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lundi 20 décembre 2010

TICKET : Ricky Juste Indestructible

Voici un homme qui a presque tout perdu le 12 janvier: sa femme, son entreprise, sa maison et ... sa jambe. Voici un homme qui s'est vu ballotté de lit d'hôpital en lit d'hôpital et qui a gardé malgré tout une foi inébranlable en Dieu, une insatiable envie de vivre, de se relever et de continuer à regarder de l'avant. Il s'appelle Ricky Juste. Il est musicien, publiciste.
Haïti: Tu es sorti veuf et amputé d'une jambe du séisme. Dans les premiers moments, comment as-tu vécu ces changements dans ta vie ?
R. Au début, sans te mentir, c'était extrêmement difficile. Je ne m'y attendais pas du tout. Je n'étais pas habitué à rester cloué sur une chaise roulante toute la journée et à me faire servir par d'autres. Normalement je suis une personne très dynamique et très indépendante. Pis encore, j'avais aussi perdu ma tendre moitié (long soupir). Ma femme et moi étions très soudés, et accepter qu'elle ne vivait plus m'était presque impossible. C'est pourquoi, durant les deux premiers mois, tous ces changements m'ont pris de court et m'ont démoralisé. Mais par rapport à ma personnalité, mon tempérament et ma foi, je suis parvenu à surmonter ces mauvais débuts avec patience et courage; surtout après avoir reçu ma prothèse et recommencé à marcher, j'avais complètement repris espoir.
Tu es seul avec tes deux filles maintenant, comment fais-tu?
R. Je rectifie (rires). Je n'ai pas seulement deux filles, j'ai aussi un garçon de 15 ans d'une autre mère. Mes enfants sont des perles, ils ont vite compris ma situation et se sont facilement adaptés. A part la petite dernière de 2 ans, Djalisha, qui est l'enfant terrible de la famille (rires), tout va très bien. On s'entend à merveille, il n'y a pas de tristesse à la maison. A Miami, je leur faisais du spaghetti (rires) quand j'étais d'humeur à cuisiner. Je les surveillais, j'avais du temps libre pour m'occuper d'eux et ça leur faisait du bien. Je suis maintenant de retour en Haïti, ils sont restés aux Etats-Unis avec ma mère. Dieu m'a guidé et j'ai conscem-ment fait ce choix.
Comment tes enfants vivent-ils le drame?
R. (Long soupir) Je ne veux pas remonter à cette partie très triste de l'histoire. Tout ce que je peux t'affirmer, c'est que c'était plus que difficile. Il a fallu beaucoup de temps, de mots et d'amour pour apaiser cette douleur chez eux. Mais on y est arrivé grâce à Dieu, et aujourd'hui ils ont retrouvé leur joie innocente et tout va pour le mieux.
Si tu as une leçon à tirer du 12 janvier, quelle est-elle?
R. Premièrement rien n'est éternel. Je l'ai appris à mes dépens. Pour moi, la vie ne vaut pas la peine d'être vécue, si on ne prend pas le temps de jouir intensément chaque petit instant que Dieu nous donne la chance de voir et de le remercier chaque jour de cette bénédiction. Deuxièmement j'ai compris qu'en dépit de tout, les Haïtiens sont très solidaires. Le 12 janvier, après Dieu, si je n'avais pas trouvé des gens comme Weaver Destin, par exemple, qui avaient risqué leur vie pour m'aider, je ne serais peut-être pas en train de faire cette interview aujourd'hui. Bien que certains Haïtiens aient pillé et volé les maisons et les business, notamment RealBiz mon studio qui a été pillé le même instant, d'autres ont abandonné leurs familles et leurs amis pour sauver de parfaits inconnus. C'était incroyable. Pourtant j'ai quand même un seul grand regret : je n'ai pas eu le temps d'embrasser ma femme. Certes, j'avais prié pour son âme, j'avais prié pour qu'elle repose en paix et pour que Dieu continue de veiller sur elle. Mais je ne lui ai pas donné un baiser d'adieu, et à chaque fois, en y repensant, j'ai un goût amer dans la bouche.

Côté travail, ton studio d'enregistrement Realbiz s'est effondré le 12 janvier. Comment te reprends-tu?
R. Jusqu'à présent je ne peux pas me plaindre. J'étais resté en contact avec les messieurs de Bongu (Patrick Dumornay, Reynold et Eddy Deeb), qui, en plus de m'avoir donné un grand support moral, m'ont aidé financièrement. Je dois te dire que j'avais perdu le studio au complet. Je n'ai sauvé que la génératrice. Mais j'étais déterminé à recommencer. A Miami où j'étais, j'allais chez mon cousin qui a des équipements d'enregistrement. Quand j'avais besoin de me récréer, je composais des mélodies et je faisais de la publicité pour des clients qui m'appelaient. De là-bas étant, j'avais commencé à rassembler mon matériel afin de remettre RealBiz sur pied. J'ai trouvé un local à Pétion-Ville, au numéro 5 de la rue Goulard, tout près de la maternité de Pétion-ville. Le studio est presque fini; je pense que d'ici janvier il sera totalement prêt. Il est beaucoup plus grand que l'ancien local et beaucoup plus sophistiqué aussi, il sera réputé « high-definition ». Ça n'a pas été facile, mais je ne me suis pas découragé. J'ai toujours confiance en Dieu, Il n'abandonne jamais ses enfants. J'en suis la preuve vivante.
L'affluence des clients est-elle la même qu'avant le 12 janvier?
R. Oh oui ! Grâce à Dieu. Elle a même augmenté. Je fais de la publicité pour de nouveaux clients et les anciens me sont restés fidèles. Mes clients me soutiennent énormément. On peut contacter Realbiz Studio au 3730-5911.
Peux-tu continuer à jouer de la batterie malgré ton handicap?
R. Lors du tournage de la vidéo de la publicité de Bongu pour le mondial, j'étais dans le studio de T-Ansyto. Je me suis assis derrière la batterie et j'ai commencé à jouer, sans aucune difficulté. C'est comme du vélo, ça revient automatiquement (rires); bien entendu, avec moins d'agilité qu'avant. Avec ma nouvelle prothèse, c'est beaucoup plus simple. Elle est plus sophistiquée, plus souple et plus chère aussi (25 000 dollars en passant) que celle que j'avais à Miami. Je marche, je cours, je conduis et je joue de la batterie sans le moindre souci. D'ailleurs j'ai repris avec K-Dans, pas vraiment comme batteur mais surtout comme membre du staff de management. Des fois, je chante devant le groupe avec Jude Jean. Mais c'est plus par solidarité et pour prouver aux fans que K-Dans est à nouveau au complet que je suis là.
Tu résides actuellement en Haïti et tes enfants sont à l'étranger. Comment vis-tu cette situation?
R. C'est extrêmement difficile pour moi. Je n'ai pas l'habitude d'être séparé si longtemps de mes enfants. Mais j'adore Haïti, et pour subvenir aux besoins de ma famille, j'étais obligé d'y revenir. La situation actuelle ne me permet pas de faire revenir mes enfants. Je pense qu'ils sont mieux là où ils sont, surtout que c'est Weaver Destin qui me loge actuellement. Je sentais avoir laissé une tâche inachevée derrière moi. C'est pourquoi je suis revenu. Après le tremblement de terre, beaucoup de gens se sont empressés d'abandonner le pays. Je ne les juge pas, loin de là, je les comprends. Mais si tous ceux qui avaient la possibilité de partir faisaient pareil, si tous les gens qui avaient les moyens de créer des emplois partaient, qui est-ce qui resterait pour reconstruire Haïti? Moi, je crois que chaque personne indistinctement a sa pierre à poser. Je suis revenu, je vais reconstruire ma maison, et aider mon pays à se relever en jouant ma partition. C'est comme ça que je vois les choses, et je sais que Dieu m'accompagnera dans toutes mes démarches jusqu'à ma mort.
Sur tes photos sur Facebook, on remarque cette même joie de vivre qu'avant dans tes yeux. D'où puises-tu cette force?
R. Tu peux remarquer que depuis le commencement de cette interview je n'arrête pas de parler de Dieu. Je sais que personne sur cette terre ne peut accomplir quoi que ce soit sans la foi en Dieu. Personne. J'étais couché sous une dalle de béton d'environ 6 à 7 cm d'épaisseur, ma femme morte sur les jambes, avec tout un étage écroulé sur mon studio et je suis sorti vivant de cet immeuble de Delmas 40B. Alors oui, c'est Dieu qui me donne cette force et cette joie de vivre. C'est Lui qui me relève quand je tombe et c'est encore Lui qui me guide quand je me perds. J'en profite pour envoyer ce message à tous ceux qui m'aiment, à tous mes confrères musiciens, à mes amis, à ma famille et à tous ceux qui étaient venus m'aider ce 12 janvier et après. Où que vous soyez et quoi que vous fassiez, présentez-le d'abord à Dieu, et soyez assurés de sa réussite.
Qu'est-ce qui te motive à garder le moral ?
R. Tu connais mon tempérament. Je suis très jovial de nature, et ça me permet d'accepter n'importe quelle situation. J'étais bien avec ma femme et mes enfants, quand ce malheur s'est produit; je ne me plains pas, je l'accepte et je me force à avancer. Mes enfants, ma femme, ma famille, voilà mes motivations. C'est pour eux que je dois continuer à me battre, à regarder de l'avant et à garder le moral au beau fixe. Si je fléchis, mes enfants fléchiront avec moi, et je ne veux surtout pas les voir manquer de bonheur.
Tu as l'habitude de chanter, tu as d'ailleurs déjà sorti un album solo. Prévois-tu une chanson témoignage?
R. Oui. Justement, je viens de finir une qui s'appelle « 12 janvier ». T-Joe, Mika et moi-même chantons dessus. Elle sortira le 12 janvier prochain, 1 an après, jour pour jour. J'ai aussi l'intention d'organiser ce jour-là un grand concert dont les fonds recueillis iront directement à une institution en Haïti qui s'occupe des enfants orphelins. C'est encore au stade de projet, mais je vais travailler très fort afin de trouver des fonds pour réaliser cette bonne action.
Sens-tu que tu as une mission à accomplir? Un combat à mener?
R. Pour moi, toute la vie est un grand combat. Si tu as accepté d'être là, tu dois aussi accepter qu'un jour tu partiras. Vivre rime avec souffrir. La route est longue, des fois elle est douce et d'autres fois elle est chargée d'embûches. Tu dois t'armer pour les deux cas. Je suis quelqu'un de très optimiste, je ne perds jamais espoir. Si je suis là, c'est que j'ai une mission à terminer, une bataille à gagner. Et si je meurs demain, je resterai comme un exemple de courage pour mes enfants.
As-tu une nouvelle devise?
R. (Rires) Vivre, rire et aimer à chaque souffle.
Comment ton entourage (amis et famille) vit-il ta nouvelle situation physique?
R. 80% de mes amis, quand ils me rendent visite, ont une tête de mort-vivant (rires), c'est moi qui leur remonte le moral (rires). Le plus souvent je leur demande de ne pas afficher ces visages tristes parce que ça ne m'aide pas. Je veux sentir de la joie, de l'animation et de l'encouragement autour de moi; je veux respirer le futur. Je sais que perdre sa femme ou ses enfants, c'est tragique. Mais je crois que m'enfermer dans l'amertume et dans la tristesse équivaut à tuer ma femme une seconde fois. Je persiste à croire que lorsqu'on perd un être cher, il faut continuer à faire ce que la personne adorait. Une façon de ne pas l'oublier et de la chérir éternellement. Moi, je promets à ma femme de toujours veiller sur nos filles afin qu'elles deviennent de belles jeunes demoiselles et que mon garçon devienne un grand jeune homme respectueux comme elle l'a toujours voulu.
Comment tes amis musiciens t'ont-ils porté solidarité depuis le 12 janvier?
R. Il y a Tico Pasquet, Dadou Pasquet et Richie qui avaient organisé une soirée durant laquelle ils m'avaient rendu un grand hommage. Je n'y étais pas, mais j'ai entendu du bien de cette soirée et je leur dis merci. T-Joe Zenny, Mika Benjamin, Alex Thébaud qui est comme un frère pour moi, et Grégory Chéry qui est le parrain de mon mariage et le parrain de ma plus grande fille, et dont je suis le parrain du fils [se on konkou parenn nou tap fè], (rires) m'ont énormément supporté. Frantz Duval, Christine Coupet, je ne peux malheureusement pas citer tout le monde, mais sans Dieu et sans ces gens, je n'aurais pas eu la force de me battre. Beaucoup, beaucoup, beaucoup de personnes m'ont apporté leur aide, leur sourire, leur accolade lors de mes moments difficiles, et je les en remercie du fond du coeur.
Un message à ceux qui ont perdu des proches ou un membre lors de cette tragique journée du 12 janvier ?
R. Courage. Du courage pour tout surmonter. Du courage pour vous lancer dans ce que vous voulez. Ne perdez plus votre temps parce que demain est incertain. Je l'ai déjà dit tantôt, on ne peut rien faire sans la foi en Dieu; remettez tout en lui et il vous protègera. A tous ceux qui ont perdu un proche ou un membre, ne le considérez pas comme une perte mais plutôt comme une victoire face à la mort, parce que vous respirez encore. Tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir. Merci Ticket.
Remerciement spécial
R. « Je voudrais remercier spécialement, à la fin de cette interview, la presse en général, Canal 11 et Ticket Magazine surtout, qui m'ont beaucoup supporté. A Weaver Destin, mon ami, mon frère, je n'ai pas de mots pour t'exprimer ma gratitude. Merci du plus profond de mon coeur. »


Le mardi 12 janvier, comme la plupart des gens, il vaquait à ses occupations habituelles sans aucun souci.
Avec sa bonhomie et sa jovialité naturelle, il recevait, dans son studio au 2e étage du building de la National Dry Cleaning à Delmas 40B, le groupe RFI de Jacmel qui enregistrait sa méringue carnavalesque 2010.
A 4 h 52, ce mardi-là, alors que sa femme et lui raccompagnaient les musiciens à la sortie, l'immeuble a tangué, basculé et s'est effondré. En 35 secondes, tandis qu'il ne comprenait même pas ce qui arrivait, il se retrouvait emprisonné sous des tonnes de béton, blessé à la tête, sa femme en agonie en travers de ses jambes, dans les vapes.
A son réveil, il réalise que son Elisabeth chérie, celle avec qui il avait choisi de s'unir pour la vie, la mère de ses deux filles, trépassait sur ses genoux, sans qu'il ne puisse rien faire pour l'aider. Rien, à part prier pour son âme et serrer très fort sa main dans la sienne... Ricky passe 12 heures sous les décombres. Plus tard, il est sauvé par Weaver Destin, son voisin, aidé de simples passants. Ensuite, c'est la ronde dans les hôpitaux, qui l'amène à la maternité de Pétion-Ville où il passe 3 jours en soins intensifs, refusé de départ à l'aéroport International de Port-au-Prince, jugé trop mal en point. Il parviendra à quitter le pays et se rendra en Guadeloupe où il se fera amputer d'une jambe.
Sur son lit de douleur, jamais il ne cessera de faire des blagues. Sa bonne humeur a été son meilleur médicament.
Son histoire n'est peut-être ni meilleure ni pire que la vôtre, mais elle mérite d'être lue. En l'honneur de ceux qui savent se battre, en l'honneur de ces milliers d'inconnus qui ont remporté une grande victoire ce mardi après-midi et qui, comme Ricky, croient que s'ils sont encore en vie, c'est qu'ils ne vivent que pour le bonheur de ceux qu'ils aiment.



Propos recueillis par
Gaëlle C. Alexis
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Commentaire
Quelle leçon tirer de cette situation spéciale ?

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