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vendredi 29 juillet 2011

La presse ne se taira pas

Entre le président Michel Joseph Martelly et la presse ce n'est pas le grand amour. L'injonction à se « taire » faite aux journalistes, responsables, selon le président, de la mauvaise image d'Haïti suscite des remous. Outrés, des travailleurs de la presse refusent le silence que le président veut imposer.
Haïti: « Taisez-vous !» Oh que non !, rétorquent en substance des journalistes, outrés et préoccupés par cette injonction du président Michel Joseph Martelly qui, simpliste, impute à la presse la mauvaise image d'Haïti à l'extérieur. « Les propos du chef de l'Etat sont attentatoires à la liberté de la presse », confie, ferme, le secrétaire général de l'AJH, Jacques Desrosiers, méticuleux en égrenant d'autres dérapages recensés depuis la campagne électorale jusqu'à l'accession de l'ex- chanteur au timon des affaires. « L'AJH, souligne Jacques Desrosiers, appelle les journalistes à ne pas se laisser intimider dans la pratique professionnelle et responsable de leur métier d'informer la population ». « La liberté de la presse n'est pas un cadeau, mais un acquis au prix de grandes luttes et de grands sacrifices », rappele Jacques Desrosiers au président.
Pour Daly Valet, directeur général du journal Le Matin, éditorialiste et animateur de l'émission « Vision 2000 à l'Ecoute », la déclaration de Martelly est assez typique des présidents et régimes dont le bilan à montrer est maigre face à une population devenue exigeante et impatiente. « La presse a toujours été le bouc-émissaire idéal dans ces cas-là. Malheureusement, sur ce registre, Martelly est beaucoup plus du côté de la continuité que de la rupture », analyse Daly Valet, pour qui les indices tendent à se multiplier sur la « nature peu tolérante de l'équipe au pouvoir ».
« La presse ne peut se taire,car elle offre une tribune aux revendications du peuple », souligne Gary Pierre-Paul Charles, directeur de Radio Scoop FM et animateur de l'émission « Haïti débat ». « La presse veut le changement total et effectif des conditions de vie de la population qu'elle accompagne. Ce sont les présidents qui n'ont pas donné des résultats,mais pas les journalistes », selon Gary Pierre-Paul Charles.
Alerte, Marie Raphaëlle Pierre, responsable de la rédaction de Radio Ibo,croit que la corporation ne doit pas prendre à la légère les déclarations du président. Comme Jacques Desrosiers, elle souligne que le chef de l'Etat n'est pas à son coup d'essai dans ses attaques contre la presse. « Nous ne devons pas nous laisser intimider, nous devons continuer à diffuser de manière professionnelle et responsable les informations au public », indique Marie Raphaëlle Pierre, animatrice de l'émission « Point du jour ».
« Nous constatons un mauvais état d'esprit de la Présidence de la République vis-à-vis de la presse et la façon dont les journalistes font leur travail. La liberté d'expression est un acquis garanti en plus par la Constitution en son article 28. Tout Haïtien peut s'exprimer en toute matière par la voie qu'il choisit », indique Hérold Jean-François, journaliste senior, directeur général de Radio Ibo.« Le Président Martelly, enchaine-t-il, en prêtant serment sur la Constitution, ne peut se parjurer en méconnaissant ce droit qu'il a juré de défendre. La presse a pour mission d'informer la population, de signaler et de mettre l'emphase sur les blocages et anomalies ».
« Informer sur les réalités est une prérogative de la presse. Informer sur des faits ne saurait constituer une propagande contraire. La presse n'a pas inventé les faits de la réalité haïtienne, le rôle des pouvoirs est de transformer ces réalités pour que les citoyens et la presse aient d'autres sujets de conversation et de reportage», poursuit Hérold Jean-François. Hérold Jean-François a fait remarquer qu'Haïti fait partie du village global. « Si la presse haïtienne serait incapable d'informer adéquatement la population haïtienne et le reste du monde sur nos pesanteurs et nos blocages, la presse étrangère se chargera de le faire à notre place », insiste-t-il.
« La presse haïtienne continuera d'exercer jalousement ses prérogatives d'informer le pays et ce ne sont ni les moyens légaux ni les forces armées à la disposition du Président de la République qui feront fléchir cette détermination de la presse à jouer pleinement son rôle. La presse, c'est le meilleur allié des dirigeants, ce n'est pas en essayant de jouer les censeurs que M. Martelly réussira à la neutraliser ou à obtenir son accompagnement », selon Hérold Jean-François, tranchant comme un couperet.
« Le président Martelly s'embarque dans une dynamique de confrontation contre-productive avec la presse », croit un journaliste souhaitant garder l'anonymat. « Il ne faut pas exclure la probabilité de manoeuvre politique pour distraire l'opinion par rapport aux problèmes réels du début de l'administration de Martelly. J'ai bon espoir que le président comprenne la nécessité de marquer un cran à cette surenchère, aux attaques pour le moins gratuites contre la presse », souhaite-t-il, en reconnaissant que le président de la république Michel Joseph Martelly a fait preuve de maladresse en imputant la responsabilité de la mauvaise image du pays à l'extérieur uniquement aux journalistes.
« C'est simpliste, caricatural. Cela illustre en outre l'ignorance des causes profondes du sous-développement du pays dont la pauvreté est effectivement le fond de commerce d'ONG et d'autres organisations internationales », analyse-t-il en espérant qu'il n'est pas trop tard pour mettre fin à ces attitudes et confrontations stériles dont les conséquences sont toujours regrettables.
« Le président devrait être le premier à savoir que les Haïtiens n'accepteront plus de babouket», conclut-il sur une pointe d'ironie loin de masquer ses inquiétudes.

Roberson Alphonse
ralphonse@lenouvelliste.com

Commentaire
Voilà ce qu'il nous fallait! Une presse en alerte et qui dit ce qui se passe. Si c'est le droit du président de faire son travail, essayer d'utiliser la presse comme bouc emissaire n'en fait pas partie. Il a donc mal choisi sa cible. Car c'est aussi le droit de la presse de se defendre. Trop de sacrifices ont été supportés jusqu'à présent pour que la presse se taise précisément maintenant. Du respect pour le président, mais du respect aussi pour la presse. Ni plus ni moins!

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