Nombre total de pages vues

lundi 20 juin 2011

Lycée Daniel Fignolé ou l'école des marrons

Au Lycée Daniel Fignolé, tout le monde se tait. Le censorat se garde de tout commentaire par crainte de représailles. Des enseignants aussi. Quant à la direction, c'est un espace où personne n'a rien à faire. Entre-temps, les salles de classe explosent d'élèves qui doivent faire face aux gangs armés de ce quartier populeux.
Haïti: Il est 8 h 32. L'air commence déjà à s'alourdir dans les quartiers de Port-au-Prince. Une file d'élèves en uniforme engage la ruelle Maillart, à Delmas 6, où l'odeur de la marijuana se fait déjà sentir. « Nèg yo ap frape ! », ricane l'un des élèves du Lycée Pierre-Eustache Daniel Fignolé, qui ne se remet pas encore du séisme de l'année dernière et situé à l'extrémité de cette ruelle entourée de maisons et de maisonnettes, dirait-on, en lambeaux.
« On se faisait du souci, mais aujourd'hui tout le monde s'y adapte, comme s'il n'y avait aucun danger », dit Johnny, habitant une maison de deux étages appuyée contre une autre visiblement plus résistante. Car les secousses sismiques du 12 janvier 2010 ont mis à genoux la maison de Johnny, 29 ans, habitant avec ses parents. Pour atteindre le premier étage de cette maison délabrée, les occupants disposent d'une échelle qui remplace l'escalier.
On profite du courant électrique pour écouter de la musique et offrir sa propre animation au voisinage de cet établissement scolaire public où le petit commerce bouillonne d'ardeur. Des marchands de nourriture ne lésinent pas sur les moyens pour forcer élèves et passants à acheter leurs plats. « Si tu veux, tu pourras toujours m'offrir un plat, mais je t'ai déjà dit que je n'ai pas d'argent », répond un élève à une marchande qui le harcèle.
On est en pleine période d'examens dès mi-mai. Certains professeurs se plaignent du temps accordé à l'apprentissage des enfants mais ne veulent rien dévoiler. Par peur de représailles, ils ne pipent mot. Car dans ce lycée, tout relève de la politique. « Ici, il n'y a rien de positif qui passe, soutient un enseignant requérant l'anonymat. Et je ne veux pas m'attirer d'ennuis en dénonçant le fonctionnement de l'école. Car Dieu seul sait comment réagiront les bandits s'ils apprennent que quelqu'un fouinait dans leurs affaires. »
Dans la cour de l'école faite de préfabriqués, des élèves font le va-et-vient tandis que d'autres s'empilent dans des salles de classe de manière à subir leurs examens. « Les examens d'aujourd'hui sont moins ennuyeux que les précédents, lâche un élève fuyant les deux journalistes qui veulent le questionner. J'attends les maths pour déterminer si je réussirai ou non. »
Depuis plusieurs années, cette institution scolaire, vieille de près de vingt-cinq ans, devient une véritable gageure. « Les bandits de la zone n'hésitent pas une seconde à assiéger l'école pour régler leurs affaires, explique un élève de philo. Il s'agit parfois de querelle entre élèves, mais plus souvent d'affaires de gang. »
L'installation de Monéçoit Louis à sa direction, en août 2009, vient compléter la défaite du Lycée Pierre-Eustache Daniel Fignolé, si l'on en croit des enseignants et des élèves. Le lycée est livré à la seule compétence du censeur, car le directeur a abandonné son bureau depuis novembre. « Le Lycée Daniel Fignolé n'a plus de directeur, témoigne un autre enseignant. Depuis novembre, il ne vient plus au lycée contrairement à ses prédécesseurs qui savaient négocier avec les gangsters pour la paix de l'institution. »
Pour compenser les manquements académiques, le censorat de l'école a exigé des enseignants le respect des programmes des classes concernées par les examens officiels. « Les classes de neuvième, de rhéto et de philo n'ont pas de problèmes de profs, reconnaît l'élève de philo. Mais, à longueur de journée, les cours sont perturbés. C'est un enfer qu'un jeune ne devrait pas connaître. »
Pour Monéçoit Louis, les choses ont bien changé. La situation de la zone va de mieux en mieux. Mais il y a des gens qui ne l'aiment pas et qui cherchent à le piéger. Entre-temps, les examens d'Etat arrivent et les inquiétudes gagnent l'esprit des élèves qui rougissent à chaque fois qu'on leur demande s'ils vont réussir.

Lima Soirélus
lsoirelus@lenouvelliste.com
http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=93900&PubDate=2011-06-17

Commentaire
Voilà l'Haiti de l'an de tous les progrès, 2011! Et dans ce que l'on persiste à appeler un pays, contemplez ce résultat infâme du passage au pouvoir des Namphy, Avril, Cédras, Aristide et Préval (pour ne s'attarder qu'à ceux dont le poids s'est fait le plus lourdement sentir)! Si l'on veut être honnête, il faut quand même avouer que sous ces deux derniers gouvernements, les choses ont dépassé toutes les limites imaginables.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire