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lundi 18 juillet 2011

Qui a peur de Monsieur Bernard Honorat Gousse ?

Haïti: par Robert Jean-Louis

Nous vivons dans un pays constitutionnellement dirigé par un exécutif bicéphale, dont l'une des têtes - celle du président de la République - émergeant de joutes électorales, est porteuse de projets sociaux, et l'autre, - celle du Premier ministre -, émanation de la première, n'existe que pour faire bénéficier à la population les réformes promises.
La tête pensante, si intelligente soit-elle, ne peut rien, quasiment rien, sans son alter ego agissant.
C'est dans cette situation préoccupante que se trouve notre pays, du fait de ne pas avoir un Premier ministre accepté par le Pouvoir législatif. Il y a bien une deuxième tête, mais elle est zombifiée, obligée qu'elle est, selon les prescrits constitutionnels, d'expédier les affaires courantes.
Le chef de l'État a d'abord offert à la nation un citoyen de grande valeur, Monsieur Daniel Gérard Rouzier. Très peu pour nous, lui ont presque répondu en choeur les députés fraîchement élus. Vous voulez nous imposer un Premier ministre jamaïcain, qui n'est, de surcroît, même pas reconnaissant envers son pays d'accueil : il s'enrichit impudemment, alors qu'aucun geste n'est fait pour renflouer les caisses de l'État. Arguments éminemment fallacieux, évidemment .
Suite à cette déconvenue, Monsieur Michel Martelly a porté son choix sur Monsieur Bernard Honorat Gousse. Cette fois, c'est au tour des sénateurs de prendre la mouche.
Pourquoi cet acharnement à contrer toute velléité de mise en place d'un gouvernement conduit par des hommes (les féministes voudront bien m'excuser puisque, dans ma caboche, le mot homme inclut tout aussi bien les femmes) reconnus pour leur compétence et leur probité ?
La réponse est peut-être cruelle, mais elle est réelle. On ne veut pas de ces gens-là au timon des affaires car on pourra difficilement bénéficier de certains « privilèges ». Ces gens-là sont politiquement incorrects. Pour tout dire, ils gênent. Une couleuvre, celle de M. Martelly, est déjà passée, bien difficilement il est vrai. Mais nom de Dieu, on ne nous fera pas avaler une deuxième!
Contrecarrer cette dérive institutionnelle devient un impératif car il y va de la survie même de l'État qui semble être pris en otage par un pouvoir législatif totipotent. La Constitution donne au pouvoir exécutif la possibilité d'intervenir à deux niveaux : d'abord, au niveau du choix du chef de gouvernement, puis au moment de la présentation de la politique générale de ce dernier par devant chacune des deux Chambres. Le niveau I est du ressort exclusif du chef de l'État, le niveau II nécessite les actions concertées du Premier ministre et du président de la République.
Le chef de l'État face au pouvoir législatif
Si le chef de l'État à la prérogative de choisir son Premier ministre, il a également la charge de « veiller au respect et à l'exécution de la Constitution ».
Le choix du premier ministre, une prérogative présidentielle
Le Premier ministre est choisi par le président de la République. C'est là une exigence constitutionnelle. Et ceci, quelles que soient les conditions de température et de pression au niveau des Chambres.
Il est vrai que le chef de l'État doit faire son choix en consultation avec le président du Sénat et celui de la Chambre des députés. Mais s'il est tenu de leur demander leur avis, qu'il prendra vraisemblablement en compte, il n'est pas néanmoins lié ni par celui du président-sénateur ni par celui du président-député.
En fait, il tient de ces deux personnages des renseignements d'une extrême importance quant à la configuration des deux Chambres : les partis politiques représentés au Parlement (à la Chambre haute et à la Chambre basse), les noms des chefs de partis et ceux de leur directoire, leur programme politique, les regroupements éventuels de ces partis en blocs, la durée des mandats des sénateurs...
La Constitution fait au chef de l'État un crédit d'intelligence. Les parlementaires signataires de la pétition, par le fait de forcer le chef de l'exécutif à revoir sa copie avant même la réception des pièces du Premier ministre désigné, selon les normes constitutionnelles, ont prouvé leur total irrespect vis-à-vis de la fonction présidentielle.
Où est donc cette sérénité dont on brûle tellement d'envie de sentir transpirer chez un sage ?
Faire respecter les prescrits de la Constitution, un devoir du président. Quand les choses ne vont pas bien, quand les choses ne sont pas à leur place, il faut chercher le nord. Et notre boussole est la Constitution.
Le citoyen ou la citoyenne désignée par le président de la République pour être premier ministre peut se présenter indifféremment soit par devant le Sénat soit par devant la Chambre des députés pour remettre les pièces réclamées à l'article 157 de la Constitution.
Dans le cas de Monsieur Gousse, les pièces à présenter seraient les suivantes :
1° son acte de naissance prouvant qu'il est né Haïtien;
2° l'acte de naissance de son père prouvant que lui aussi est né Haïtien. Cette pièce suffit à établir la qualité d'Haïtien d'origine, selon la Constitution de 1957, sous l'égide de laquelle est né Monsieur Gousse ;
3° une déclaration faite sur l'honneur (il existe encore des citoyens qui connaissent encore la valeur de ce mot !) disant qu'il n'a jamais renoncé à sa nationalité haïtienne ;
4° un certificat émanant soit du ministère de la Justice soit des services de police disant qu'il n'a jamais été condamné à une peine afflictive et infamante, qui pourrait être assortie de la privation de la jouissance des droits civils et politiques ;
5° une attestation du Barreau de Port-au-Prince affirmant qu'il est régulièrement inscrit à l'Ordre;
6° une attestation du juge de paix (ou du maire) du lieu de son domicile disant qu'il réside dans la localité depuis au moins 5 ans.
7° le décret publié sous l'administration de Monsieur Gérard Latortue, alors Premier ministre, accordant décharge de leur gestion à un certain nombre de citoyens ayant été comptables des deniers publics, dont Monsieur Gousse, ancien ministre de la Justice.
Les prescrits de l'article 157 sont alors respectés. Gageons que cette fois la commission sénatoriale n'aura pas à déceler des irrégularités dans le dossier.

Toutefois, les parlementaires ayant pour devise « Pourquoi faire court quand on peut faire long », vous vous trompez dans de grandes largeurs si vous pensez que l'équation : 9 commissaires étudiant un ensemble de 7 documents d'une page chacun « égalent » 48 heures.
Tout est donc limpide quand on se réfère à la Constitution, et, comme le dit si bien le brocard, interpretatio cessat in claris, c'est-à-dire que quand un texte est clair, il n'y a pas à l'interpréter, toute demande additionnelle faite au candidat Premier ministre par l'autorité parlementaire apporte avec elle au minimum un parfum de manoeuvre dilatoire. A un degré de plus, qualifiée d'excès de pouvoir, elle est sanctionnable. Car, il est une réalité qui veut qu'une autorité, quelle qu'elle soit, ne dispose pratiquement jamais d'un pouvoir originaire illimité. Si elle ne respecte pas les limites qui lui ont été posées par la Constitution - ou par la loi -, elle agit ultra vires. Les parlementaires ont fait le serment de faire respecter la constitution. Ils ne doivent pas lui faire dire ce qu'elle n'a jamais dit. Pas de résolution prise infra petita donc - elle ne peut être constitutionnelle - ni de résolution ultra petita - elle n'est pas non plus constitutionnelle.
Les chefs d'État et de gouvernement font face au pouvoir législatif
En toute logique - on voudrait nous faire croire qu'en politique il n'y a pas de logique -, ce n'est qu'après avoir reçu validation de ses pièces que le premier ministre désigné entre dans l'arène politique pour de vrai. Les grandes manoeuvres peuvent alors commencer.
Le Premier ministre désigné n'est toutefois pas seul sur le champ de bataille ; il reçoit l'appui du président de la République qui doit veiller au grain. Ces deux chefs de l'exécutif, l'élu et le pressenti, doivent accorder leurs violons. Ils doivent se mettre d'accord sur la déclaration de politique générale ; ils doivent se mettre d'accord sur la formation du gouvernement.

Le programme de politique générale
Tenir le gouvernail de la barque nationale signifie qu'il y a déjà une voie tracée et une direction à suivre. C'est cette route que le président de la République, de concert avec le Premier ministre, mais aussi avec les chefs de partis politiques, tout spécialement ceux représentés au Parlement, doit construire. Le président a présenté un programme de campagne sur lequel ou plutôt grâce auquel il a été élu ; le Premier ministre a ses petites idées, et parfois même plus ; les partis politiques ont leurs programmes de gouvernement déjà bien charpentés. Il faut permettre à ces derniers d'inclure certaines de leurs priorités dans le programme de politique générale avec promesse ferme du Premier ministre de les faire avancer comme s'il s'agissait des siennes propres. C'est grâce à ces négociations au sommet qu'un parti politique peut espérer voir mettre en pratique les grandes idées sans lesquelles il n'aurait aucune raison d'être. C'est aussi grâce à ces négociations que se constitue une majorité politique au Parlement.
La politique générale que doit conduire le chef de gouvernement n'est alors ni celle de Monsieur Martelly ni celle de Monsieur Gousse ; elle est, dans les faits, une politique née de discussions patriotiques menées par les membres influents de la classe politique, dans un réel respect mutuel.

La formation du gouvernement
Le premier ministre ne peut toutefois pas mener ce projet à bon port sans le concours d'hommes et de femmes du pays, qu'il faut sélectionner en fonction de leur compétence et leur probité. Le choix n'est pas facile, surtout qu'il n'est pas toujours laissé à ce futur responsable toute la latitude nécessaire. Les négociations passent aussi par là. Chef d'équipe, le Premier ministre se doit de rencontrer chacun de ses futurs ministres individuellement, les écouter pour savoir les points qu'ils considèrent comme prioritaires, leur parler pour leur faire savoir ce qu'il attend d'eux.... Il est important pour lui de savoir les « plus » et les « moins » de chacun des futurs collaborateurs... Le Premier ministre désigné doit se construire une équipe de battants, une équipe qui doit à tout prix gagner.
Alors, qui a peur de Monsieur Gousse ? Qui a eu peur de Monsieur Rouzier ? Qui aura peur de Monsieur X. ou de Madame Y. dans un proche avenir, en cas de non acceptation de Monsieur Gousse ?, car, il faut penser que Monsieur Martelly aura à coeur de présenter, à nouveau, un citoyen ayant le même profil, avec peut-être cette fois-ci, en sus, un total anonymat politique. Alors ?
pourquoi ces hommes et ces femmes, chez qui on ne peut découvrir qu'un seul défaut, celui d'être droits dans leurs chaussures (donc ayant peu de chance de se laisser conter !), deviendraient-ils des pestiférés, à un point tel qu'ils seraient interdits de se présenter au Sénat. Sont-ce donc vraiment ces citoyens-là qui puent ?, ou plutôt...
Pourquoi, Messieurs et Mesdames les parlementaires, ne pas leur ouvrir toutes grandes les portes de votre tribune, leur donnant ainsi l'occasion de pouvoir s'exprimer devant vous et devant la nation toute entière? Let the sunshine in !
Nous sommes tous fatigués de ces guerres de tranchées. Nous sommes fatigués d'entendre à longueur d'émissions radiophoniques des propos désobligeants tenus par des sénateurs de la République (nos supposés modèles) sur des hommes et des femmes de notre pays.
La raison de ce refus délibéré d'utiliser leur propre tribune. La peur de subir la contradiction. Ils craignent de ne pas pouvoir « soutenir le compas » face à un Premier ministre qui leur est largement supérieur intellectuellement et qui est décidé à en découdre brillamment sous le regard des caméras.
A Monsieur le député de Croix-des-Bouquets de faire mentir les paroles qu'il a trop facilement placées dans la bouche de Monsieur Gousse, et qui ne sont en fait que celles de l'homme de la rue.

Il n'y a cependant rien à craindre du côté des candidats à la fonction de Premier ministre.
Je crois savoir que Monsieur Bernard Gousse, comme avant lui, Monsieur Daniel Gérard Rouzier, et comme après lui, Monsieur X. ou Madame Y. est quelqu'un qui voit grand, qui voit pays, donc qui est capable de transcendance.
Ni l'un ni l'autre ne sont de mauvais bougres. Ils ne sont pas les Big Bad Wolf, les Grands méchants loups de la comptine . Ces messieurs et ces dames sont, évidemment des humains ; ils ne sont par ailleurs ni grands ni méchants.
Ils sont là pour changer le visage de l'administration !
Ils sont là pour changer le visage de l'État !
Ils sont là pour changer l'image du pays.
Et c'est parce que ces citoyens sont animés d'une profonde volonté de changement que nous leur souhaitons toute la réussite possible.


Robert Jean-Louis
http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=94946&PubDate=2011-07-15

Commentaire
La vie d'un pays est en jeu mais les sénateurs veulent jouer à un jeu dangereux, macabre même. Ils veulent continuer à manigancer pour préserver leurs privilèges sans faire le travail qui vient avec. C'est une manière peu honnête de faire de l'argent, mais dans un pays comme Haiti, c'est un crime. Si du moins ils disaient clairement ce qui fait de Bernard Gousse un personnage peu qualifié pour le poste, ils nous épargneraient tellement de temps et d'attentes inutiles! Or pour un pays sous-développé c'est grave, c'est terrible. Peut-être devraient-ils voyager un peu plus pour savoir ce que cela veut dire. Et pourtant il y a Internet qui permet de voir, de comparer, d'apprendre à beaucoup moins de frais. Réveillez-vous, messieurs, que le temps presse, la nation haïtienne n'en peut plus! Oubliez ne serait-ce qu'un tout petit moment vos intérêts personnels! Votre comportement n'est pas moins cruel qu'un génocide. Sauf que vous tuez à petit feu.

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