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dimanche 18 septembre 2011

Crise de confiance : le point de vue d'un expert

James Boyard est politologue, juriste et professeur d'université, diplômé de l'Ecole nationale d'administration (ENA) et de la Sorbonne. Fin connaisseur des questions internationales et juridiques, il est l'auteur d'un ouvrage intitulé «L'ONU et les Opérations de maintien de la Paix» sorti en 2010. Cet ancien auditeur de l'Académie de droit international de la Haye (Pays-Bas) donne sa lecture des allégations imputées à la Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (Minustah) et convie celle-ci à négocier avec les autorités du pays et à accorder des réparations aux victimes des agissements des Casques bleus.
Haïti: Du choléra aux viols, les récriminations n'ont pas manqué contre les membres de la mission onusienne en Haïti, arrivée dans le pays depuis 2004 pour une cause noble. S'ils ont amplement réussi à pacifier un pays qui était au bord de l'éclatement, les opinions sur leurs succès divergent. La mauvaise humeur qui n'a eu de cesse de s'amplifier a poussé une centaine d'étudiants à manifiester brièvement mercredi, dans la zone du Champs de Mars à Port-au-Prince, pour réclamer le départ de Minustah. Pour les uns, il pourrait s'agir d'un malaise au sein de la société haïtienne, après la divulgation des rapports sur la provenance du choléra. Cette épidémie a fait plus de 6000 morts en Haïti. Autre source de préoccupation: les ébats sexuels qu'auraient infligés à un jeune des membres du contingent uruguayens basés à Port-Salut (sud d'Haïti).
Le ministère haïtien de la Santé publique a récemment corroboré les allégations des rapports qui montrent du doigt, sans les citer nommément, des mains d' éléments de la Minustah, dans le mystère de l'épidémie de choléra.
De nombreuses voix dans la classe politique et au sein de la société civile se sont élevées pour exprimer leur désapprobation des faits imputés à la mission onusienne dans le pays depuis 2004. Si les enquêtes de spécialistes s'avéraient indubitables, seraient-ils possible au regard du droit international de prendre des sanctions contre la Minustah? Pour James Boyard, les agents de la Minustah jouissent d'une certaine immunité de juriduction. Par conséquent, l'Etat haïtien ne saurait intenter une action en justice contre un Casque Bleu. Cette situation est liée à leur statut qui est négocié à travers un accord entre le gouvernement haïtien et les Nations unies. «Il s'agit d'un statut assez standardisé qui permet, à chaque fois que l'ONU va intervenir quelque part, à ses agents de bénéficier des immunités», explique-t-il. Mais il ajoute que, malgré cette couverture, les agents fautifs peuvent êtres poursuivis chez eux, à travers leurs propres juridictions nationales respectives, s'il s'agit de crimes de droit commun. Tout dépend de la nature de l'infraction. «S'il s'agit d'un autre crime, les Nations unies ont la compétence pour saisir la Cour pénale internationale de la Haye (CPI). Mais heureusement, nous n'en sommes pas encore là», commente le juriste.
L'autre dilemme est que l'identité des personnes qui auraient introduit les germes du choléra en Haïti n'a jamais été révélée. Et jusqu'à aujourd'hui, la mission onusienne rejette toujours du bout des lèvres les accusations portées contre ses membres sur la question du choléra. Ce refus d'admettre sa responsabilité compliquerait la tâche, selon James Boyard. «Il y a des rapports internationaux, des rapports objectifs qui pointent du doigt la Minustah. Mais, malheureusement, les Nations unies ont refusé jusqu'à présent de prendre leurs responsabilités », déplore le juriste, qui estime que c'est pour cela que les Nations unies sont impopulaires dans le pays. Selon sa lecture de la situation, si l'organisation admettait ses responsabilités dans la question du choléra et s'engageait à assumer les réparations, notamment en versant des indemnités aux ayants droit, la population haïtienne aurait mieux apprécié la présence des Nations unies. «Après environ sept ans, la population est insatisfaite du travail réalisé par la Minustah», relève le professeur Boyard, qui, par comparaison avec les autres pays où règnent des guerres civiles ou des turbulences politico-ethniques, plaident pour une redéfinition du mandat de la Minustah. Questionné sur les implications politiques et sociologiques d'une acceptation par la Minustah des griefs qui lui sont reprochés, James Boyard répond que c'est un paradoxe, puisqu'il s'agit d'un organisme des Nations unies prônant les droits de l'homme et la bonne gouvermance. Il ne voit pas comment l'ONU ne pourrait pas prêcher l'exemple. Leur mea culpa aurait calmé les opinions publiques nationales, lance James Boyard, d'un air agacé.
Le droit international permet-il de sanctionner une organisation internationale? La réponse du professeur est affirmative: «Une organisation internationale est un sujet du droit international, presque au même titre que l'Etat, sauf que l'Etat est un sujet premier et entier. Le droit international reconnaît la responsabilité. La responsabilité internationale d'une organisation peut être engagée devant un tribunal arbitral, par exemple. Mais il faut bien que les Nations unies acceptent de reconnaître la compétence de cette cour. Pour éviter une telle confrontation, il faut engager des négociations diplomatiques, suggèrent James Boyard, qui est convaincu que les Nations unies peuvent négocier les conséquences de leurs actes en entamant des pourparlers diplomatiques et la prise en charge des ayants droit des victimes. Cependant, il déplore qu'en dépit des rapports si convainquants sur le choléra, les Nations unies cherchent néanmoins à préserver leur crédibilité en Haïti, provoquant l'effet inverse.
A propos de la position du gouvernement haïtien située aux antipodes des courants d'opinions favorables à un certain pragmatisme envers la Minustah, James Boyard rappelle qu'il est du devoir d'un gouvernement de protéger sa population, qui fait partie de ses intérêts vitaux, et d' exiger que les Nations unies prennent au moins en charge les familles des victimes à travers des indemnisations.
Rien ne permet de voir le bout du tunnel pour l'instant. La question reste complexe. Les courants d'idées sur les responsabilités contrastent avec la volonté réelle de dire la vérité, toute la vérité. En ce moment délicat, ni le gouvernement ni la Minustah ne semblent prêts pour des confessions ou des concessions. Fort heureusement, l'ONU semble finalement afficher une volonté de diligenter une enquête sur les cas de viol attribués à ses agents en Haïti.

Belmondo Ndengué

http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=97204&PubDate=2011-09-16

Commentaire
Une analyse extrêmement mesurée, objective et intelligente! Maintenant reste à savoir si l'ONU va adopter une attitude qui démente la présomption de mépris envers le peuple d'Haiti qui pèse sur elle. En effet comment une organisation qui prétend protéger les droits de la personne peut-elle, sans compromettre sa propre réputation, affecter, porter atteinte au droit le plus sacré d'un être humain? Le droit à la vie, dans le cas des victimes du choléra. Mais aussi le droit à la dignité de la victime de viol du jeune homme de 18 ans. Il est temps que le gouvernement haïtien adopte un comportement qui indique qu'il protège ses citoyens. Attendons, mais ne tournons point le dos à la défense des droits d'un peuple qui en a les mêmes que les autres!

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