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vendredi 10 décembre 2010

Port-au-Prince, ville morte au temps de la « démoncratie »

A l'heure où le Conseil électoral provisoire annonce qu'il va revérifier les procès verbaux de l'élection présidentielle, Port-au-Prince est sur ses genoux. La ville malade, qui a connu tremblement de terre, tornade, cyclone et choléra, s'asphyxie. La démocratie vire en « démoncratie » pour tout empirer.
Haïti: Port-au-Prince s'est réveillée, le jeudi 9 décembre, sous un ciel bas et gris. Depuis ce matin, il pleut. Il fait un temps « démoncratique ». Une sale pluie fine tombe sur les carcasses de pneus brûlés la veille. La population est terrée chez elle, l'oreille collée au poste de radio. Les rues sont mortes. Les flots de voitures qui rendent la circulation métropolitaine impraticable ont disparu dans le paysage. La grande cohorte de motos qui pétarade à toute heure du jour sur l'asphalte est rare. Les chauffeurs de véhicules de transport en commun ne s'aventurent pas dans les rues ; rare sont les taxis à l'horizon. Ils sont rationnels, ces chauffeurs qui gagnent leur vie au quotidien, car les pompes à essence ne fonctionnent pas. Un monde très réduit de gens reste dans le périmètre de leur quartier. Se hasardent à aller plus loin que le bout de la rue, ceux qui ont un pressent besoin.
Tous les secteurs de la vie nationale sont touchés par cette crise politique qui menace de réveiller tous les vieux démons de la Cité. C'est comme si des vacances étaient imposées à la population. Les citoyens actifs viennent rejoindre la majorité écrasante des inactifs qui constituent notre triste réalité de pays que l'Occident taxe d'entité chaotique ingouvernable.
L'informel supplée
L'école, l'université, les bureaux publics ont fermé leurs portes. Le commerce, l'industrie, les banques, bref, l'activité économique est paralysée. L'informel supplée dans ces circonstances.
La mère de famille se ravitaille prestement dans le petit marché du coin qui se réduit comme une peau de chagrin. A Lalue, le marché de Trou Sable toujours remplit à ras bord est méconnaissable. Le panier de la ménagère n'a pas de choix entre tel produit et tel autre. On achète ce qu'on trouve. Les supermarchés n'ont pas ouverts leurs portes. On revient bredouille après avoir longtemps marché pour trouver ces lieux de ravitaillement où les produits alimentaires sont exposés sur des rayons. En fin de compte, plus d'un retournent vers les marchés par terre.
L'avenue John Brown est désespérément vide. Quelques motos filent à toute vitesse. Une patrouille de police soulève la poussière noire des pneus calcinés. Sur le trottoir, adultes et jeunes jouent aux dominos devant les magasins contraints de fermer leurs portes. Dans quelques rues adjacentes, des jeunes jouent au football. Pas une pharmacie n'offre son service à la population à Lalue.
Poubelles et sanitaires élevés en barricade
A l'avenue Lamartinière qui longe l'Institut français d'Haïti, deux poubelles sont jetées au beau milieu de la voie publique. Les véhicules sont obligés de ralentir leur course. Au carrefour qui croise les avenues Christophe et Lamartinière, deux autres poubelles à ordure sont renversées sur la chaussée.
Au Champ de Mars près des villages de tentes entre les places Pétion et Dessalines, des sanitaires, toilettes hygiéniques en plastique, obstruent le passage des véhicules.
A l'heure du choléra, les manifestants insouciants ont oublié que les selles sont un vecteur de contamination, car le vibrion cholérique gagne du terrain à Port-au-Prince. Des jeunes sinistrés rencontrés sur place émettent des opinions controversées sur l'attitude des manifestants qui jouent à mettre en danger les camps de sinistrés.
« Dans toute lutte, il y a risque. Si ces toilettes renversées sur le béton nous permettent d'arriver à notre but, nous n'aurons pas mis en danger la santé de la population pour rien. Il faut des actions coup de poing. Les gens au pouvoir en Haïti sont sourds. Ils n'entendent pas et ne voient pas », dit l'un d'entre eux. « Ce sont des enragés qui ont fait cela. Des malpropres. Je n'ai pas réagi parce que je sais que le choléra ne me touchera pas », réplique un autre sans-abri se définissant comme étudiant en sciences économiques.
L'épidémie de choléra ne chôme pas. Le vibrion cholérique avance. Joint au téléphone ce matin, le directeur général de l'hôpital de l'Université d'Etat d'Haïti, le Dr Alix Lassègue, a signalé que le centre de traitement de déshydratations sévères et la clinique de consultation de diarrhées aiguës de l'HUEH continuent de recevoir des patients. « Ce matin, nous avons accueilli trente-cinq personnes. Elles sont à présent en consultation », a dit le DG de l'HUEH.
Près du Palais national, du côté du musée du Panthéon national, deux troncs d'arbre bloquent l'accès à cette voie. Un tracteur dépêché sur les lieux a pu dégager la chaussée. Tapis dans un coin, des groupes de jeunes attendent le départ de cet engin pour replacer leur barricade. On joue au chat et à la souris dans ce jeu démocratique.
A la grand-rue, un piéton peut marcher sans crainte au beau milieu de la voie. D'un bout à l'autre de la grand-rue si dense en trafic de voitures et en circulation piétonne, en temps normal, un calme inquiétant règne.
Au bicentenaire, du côté de Médecins sans Frontières, les malades du choléra arrivent. L'épidémie n'ajourne pas ses effets meurtriers. Plus de 2 000 personnes sont mortes de choléra en Haïti depuis le début de ce fléau baptisé « maladie des mains sales ».
Sur la place Jérémie, l'environnement des villages de tentes s'enlaidit davantage. Une carcasse de voiture bloque le passage.
A l'avenue Christophe, voie qui longe la FOKAL, des traces de pneus jonchent l'asphalte. Plus loin, un véhicule et des détritus sont mis en travers de la route.
A quelque jet de pierre de l'église Sacré-Coeur de Turgeau à l'Avenue Charles Sumner, des ouvriers, travaillant à débarrasser les propriétés privées des décombres de maisons détruites par le séisme, profitent de l'occasion pour manifester leur ras-le-bol. Armés de brouette, ils déversent les matériaux au beau milieu de la voie publique.
Il pleut sur Port-au-Prince. La ville a l'air de retenir son souffle. Il y a comme quelque chose de pourrit sous ce ciel qui nous menace.

Claude Bernard Sérant
serantclaudebernard@yahoo.fr

http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=86555&PubDate=2010-12-0

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