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vendredi 8 juillet 2011

Gousse: un élément, pas l'ensemble

Haïti: Cheveux roux passablement dégarnis, regard pénétrant, voix "d'anchorman" et une force de caractère perceptible dès le premier contact: c'est Bernard Gousse. A 52 ans, il s'est taillé un nom comme juriste en Haïti.
Mais, de la toge à la rue, dans les manifs d'étudiants contre le régime de Jean-Bertrand Aristide entre 2003 et 2004, l'homme s'était fait connaître. Sa persistance à affronter les gaz lacrymogènes et les pierres l'a catapulté au ministère de la Justice dans le premier cabinet du gouvernement de transition mis en place après la chute d'Aristide.
"GNB pur et dur, il était taillé pour le boulot", disait-on à l'époque de ce technocrate en qui les militants de la mouvance lavalas, bien embusqués au Parlement, voient un ennemi. Ils veulent s'offrir une revanche dorée sur l'ex premier flic de Latortue.
Comme toujours en Haïti, on est simpliste et on aime les boucs-émissaires, au point de faire croire que Bernard Gousse est, à lui tout seul, responsable de ces années de folie de l'opération Bagdad, des centaines de morts de civils, de policiers, des opérations commandos et des carnages dans les bidonvilles réputés favorables à Jean-Bertrand Aristide, où il y avait effectivement une guérilla urbaine formée, alimentée et financée.
Ceux qui avaient décidé de l'opération de résistance et qui avaient promis "les ténèbres jour et nuit si la flamme de la démocratie s'éteignait", devront aujourd'hui s'expliquer sur ces années sombres, troubles, difficiles au cours desquelles des Haïtiens se sont entre-tués.
"L'armée du Nord" de Guy Philippe et de Louis Jodel Chamblain a existé, les exactions contre des commissariats et des infrastructures ont bien été perpétrées aux Gonaïves et dans le Plateau central. Dans un camp comme dans l'autre, c'était la folie. Hideuse. Malsaine. Honteuse.
Gérard Latortue n'est pas questionné. Lui qui avait dit vouloir chercher des armes et des munitions au marché noir pour contourner l'embargo des États-Unis. Il n'est pas non plus inquiété d'avoir confessé, comme un gamin : "yo tire sou nou, nou tire sou yo tou wi".
Au ministère de la Justice à l'époque et étant supérieur direct du chef de la PNH, Bernard Gousse était aux premières loges. Pour savoir ce qui se passait et aussi pour prendre des décisions aujourd'hui passées au peigne fin. Son obstination à maintenir en prison, selon ce qu'on dit, l'ex-premier ministre Yvon Neptune, contre l'avis des tenants des officines décidant de vie et de mort, a effectivement fait de l'avocat une bête aussi noire que le noir de sa toge de disciple de St-Yves, défenseur des faibles, de la veuve et de l'orphelin. Un avocat qui se rebiffe face à l'obligation de respecter les droits humains, cela fait désordre. Il n'y a pas photo, mais Gousse est la caricature parfaite du bourreau.
Mais aussi, comment demander à un militant, à un manifestant GNB de transcender face à l'ennemi d'hier. Erreur de calcul, s'il en était.
Toujours est-il, c'est important de rappeler que la configuration du gouvernement après 2004 a été en grande partie décidée par les Américains. Gérard Latortue était sorti dans les manches du "Blanc" comme on dit. Et personne ne voyait venir Boniface Alexandre, président de la Cour de Cassation, un homme tranquille, loin des combines politiciennes.
La facture salée de ces moments difficiles doit être collective, endossée par tous les concernés et Bernard Honorat Gousse ne peut pas et ne doit pas être un élément retiré de l'ensemble.
Entre-temps, Julian Assange et son fameux site Wikileaks révèle bien des secrets.
Qui et quand décidera-t-on de revenir sur le passé des uns et des autres dans un pays qui va de rebondissement en rebondissement disons depuis 1957 pour ne pas remonter au déluge.
Là encore, on exposera, analysera, dans chaque cas, une partie de la réalité sans souligner des subtilités, des tenants et des aboutissants. On voudra destabiliser aujourd'hui celui-ci, demain celui-là. Sans prendre le temps de comprendre ce qui s'est passé, et le jeu des acteurs.
Comme aujourd'hui, un certain Bernard Gousse, dans ses pérégrinations afin de devenir Premier ministre d'un pays encore plus exsangue après le séisme, va être mis à nu avant d'être porter aux nues. Ou l'inverse.


Roberson Alphonse
ralphonse@lenouvelliste.com
Coney Island, New York

http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=94665&PubDate=2011-07-07

Commentaire
Pays étrange entre tous, Haiti! C'est un lieu de pérégrination pour les ex-criminels, le peuple étant amnésique, mais c'est aussi un lieu d'entrainement pour les apprentis dictateurs, ce territoire aura tout vu dans l'espace de 207 ans d’indépendance, sauf le bout du tunnel où les tortionnaires professionnels, comme une ligue secrète où les initiés se relaient avec fidélité, l'ont depuis longtemps immergé. Le problème, c'est qu'il y a, il devrait y avoir un moment où ces atrocités touchent à leur fin. Sinon, ce sera la pagaille permanente. Les Toto Constant, les Guy Philippe, les Cedras, les Ti-Boulé, et bien d'autres encore, ont rendu un service indésirable à cette nation qui peine à se construire. Ce n'est pas en assassinant des innocents qu'on acquiert la force morale de combattre un politicien obsédé par le pouvoir. Lorsque le coup d’état de 91 contre Aristide a été infligé au pays, Aristide avait certainement commis pas mal d'extravagances, mais pas assez pour plonger le pays dans l'enfer que nous savons. Alors que quand il a vraiment assumé le crime comme méthode de gouvernement, après l'exile, voulant concurrencer d'autres anti-héros latino-américains, il avait franchement choisi. Mais dans un cas comme dans l'autre, les combattants de la démocratie, pour être dignes de cette lutte, doivent se donner des limites, des normes à respecter. Mêmes les adversaires sont dignes de respect dans une société civilisée. Le vaincu d'aujourd'hui risque d’être le vainqueur de demain. Sinon, quel exemple pour ceux ouvrent leur porte aux défenseurs des principes dits démocratiques. On ne peut intimider ceux que l'on prétend libérer. Cependant, s'il y a un temps pour essayer de commencer quelque chose, c'est maintenant, car les excès, on ne l'a que trop vu, provenaient de part et d'autre. Parmi les trois noms autour desquels le gouvernement et le parlement se disputent (au lieu de discuter) on devrait pouvoir en retenir un, non par sympathie pour le personnage - car chacun des trois a sa zone d'ombre - mais pour le bien du pays et au nom de cette même démocratie qui implique toujours un minimum de concession a l'adversaire. Le pays d'abord, ce ne serait pas un slogan oiseux! Et puis, quelqu'un a-t-il une meilleure formule pour rester dans le cadre des prévisions de la constitution?

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