Depuis le séisme du 12 janvier dernier, les ONG financent à coup de millions de dollars américains des projets d'urgence de distribution d'eau gratuite dans les camps d'hébergement et dans certains quartiers défavorisés du pays. Des inquiétudes s'installent déjà avant même la fin de ces programmes qui suppléent à l'incapacité de l'Etat haïtien à étancher la soif de ses citoyens.
Haïti: Si l'administration Préval/Bellerive a jugé bon de ne pas autoriser les ONG à poursuivre la distribution d'aide alimentaire aux survivants du séisme du 12 janvier, tel n'est pas le cas en ce qui concerne l'eau potable. A moins d'un an depuis la terrible catastrophe, de l'eau, supposément chlorée, continue de couler dans les réservoirs installés dans divers camps d'hébergement.
Projets d'urgence et après ?
L'épidémie de choléra qui prend sa source dans la consommation de l'eau polluée sert de prétexte aux ONG pour ne pas laisser tomber le secteur de l'eau potable. Les projets d'urgence vont, sans aucun doute, continuer au-delà du 31 décembre de cette année, la date que les ONG retenaient pour s'arrêter avec la distribution gratuite de l'eau.
S'il est certain que de l'eau chlorée va continuer à couler gratuitement dans les récipients des survivants du séisme dans les camps, il est aussi certain que ces programmes vont s'arrêter un jour. Les responsables des ONG disent travailler de concert avec les autorités haïtiennes en vue de ne pas laisser aux abois la population à la fin des programmes d'urgence. « On veut que les gens aient toujours accès à l'eau potable, même à la fin des projets d'urgence de distribution d'eau. C'est pourquoi les ONG, notamment l'OXFAM, travaillent de concert avec la DINEPA à la réparation des kiosques et des réservoirs endommagés par le séisme », a fait savoir Raïssa Azzalini, responsable de la promotion d'hygiène attachée au camp du terrain de Club de Pétion-Ville
Seule, la réparation des infrastructures hydrauliques endommagées par le séisme du 12 janvier dernier ne peut pas permettre à toute la population haïtienne d'avoir accès à l'eau potable. D'importants investissements sont aussi nécessaires dans le secteur. Le directeur de la CAMEP, l'ing. Pétion C. Roy, qui s'apprête à laisser son poste le 31 décembre le sait bien. « Il existe sept forages déjà identifiés à Pernier. On doit les équiper en vue d'agrandir le réseau d'adduction d'eau potable dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince », a-t-il suggéré. Il existe aussi, dit-il, une source à Mariani ainsi que des forages dans la zone de Léogâne qu'on doit aussi exploiter ».
Des millions pour l'eau gratuite
L'ONG Action contre la faim (ACF) distribue à elle seule 68 camions, soit 2.5 millions de litres d'eau par jour dans les 177 points d'eau qu'elle approvisionne. « Nous travaillons sous l'égide de la (Direction nationale d'eau potable et d'assainissement (DINEPA), en vue de permettre à un plus fort taux de la population haïtienne d'avoir accès à l'eau potable », a précisé Lucile Grosjean, responsable de la communication et du plaidoyer à l'ACF. Elle a, par ailleurs, rappelé que seuls 30% de la population de Port-au-Prince avaient accès à l'eau potable avant le meurtrier séisme du 12 janvier 2010.
L'OXFAM est aussi impliquée à fond dans la distribution de l'eau dans les camps. Plus de 45 camps d'hébergement sont approvisionnés en eau par l'ONG qui a commencé à travailler dans le secteur avant même la catastrophe. Quelque 31 camions d'eau sont distribués quotidiennement au camp situé sur le terrain de Pétion-Ville Club, l'un des plus importants camps de sinistrés dans le pays. Une somme de 1860 dollars américains est investie par jour par l'ONG pour cette opération.
L'ONG Secours islamique France, qui s'est installée dans le pays à la faveur du séisme de janvier dernier approvisionne 18 camps en eau potable. « Nous comptons fournir 620 camions d'eau au total sur 31 jours dans les camps », a indiqué Nadica Rinic, coordonnatrice de l'ONG islamique en Haïti.
La DINEPA, au lendemain du séisme du 12 janvier, était aussi impliquée dans la distribution de l'eau gratuite dans les camps. « La DINEPA a dépensé plus de $US 2 millions pour la fourniture quotidienne et gratuite de l'eau potable dans 200 sites de rassemblement et dans plus de 200 kiosques répartis sur toute l'aire métropolitaine, atteignant ainsi environ 800 mille personnes », a fait remarquer un rapport mis en ligne sur le site de l'institution appelant à remplacer la CAMEP et le SNEP.
Qui contrôle la qualité de l'eau distribuée?
Toutes les ONG évoluant dans le secteur de l'eau potable interrogées dans le cadre de ce travail jurent par les grands dieux que l'eau qu'elles fournissent dans les camps d'hébergement est potable. Les règles pour la distribution de l'eau sont fixées par le groupe de travail sur l'eau (Wash cluster), piloté par la DINEPA. « Nous distribuons de l'eau traitée, et demandons un certificat sur la qualité de l'eau comme recommandé par la Cluster Wash - DINEPA », a affirmé la responsable de Secours catholique France.
Les responsables de l'OXFAM donnent aussi la garantie que l'eau fournie aux sinistrés est potable. « Nous traitons l'eau au chlore depuis la source », a affirmé Raïssa Azzalini. Nous prendrons toujours le soin, a-t-elle ajouté, d'effectuer un 2e test après avoir déversé l'eau dans les réservoirs placés dans les camps pour s'assurer de sa potabilité.
Sûre de la potabilité de l'eau fournie par l'OXFAM dans les camps, Raïssa Azzalini dit n'avoir aucune crainte pour la santé des gens consommant l'eau distribuée par son organisation. « Notre crainte, c'est pour les gens vivant dans les bidonvilles et qui n'ont pas accès à l'eau potable », a-t-elle déclaré, soulignant que l'hygiène et l'assainissement sont les deux principaux champs d'intervention de l'OXFAM.
Comme toutes les autres organisations, Action contre la Faim donne toute la garantie que l'eau qu'elle distribue dans les camps et dans certains quartiers populaires ne représente aucun risque pour la santé des bénéficiaires. L'ACF puise une bonne quantité de l'eau distribuée quotidiennement dans le forage de la CAMEP à Turgeau. Un système de traitement au chlore, a constaté Le Nouvelliste, est installé sur le site par les responsables de l'ACF dans le cadre d'un partenariat avec la CAMEP. Huit millions de dollars américains sont dépensés depuis janvier 2010 par l'ONG pour son programme eau, assainissement et hygiène au profit des survivants du séisme.
Une pompe d'eau brute, une autre pompe doseuse et un filtre à charbon permettent à l'ONG de contrôler le chlore résiduel dans l'eau. « Un deuxième contrôle du chlore est effectué après la livraison de l'eau dans les camps », a assuré Clifford Primot, technicien-opérateur travaillant pour le compte de la CHF. Une partie de l'eau traitée par l'ACF est distribuée à la population vivant dans les parages du forage de Turgeau.
De doute en doute
Avec l'apparition de l'épidémie du choléra dans le pays, les responsables des ONG disent augmenter leur vigilance dans le traitement de l'eau fournie dans les camps. Malgré tout, l'eau des ONG ne gagne pas totalement la confiance des bénéficiaires. « La plupart des gens ne veulent pas consommer l'eau distribuée au camp, a reconnu Raïssa Azzalini. « L'eau qu'on nous donne est de mauvais goût, on ne la boit pas », a affirmé Régis, un jeune dans la trentaine, habitant le camp de sinistrés dans les parages de la Hasco.
Au camp de Pétion-Ville Club où Oxfam est en charge de l'eau potable et de l'assainissement, c'est un mini système qui est installé pour distribuer le précieux liquide dans tous les recoins de ce vaste camp où vivent environ 60 000 personnes. Alors que le réservoir principal alimenté régulièrement est installé au sommet d'une colline, des tuyaux en PVC bleu parcourent les corridors entre les tentes faites de bâches pour amener l'eau là où les gens en ont le plus besoin. Pourtant bon nombre de bénéficiaires s'entêtent d'ajouter du chlore à l'eau déjà chlorée, quand d'autres la boivent sans se poser de question.
Peu habitués au goût de l'eau chlorée, bon nombre de gens vivant dans les centres d'hébergement préfèrent l'eau traitée par la méthode d'osmose inversée. Si les gens ne consomment pas l'eau fournie par les ONG, ce n'est pas simplement pour une question de goût. « L'eau qu'on nous donne n'est pas potable. C'est pourquoi on ne la consomme pas », a dit Auguste, une victime du séisme réfugiée au Camp de la Place Fierté à Cité Soleil.
Il n'y a pas que les refugiés internes vivant dans les camps qui émettent des doutes sur la potabilité de l'eau distribuée dans les camps. « Même si l'eau est chlorée, le nettoyage des camions-citernes utilisés pour le transport reste un sujet préoccupant », a lancé, sous couvert de l'anonymat, un spécialiste de l'eau potable qui prête ses services à une institution publique évoluant dans le secteur. Pas étonnant que la plupart de ces camions-citernes étaient affectés avant le 12 janvier dans le transport de produits pétroliers. « Ce qui représente un risque pour la santé de la population », a jugé le spécialiste.
« Nous avons la certitude que les compagnies que nous embauchons pour le transport de l'eau évoluaient toujours dans le secteur, a réagi Lucile Grosjean de l'ACF. En plus, nos camions sont nettoyés de fond en comble tous les deux mois. » « Nous n'avons jamais reçu de plaintes relatives à ce sujet », a enchainé la responsable de la promotion d'hygiène au camp du terrain du Club de Pétion-Ville pour le compte de l'OXFAM. Elle a, par ailleurs, rappelé que l'eau distribuée par l'OXFAM est traitée avec soin.
Des affirmations rassurantes, mais insuffisantes pour convaincre les bénéficiaires à consommer l'eau des ONG en toute quiétude, surtout par ces temps de choléra.
Cet article est publié avec le support de « International Center for Journalists »
Jean Pharès Jérôme
pjerome@lenouvelliste.com
Dieudonné Joachim
djoachim@lenouvelliste.com
http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=86868&PubDate=2010-12-17
Commentaire
Où est le gouvernement? Où est le président Préval qui certainement reçoit encore un chèque mensuel (de ces gens qui mangent à peine), malgré le délit majeur (frôlant le crime) que représentent les dernières élections?
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