30/08/2011 12:01:00 Auteur(e) La Redaction
Cher Professeur Bissainthe,
Contrairement à votre affirmation, je ne vois ni rouge, ni rose et je ne suis pas non plus « tombée à bras raccourcis » sur le nouvel élu. J’ai simplement exercé ma vigilance coutumière en tant que citoyenne, journaliste engagée qui a vu évoluer au cours de ces 25 dernières années les hommes, les femmes et les choses politiques de mon pays. « Chimen bouton, chimen maleng ». La voie de la dictature est pavée de ces petites phrases, gestes, paroles, exhortations apparemment anodines qui bercent les rêves de pouvoir totalitaire de tous nos dirigeants. Il vaut toujours mieux prévenir la dictature que de la subir, car comme moi Monsieur Bissainthe, vous savez que l’issue est toujours malheureuse pour le pays, pour le peuple, pour les démocrates, pour les progressistes et… heureusement aussi pour les dictateurs.
Monseigneur Louis Kebreau est un prélat influent de la puissante Eglise Catholique, archevêque du Cap Haïtien et président de la Conférence Episcopale, ami du nouveau prince et de sa famille. Il ne trouve rien de mieux à conseiller au président que d’enfiler son « kanson de Sweet Micky » pour diriger ce « peuple marron qu’on ne peut gouverner mollement ». Vous voyez bien, Monsieur le professeur, qu’il ne s’agit pas d’une référence à la petite culotte rose qui appartient à un passé du chef de l’Etat qu’on aimerait tous oublier. Ce serait déjà assez surprenant pour un prélat qui est sensé représenter la plus haute autorité morale dans notre société. Mais il s’agit bien d’une référence au slogan « kanson fè » utilisé en son temps par le général dont vous parlez, mais qui a aussi servi à justifier la dictature chez nous de 1957 à aujourd’hui.
Est-ce que j’ai une solution sans chaos au chaos actuel ? Non professeur Bissainthe. Mais je crois qu’on peut y arriver si on apprend à aimer le pays et à respecter ce peuple courageux qui a beaucoup souffert. C’est pourquoi je veux rester une militante pour la démocratie, l’état de droit, la bonne gouvernance et le respect des droits et libertés que nous avons conquis de hautes luttes au cours de ce dernier quart de siècle
Pour conclure, cher professeur Bissainthe, j’apprécierais vraiment d’identifier le « Gran Lakou » où vous m’avez placée.
Liliane Pierre-Paul, Journaliste
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Texte Original de Gérard Bissainthe
Madame Liliane Pierre Paul voit rouge par Gérard Bissainthe
Madame Liliane Pierre Paul, s’imaginant que Mgr Louis Kébreau parle des "pantalettes roses" de Sweet Micky a vu subitement rouge et est sortie de ses gonds. Devant la stagnation actuelle on peut comprendre son exaspération. Mais il faut quand même préciser qu’à aucun moment le prélat haïtien n’a parlé de la couleur du "kanson" de Sweet Micky auquel il fait allusion dans sa récente déclaration demandant au chef d’Etat haïtien de "mété Kanson nan rein li pou li dirigé pays a." De toute évidence le prélat haïtien se réfère à la fameuse expression du président Paul Magloire qui s’était donné le surnom de "Kanson Fè".
Le glissement de "kanson" à "pantalette" est d’ailleurs dû à une candidate à la présidence qui voulait dire qu’arrivée au pouvoir, le fait qu’elle appartient au sexe féminin ne l’empêcherait pas d’avoir ce qu’il est convenu d’appeler de "mâles vertus". De là à arriver aux "pantalettes roses" de Sweet Micky (qui appartiennent à l’histoire passée de notre actuel président), il n’y a qu’un pas que Madame Liliane Pierre-Paul a franchi un peu trop vite et un peu trop allègrement.
A la vérité ; le mot du prélat haïtien —est-il vraiment besoin de le dire ? — est donc à prendre non au sens littéral, mais au sens figuré. L’Archevêque du Cap-Haïtien se fait l’interprète d’un très grand nombre de personnes qui ont soutenu Michel Martelly en se disant que sa spontanéité, sa fougue, sa détermination, son anticonformisme même étaient et sont encore ce dont un chef d’Etat haïtien a le plus besoin aujourd’hui pour nous sortir de la crise actuelle. Il faut quelqu’un qui soit capable de donner la parole aux actes pour en finir, car la plaisanterie a assez duré. Toutes ces personnes attendaient du nouvel élu qu’il prenne le taureau de nos problèmes par les cornes et le terrasse. Or depuis qu’il est arrivé au pouvoir, il passe son temps ou à se sauver hors du pays, comme s’il en avait peur –bientôt en Argentine, hier à Washington, ou à Miami ou à New York ou en Espagne—, ou à faire de beaux discours, comme on a toujours fait avant lui. Depuis près de trois mois la nation est bloquée et rien ne se règle. Toutes ces personnes pensent qu’elles ont élu quelqu’un qui avait une image de "dur" et qu’elles se retrouvent apparemment devant un "mou" totalement inefficient. Et tout le monde se dit : "Mais où est donc passé cet homme décidé, ce fonceur qui s’appelait Sweet Micky et qui semble aujourd’hui ou impotent ou prisonnier ?" C’est ce mécontentement qui va se généralisant qu’a voulu exprimer, j’en suis convaincu, le prélat haïtien. Une telle conjoncture de désarroi et d’impairs me ramène à la mémoire ces vers de Racine : "Cet esprit d’imprudence et d’erreur, De la chute des rois funeste avant-coureur."
Si rose il y a, il est plutôt du côté de ceux, de quelque bord qu’ils soient, qui veulent faire croire que la situation actuelle est rose et que tout va très bien, Madame la Marquise", sauf qu’on déplore "un tout petit rien", à savoir que le pays est toujours sans PM, sans programme, sans plan, sans direction. Pour d’autres l’actuel Président n’est pas à sa place et doit partir tout de suite pour céder son siège, mais au fond à qui ? A un “déjà vu” ? A un nouveau “sauveur” ? Madame Liliane Pierre-Paul qui pour moi fait partie du “Gran-Lacou” et dont au fond je comprends le ras-le-bol, pourrait-elle nous faire part de la solution rapide et faisable qu’elle a en tête pour sortir du désordre sans entrer dans le chaos ?
Pour ma part je pense qu’au lieu de tomber à bras raccourcis sur le nouvel élu, il faut avant tout essayer de “faire avec”. Il a voulu le poste ; il l’a eu. Maintenant il doit faire le travail en s’entourant de gens capables et compétents. Presque trois mois sans même avoir mis le pied à l’étrier, c’est un record d’impuissance. Ça ne peut plus durer. Ça finira inéluctablement, croyez-en mon plus d’un demi-siècle d’expérience, par sentir le “Bonsoi dan’m” qui arrive toujours quand on s’y attend le moins.
Le prélat haïtien, de toute évidence, a voulu être paternel et même fraternel. Ses conseils sont gratuits. Souvent les conseils gratuits valent beaucoup mieux que ceux pour lesquels on paye très cher.
Gérard Bissainthe 11 août 2011 gerardbissainthe@gmail.com
Commentaire
Ce mini-débat, cette petite guerre de mots entre le professeur Gerard Bissainthe et la journaliste Liliane Pierre-Paul, tout en donnant l'impression de ne pas faire avancer le grand débat de l'avenir du pays, a son importance. Il aura servi de modèle à ceux qui croient que pour discuter, pour réfléchir sur les choses d'un pays qui s'effrite aux mains des politiciens maladroits ou faibles ou de mauvaise foi, il faut s'entre-déchirer. Le contraire n'est donc point une fatalité. On peut s’élever à la hauteur d'un siècle nouveau qui exige de nouveaux instruments de réflexions et de nouvelles dispositions à écouter l'autre.
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