Vérité de La Palice, direz-vous? Premièrement, on refait toujours les mêmes erreurs, on a les mêmes reflexes, on manifeste les mêmes frustrations, et on tente d'imiter, avec une frénésie de déments, les mêmes clowneries de l'autre. Deuxièmement, si tout est à refaire dans le bon sens, il faudrait bien savoir par où commencer. On organise des colloques. On entend et on lit de brillantes démonstrations, mais c'est comme si la réalité, on ne la voyait pas parce que cette réalité, ce quotidien inhumain, bestial, personne ne semble vouloir s'y attaquer.
Moi, j'aurais voulu que tout le gouvernement se rende un samedi matin à Pont-Sondé, au marché presque en plein air sur la route nationale numéro un avec cette nuée de marchandes assises à même le pont et ce nombre impressionnant de véhicules publics en mauvais état chargeant et déchargeant, dans le chaos le plus total, humains et marchandises. On peut y être bloqué plus d'une heure. C'est le spectacle le plus délirant auquel on peut assister dans un pays qui se glorifie de ses deux cents ans d'indépendance et de sa victoire sur le colonialiste. Voici un marché public qui rapporte, dit-on, énormément à l'Etat. Mais les conditions révoltantes, écoeurantes démontrent, ici encore, que les gouvernements de notre république ne sont que dans la représentation et que la réalité ne les concerne pas. Et le marché de Pont-Sondé, sur la route nationale numéro un en plein début du XXIe siècle, n'est qu'un exemple parmi des centaines d'autres.
En revenant du Cap dimanche dernier, on a eu un peu de frayeur en voyant de loin, dans la zone de Saint-Christophe, quelques kilomètres avant le désormais célèbre Canaan, une foule de gens sur la route avec piquets, bâches, sacs et que sais-je encore. Nous, qui étions dans la voiture, avions cru que nous allions tomber en plein dans une émeute. Eh bien, non ! Il y avait quelques policiers qui consciencieusement vérifiaient les papiers des véhicules et les permis de conduire pendant qu'une multitude de gens traversaient la nationale, s'infiltraient dans la savane vers la montagne en quête de lopins de terre à squatter. À Saint-Christophe commence à se construire un mégabidonville aussi énorme que Canaan. Dans quelques années, nous aurons le long de la nationale numéro un les plus grands bidonvilles de la Caraïbe. Une affaire en or pour les ONG qui pourront monter ici un tas de projets, car visiblement on ne voit pas comment ces gens pourront vivre dans un environnement aussi hostile, sans eau, sans électricité, sans sécurité.
Entre-temps, on parle toujours de ce projet de nouveau Port-au-Prince. Un nouveau centre-ville pendant que tout autour reste inchangé : l'environnement immédiat, les bassins versants, les bouteilles en plastique dans la mer et dans les égouts, etc. Des millions de dollars probablement pour des études. Cela sent l'arnaque à plein nez. Cela ne serait pas la première fois que le peuple haïtien se fait arnaquer avec la complicité de ses dirigeants.
Dans une banque à Pétion-Ville, ce vendredi matin, un homme, presque les larmes aux yeux, protestent vivement parce qu'on ne veut pas lui changer un chèque de 1 000 dollars américains alors qu'il a un compte tout ce qu'il y a de plus régulier. Il a une urgence. Il vient de loin. On lui oppose une fin de non-recevoir. En colère, il s'en va en frappant la porte. On lui interdit de remettre les pieds dans la banque et les agents de sécurité menacent même de lui passer les menottes. Le spectacle est choquant. Le client en colère a frappé la porte, certes. Mais ne lui a-t-on pas aussi frappé la porte au nez en lui refusant un service auquel il a droit, alors qu'un autre citoyen, avec un nom connu ou occupant une fonction importante mais certainement parasitaire, aurait eu droit, lui, à tout le service qu'il aurait demandé ? Bref ! le système se nourrit de l'avoir des petits; mais les petits, il les méprise. L'apartheid est toujours là.
Mon père m'a un jour raconté l'histoire de François Duvalier, alors simple petit médecin de campagne, qui revenait une fin de semaine de la province et qui se dépêche de se présenter à la porte de la Banque nationale pour changer son petit chèque. Les agents de sécurité lui refusent l'entrée, car c'est déjà l'heure de la fermeture. Le médecin les supplie presque, car c'est de ce chèque que dépend la nourriture de sa famille. Les agents de sécurité font la sourde oreille. Arrive un homme bien mis, au teint clair, qu'on reconnaît comme étant le rejeton d'une grande famille. Il vient pour la même chose. Les agents le laissent courtoisement passer. Le médecin s'en va, sans rien dire. On sait tout ce qui s'est passé par la suite.
Les puissants oublient trop souvent que les petits, à la faveur de n'importe quoi, peuvent faire tomber des têtes et installer l'enfer dans les paradis les mieux protégés!

Gary Victor

http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=100253&PubDate=2011-12-09

Commentaire
Mon cher Gary Victor, ne laissez pas l'indignation entamer votre existence! Si vous voulez continuer à écrire comme vous le faites si bien, essayez de vous calmer. C'est vrai que quand on est Haïtien et qu'on est conscient de l'ampleur des insanités de ces polichinelles, pardon, de ces politiciens sans aucune notion, sans aucun sens de la politique, il est difficile de dormir tranquille. Car l'enjeu, c'est l'existence de près de dix millions d’êtres humains. Mais précisément à cause de l'importance du désastre, il faut que quelques-uns restent lucides. Pourriez-vous fournir un meilleur exemple que le cas du médecin de campagne dont les actes sont archi-connus en Haiti? Ce qui veut dire que rien n'est vraiment invariable. Tout peut changer. Maintenant que nous avons un gouvernement qui se dit disposé à travailler et qui ne le fait pas, il est clair que nous devons trouver des alternatives. Le grave problème, c'est par où commencer quand ceux mêmes qui sont appelés à changer le pays, font tout pour le plonger dans l'inaction, dans la bêtise? C'est désespérant! Mais ce ne saurait être la fin! Nous devons continuer non pas seulement à chercher, mais aussi à agir. Et vous le faites déjà très bien en nous faisant prendre conscience quotidiennement, sans répit, de l'urgence de quelque chose de différent. Par dessus tout, l'urgence d'une révolution mentale. Merci!

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