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mercredi 4 août 2010

Les prémisses de la refondation d’Haïti

Jonas Jolivert et Renos Dossous

Introduction
La complexité de la situation qui hante Haïti depuis si longtemps a fait couler beaucoup d’encre en suscitant tellement de commentaires contradictoires. Elle découle de toute une série d’échecs et de déception. D’aucun prétendent même qu’ayant essayé à peu près tout ce qui pouvait l’être, hormis l’indifférence il n’y a plus d’issue. Devant l’ampleur de cette tragédie, devant l’éloquence des faits, il semble tout naturel de baisser les bras et d’accepter l’idée que rien n’est plus possible. Mais notre génération, le monde civilisé auquel nous sommes fiers d’appartenir a atteint un niveau de maturité tel qu’il peut désormais se passer de théories et de démonstrations compliquées pour comprendre que tant qu’un membre de la famille humaine souffre, ne serait-ce qu’un seul, c’est le corps tout entier qui est malade. Et dans le cas qui nous réunit ici maintenant, il ne s’agit pas d’un individu, mais de neuf millions d’êtres humains dont la blessure profonde attend d’être pansée. Ainsi ce n’est pas en nous repliant sur nous-mêmes, mais en nous interrogeant que nous finirons par appréhender cette vérité particulière à notre situation.
Développement

I. Le problème
A.
Après le tremblement de terre du 12 janvier, Haïti est devenue le centre de beaucoup d’attention. Des phénomènes de ce genre, il y en a des milliers tous les jours. Un observateur attentif serait en droit de se demander quelle est la chose à souligner dans le cas particulier de ce pays dont le dénuement ne date pas d’aujourd’hui. Peut-être conviendrait-il, pour projeter une certaine lumière sur ce sujet de discussion, de puiser dans l’histoire même quelques éléments d’éclaircissement.
Aussi ferons-nous remarquer qu’Haïti constitue l’un des deux pays se partageant l’ile d’Hispaniola découverte par Christophe Colomb le 5 décembre 1492. Ce territoire fut occupé intégralement par les Espagnols au début de la colonisation. Comme les ressources s’épuisaient, notamment l’or qui finançait la guerre contre d’autres pays européens, les occupants ont décidé de concentrer la population du côté oriental de l’ile, la moins montagneuse, la mieux arrosée donc la plus fertile, connue aujourd’hui sous le nom de la République Dominicaine. C’est alors que les Français entrent en scène. La colonisation de la partie occidentale par les aventuriers français (flibustiers et boucaniers compris) s’initiait déjà une trentaine d’années après l’arrivée des Espagnols qui accompagnaient Christophe Colomb. Mais ce ne fut qu’en 1665 que le roi Louis XIV décida de la ratifier. Il en profita pour y nommer un gouverneur, Bertrand d’Ogeron.
B.
Voilà brièvement l’origine du pays dont la capitale, Port-au-Prince, subit un tremblement de terre d’une magnitude variant entre 7 et 7, 3 sur l’échelle de Richter, affectant simultanément les villes avoisinantes. Ce désastre naturel est survenu peu avant 17 heures, heure locale, le mardi 12 janvier de l’année en cours. Ajoutez-y des dizaines de répliques d’une magnitude allant de 5 à 6, 1 pendant les semaines suivantes. Les spécialistes reconnaissent, en outre, qu’il se passera des mois avant que ne cessent ces répliques normales dans le cas d’un tremblement de terre de cette caractéristique. Dès lors, vous comprendrez la panique qui a secoué toute la population d’une agglomération chaotique de près de trois millions d’habitants.
Un bilan approximatif a indiqué comme conséquence de ce phénomène 1,2 millions de sans-abris et environ 300 000 morts. La reconstruction est évaluée à un montant oscillant entre 8 et 14 milliards de dollars. Le volume des dégâts a fait dire à un responsable de l’ONU qu’il s’agissait d’ « une malédiction ». Un religieux américain, Pat Robertson, authentique représentant de la droite de son pays, est allé un peu plus loin. Les problèmes confrontés par Haïti depuis son indépendance, selon lui, sont la conséquence directe d’un « pacte avec le diable », signé lors dès la première révolte des esclaves en 1791 (dont nous allons parler un peu plus loin). De telles élucubrations ne surprendront certainement personne si l’on se rappelle que le même personnage avait assimilé, en 2006, l’attaque cérébrale d’Ariel Sharon en Israël à une punition divine causée par le retrait de ses troupes de la bande de Gaza.1
C’est un fait connu qu’il se produit cent mille tremblements de terre par an sur la planète. De 1906 à 2004, les dix séismes les plus puissants enregistrés dans le monde vont d’une magnitude se situant entre 8,5 et 9,5 sur l’échelle libre de Richter. Les territoires affectés furent tour à tour le Chili, la Russie, l’Alaska, le Tibet, l’Equateur et l’Indonésie. Il faut signaler que l’Alaska et la Russie ont subit respectivement trois tremblements de terre chacun. Et une place spéciale est réservée au séisme qui a provoqué le tsunami en Indonésie le 26 décembre 2004. D’une magnitude de 9,0, ce tremblement de terre est le quatrième des plus puissants observés depuis 1900. Bilan enregistré : 140 000 morts. De plus le Japon, le seul pays au monde exposé à plus de 20% des tremblements de terre, n’a jamais atteint un niveau aussi important que les 140 000 disparus de l’Indonésie par exemple. Si le séisme d’Haïti, en comparaison, n’a pas dépassé la magnitude 7, 3, qu’est-ce qui explique des dégâts d’une telle ampleur ? En quoi consiste la différence ?
II. L’enjeu : la refondation d’Haïti
D’abord le mot « réhabilitation », ensuite « la reconstruction » mais maintenant, c’est le mot « refondation d’Haïti » qui constitue le leitmotiv de tous les débats sur ce sujet. C’est comme s’il fallait suivre toutes les étapes imaginables pour prendre la mesure du désastre qui vient de dévaster ce pays. En tout cas, l’idée qui fait l’unanimité dans tous les secteurs de la population locale et au sein de la communauté internationale, c’est bien celle de la nécessité d’une transformation radicale.
En effet, au delà des belles images qu’une froide et objective représentation simplement cartographique peut nous offrir de ce territoire, s’est dessiné au cours des ans un véritable labyrinthe du nom de Port-au-Prince. Quelle est la physionomie de cette gigantesque agglomération difforme, chaotique et privée des services basiques qui font qu’une capitale, que dis-je, une ville, mérite ce nom ? Patrice-Manuel Lerebourg répond à cette question en parlant d’un défi à l’urbanisme : « Port-au-Prince, observe-t-il, ne grandit plus. Telle une pieuvre géante, un monstre insatiable, il étend ses tentacules, emprisonnant dans ses griffes toutes les localités avoisinantes. Il envahit partout, Carrefour, Bourdon, Delmas, Plaine du cul-de-sac, Morne l’Hôpital, sans ménagement, détruisant tout sur son passage. Une Port-au-Prince qui fait peur, car elle ne connait qu’une loi, la sienne, qui est un défi à tout ce qu’il y a de scientifique »2
Etre témoin d’un tel désastre invite à la réflexion. Par ailleurs, Bakounine disait que « Tout privilégié est un immoral ». Et on a beau vouloir éviter l’exagération que renferme sûrement une telle sentence, on se sent tout de même interpellé quand on considère cette société haïtienne où 20% de la population se partage 80% de toutes les ressources de la nation. Les autres, la grande majorité, doit se contenter des miettes que représentent les 20% restants. Comment s’étonner alors que près de 70% des neuf millions d’habitants survivent à peine avec environ deux dollars par jour ?
Immédiatement après la tragédie, de nombreux pays sont intervenus. Parmi ceux qui se sont signalés d’une façon particulièrement remarquable, il faut mentionner en Amérique Latine : Cuba, la R.D., le Venezuela et le Brésil. Pour les pays industrialisés, retenons les Etats-Unis, la France, le Canada et l’Espagne. Et en gros, nous devons reconnaitre qu’un nombre considérable de gouvernements et d’institutions du monde entier, ému par les conséquences tragiques du séisme ont trouvé toute sorte de moyens pour acheminer leur aide vers Haïti. La situation était telle que l’aéroport de Port-au-Prince, incapable de répondre au besoin de tous les avions qui devaient débarquer leurs provisions, on a dû utiliser comme relai l’aéroport de Santo Domingo en République Dominicaine. Aussi n’y a-t-il aucun prétexte pour parler de manque de solidarité.
Le paradoxe dans tout cela, ce n’est pas que les citoyens confrontent des problèmes et que les dirigeants soient incapables de les résoudre. C’est qu’ils n’essayent même pas ou qu’ils interviennent a posteriori, quand il est trop tard. Il a fallu que des organismes internationaux, des gouvernements étrangers, des ONG fassent preuve d’initiative de manière isolée afin d’offrir de l’aide aux victimes tandis que le président déplorait au micro d’une agence internationale l’effondrement de « son palais ». C’est connu que la mauvaise gestion et la corruption constituent les traits dominants de la majorité des gouvernements haïtiens. L’actuel ne fait pas partie des rares exceptions connues. Il est donc évident qu’un gouvernement incapable de garantir les services les plus élémentaires à la population ne saurait non plus gérer avec équité l’aide internationale. C’est à travers des pratiques de cette nature que se sont perpétuées les injustices que reflète la société actuelle en Haïti.
Toutefois, si la corruption et la médiocrité du gouvernement en place sont indéniables, si très peu de ceux qui l’ont précédé pourraient se vanter de ne pas s’être enrichis aux dépens du peuple, les problèmes d’Haïti ne se réduisent pas seulement à cette plaie qui menace constamment l’avenir de toute la nation. Ils sont beaucoup plus complexes.
III. L’indépendance
Lorsqu’Haïti proclama son indépendance le 1er janvier 1804, toutes les nations avec lesquelles elle pouvait entretenir des relations commerciales et diplomatiques étaient des puissances coloniales. A cette conjoncture qui était déjà loin de favoriser son développement économique et commercial s’ajouta une circonstance aggravante : le pays ne cachait pas son intention d’offrir son appui à tous ceux qui, comme lui, aspiraient à vivre libres. Nouvelle menace donc contre les intérêts de ces puissances coloniales.
C’est dans ce contexte que plusieurs de ceux qui allaient devenir les héros de l’indépendance haïtienne se sont portés volontaires pour combattre les Anglais au côté des habitants de l’Amérique du Nord. Dans le cadre de la consolidation de l’indépendance américaine, un détachement de 1500 affranchis, « les chasseurs volontaires » de Saint-Domingue, se rendirent en Géorgie, notamment à Savannah où ils allaient écrire leur propre page d’histoire au côté des Américains. Un monument érigé à leur mémoire a été récemment inauguré, le 8 octobre 2007, lors de la célébration du bicentenaire de cette bataille à Franklin Square à Savannah aux Etats-Unis.3
D’autre part dans le but de libérer le territoire de son pays occupé par les Espagnols, le général vénézuélien, Francisco de Miranda, n’a pas hésité en 1805 à venir chercher de l’aide en Haïti. C’est d’ailleurs dans une ville haïtienne, à Jacmel4 que le 12 mars 1806, il créa le drapeau vénézuélien. C’est à cette même date que l’on commémorait encore jusqu’en 2005 la fête du drapeau au Venezuela. Comme Miranda échoua dans sa tentative et fut emprisonné, c’est Simon Bolivar qui prit la relève dans la lutte pour l’indépendance.
De même que son prédécesseur, il s’est rendu en Haïti pour demander de l’aide. Sa première tentative n’ayant pas eu de succès, il se refugia une nouvelle fois en Haïti où il obtint des armes, des munitions, des soldats haïtiens, de l’argent et même une imprimante. Cette deuxième tentative connue sous le nom de « L’expédition des Cayes », une ville du sud d’Haïti, le conduisit à nouveau au Venezuela. Cette fois, c’était la bonne et le processus de la libération de la plupart des pays de l’Amérique du sud venait de commencer. Plusieurs historiens dont l’Uruguayen Eduardo Galeano et le Dominicain Franklin Franco reconnaissent que c’est grâce à l’intervention haïtienne qu’ont réussi à se libérer de la domination espagnole des pays de ce continent tels que : la Colombie, le Venezuela, l’Équateur, le Panama, le Pérou et la Bolivie. Ce n’est pas un hasard si le premier président d’Haïti, Alexandre Pétion, qui avait offert tout l’appui nécessaire à Simon Bolivar, a été surnomme le Père du panaméricanisme.
Cependant entre la participation de Saint-Domingue à l’indépendance américaine et l’aventure sud-américaine de Bolivar, il y avait les avatars des relations entre Haïti et la France. On pourrait se rappeler que l’un des ingrédients ayant alimenté la révolte de ce que l’abbé Sieyès appelait le tiers-état contre l’Ancien régime était le cours des denrées de plus en plus rares en provenance de Saint-Domingue. En effet, ce territoire qui n’était pas encore Haïti, représentait sa colonie la plus prospère. Les exportations de sucre et de café de cette colonie à elle-seule dépassaient celles des Etats-Unis d’Amérique. Or un soulèvement général des esclaves (plus de cinq cent mille) dont le moment culminant se situait en 1791, venait de rendre impossible toute forme d’exportation des denrées de cette colonie vers la France. C’était un coup dur pour l’économie de la métropole.
Mais le coup d’Etat du 18 Brumaire porta Napoléon Bonaparte au pouvoir. Il décida de conserver à tout prix cette colonie de Saint-Domingue. Comme ce territoire d’une superficie presqu’égale à celle de la Belgique « embrassait à elle seule près des deux tiers des intérêts commerciaux de la France »5, Napoléon prit la ferme résolution d’y rétablir l’esclavage même après la proclamation de son indépendance le 1er janvier 1804. L’échec de ces efforts de reconquête marquait, l’une des premières défaites de l’armée napoléonienne.
C’est en tenant compte de tous ces antécédents que l’intellectuel français Régis Debray qui n’a jamais été particulièrement tendre envers Haïti estime que « C’est en étant précurseur qu’Haïti est devenu paria ». Et pour traduire le type de rapport qui désormais allait régir les relations entre la France et son ex-colonie, Régis Debray a choisi le concept de refoulement : il y a «…refoulement du code noir, refoulement de l’esclavage, refoulement de la défaite militaire des troupes napoléoniennes qui conduit à la proclamation de l’indépendance d’Haïti en 1804. Ensuite il y a le refoulement de ce qui est une extorsion de fonds même si elle peut s’expliquer dans le cadre juridique de l’époque : on a fait payer pendant soixante ans aux Haïtiens leur soulèvement et leur indépendance »6. Qu’est-ce que cela veut dire ?
IV. Les premiers grands obstacles
Les obstacles à la reconnaissance de l’indépendance d’Haïti étaient nombreux. En réalité, lorsqu’en 1825, la France décida de reconnaitre l’indépendance de cette ex-colonie, elle posa une double condition.
A.D’une part, le gouvernement haïtien devait libéraliser son commerce extérieur et procéder à une réduction spéciale de 50% de ses droits de douane sur toute marchandise provenant de la France.7
B.D’autre part, « pour dédommager les anciens colons qui réclameront une indemnité », il devait verser à la France la somme de 150 millions de francs or, soit le budget français de l’époque. Il est vrai que cette somme a été réduite à 90 millions de francs or (soit 21 milliards de dollars américains en 2003)
Comme si ces conditions n’étaient pas suffisantes pour comprendre qu’après l’indépendance, Haïti était très mal partie, les Etats-Unis à son tour refusaient d’avoir des relations avec le jeune état. Quel motif a été allégué pour justifier une telle décision ? Puisque le pays avait accepté de verser un dédommagement à la France, il devait être traité comme un protectorat de la France, donc un ennemi. Il a fallut attendre 58 ans après l’indépendance d’Haïti, soit en 1862, pour que le président Abraham Lincoln, connu pour son rejet du système esclavagiste, accepte de signer des accords de coopération avec la première république noire indépendante des temps modernes et le deuxième pays du continent.
Quant à Simon Bolivar, le « libertador », lorsqu’il décidât d’organiser le premier Congrès des nations libres des Amériques, il oublia d’inviter Haïti. A-t-on vraiment besoin de démontrer les causes de cette omission? Pas si l’on tient compte du fait que l’église catholique, elle-même, dont plusieurs prêtres s’étaient pourtant montrées défavorables à l’esclavage, a attendu 56 ans, soit en 1860, pour signer son premier concordat avec Haïti.8
V. Les conditions de la refondation d’Haïti
Nous pouvons dire que le bilan des antécédents qui expliquent où nous en sommes aujourd’hui, en Haïti, s’il n’est pas exhaustif semble néanmoins assez compréhensible. Seule la prise en compte des situations mentionnées pourra nous aider à rester sur nos gardes afin d’éviter de répéter les erreurs du passé. Sinon quel est le moyen le plus efficace de préparer l’avenir ? En effet c’est parce que le pays est mal parti qu’aujourd’hui nous avons un environnement presque complètement détérioré, une agriculture qui ne nourrit plus la population depuis au moins une vingtaine d’années, un système éducatif branlant et une corruption que la société civile a intérêt à combattre en ayant recours au plus grand nombre de mécanismes de pression possibles.

VI. Les quatre piliers de la refondation semblent donc :
a. L’environnement
En faisant allusion à l’environnement, rappelons qu’une pratique traditionnelle en Haïti consiste à cuisiner avec du charbon de bois. Le repassage du linge, le fonctionnement des boulangeries et des blanchisseries utilisent invariablement la même méthode. Cet usage intense du bois ou du charbon de bois exerce sur l’environnement une pression telle que la végétation disparait à vue d’œil. Des rivières, des fleuves, des ruisseaux décrits dans les manuels de géographies ont cédé leurs places à d’immenses accidents de terrain où l’eau a cédé depuis longtemps sa place à des accumulations de pierres recouvertes de la poussière de ce qui fut jadis le lit d’une rivière ou d’un fleuve.
Il est urgent d’encourager la promotion et le développement de l’usage d’un combustible alternatif. Cela réduirait le risque de voir la moindre pluie drainer des masses interminables de terre arable vers la mer. Pour ce faire, une politique de crédit développée parallèlement à un reboisement accéléré des aires les plus affectées, apporteraient à la population l’espoir d’un lendemain meilleur. Et les fruits ne tarderaient certainement pas à être récoltées.
b. L’agriculture
Inséparables de l’environnent, les habitants de la campagne en Haïti forment 70% de la population. La majorité d’entre eux font partie des 80% qui survivent avec à peine 20% des ressources. La classe moyenne du pays a été réduite à sa plus simple expression par des événements divers : coups d’état, fermeture d’entreprises, fuite de cerveaux, corruption gouvernementale, et j’en passe. Ce qui rend impossible toute transition entre les deux extrêmes, l’extrême richesse côtoie l’extrême pauvreté. D’où une disparité qui offense le bon sens et fait dire à ceux qui découvrent le pays qu’il n’y a que deux classes d’êtres humains en Haïti : Les riches et les pauvres. Voilà pourquoi tout effort de reconstruction d’Haïti qui ignorerait la situation de ces paysans serait condamné à l’échec. Le premier pas consiste donc, comme plusieurs spécialistes l’ont compris, à concevoir à leur intention un système de prêt leur permettant d’obtenir les outils nécessaires pour reprendre le travail que la mauvaise gestion du pays et les constantes crises économiques leur ont enlevé. Ce serait la meilleure façon de recouvrer l’autosuffisance alimentaire des années 70 et 80. Il s’agit d’un système qui existe déjà en République Dominicaine.
c. L’éducation
A propos de l’éducation, deux facteurs méritent de retenir notre attention.
D’une part, l’adoption par la constitution de 1987 du créole comme langue officielle au même titre que le français. Cette mesure exigeait certes une meilleure planification, néanmoins son adoption signifie un effort sérieux de rapprochement entre les citoyens. Pendant trop longtemps, un ostracisme linguistique inacceptable frappait le groupe majoritaire de la société haïtienne, les créolophones. Cet obstacle ne divisait pas seulement le pays en citoyens de première et de seconde catégorie, mais des familles entières dont tous les membres ne sont pas forcément alphabétisés. Il était temps de réhabiliter dans tous leurs droits ces citoyens injustement tenus à l’écart dans les grandes décisions du pays. N’est-ce pas le rôle essentiel de toute véritable démocratie ?
En second lieu, nous constatons que l’école haïtienne souffre d’une crise aiguë depuis plusieurs années. En opposition totale avec l’article 32 de la constitution qui stipule que l’éducation doit être gratuite pour tous, l’état de ce pays s’est graduellement déresponsabilisé face à ses obligations. Cette déficience a ouvert la porte à toute sorte de difficulté. En effet comment considérer autrement que comme une subtile dérive vers la privatisation le fait que 90% des institutions scolaires en Haïti ne sont plus gérées par l’état ?
d. La lutte contre la corruption
Pour lutter efficacement contre la corruption et former une société plus juste, il y a, je crois, trois éléments essentiels : L’éducation, bien sur, dont nous venons de voir les problèmes, mais aussi le respect du vote des citoyens et la consolidation des institutions.
C’est André Malraux qui disait qu’ « il n’y a pas de héros sans auditoire ». En général pour asseoir son autorité, le despote dispose d’une arme irrationnelle, mais infaillible, l’obscurantisme. Il sait qu’un peuple éclairé, bien informé ne se laisse pas mener par le bout du nez. Il prend soin de ne pas classer l’éducation parmi ses priorités. Car qui discute de nos jours que seule l’éducation peut guider intelligemment le peuple dans le choix de ses dirigeants ? C’est le seul cas où l’on puisse dire d’un pays, sans se tromper, qu’il a le gouvernement qu’il mérite. Puisqu’il l’aura élu en connaissance de cause.

Conclusion
Avec ou sans la situation haïtienne, nous vivons des temps durs. Notre humanité nous impose une nouvelle vocation, une option inéluctable. C’est le choix entre se complaire dans le confort de son petit paradis de privilégié avec l’excuse qu’ « une hirondelle ne saurait faire le printemps » ou affirmer maintenant plus que jamais cette solidarité indispensable pour que la vie continue d’être possible. C’est récupérer la faculté de nous émouvoir face à la misère d’autrui. Que l’on nous permette de conclure sur ces vers du poète martiniquais Aimé Césaire cités par Frantz Fanon dans son livre « Peau noire, masques blancs » :
« Et surtout, mon corps, aussi bien que mon âme, gardez-vous de vous croiser les bras en l’attitude stérile du spectateur, car la vie n’est pas un spectacle, car une mer de douleur n’est pas un proscenium, car un homme qui crie n’est pas un ours qui danse ».

Notes
1. http://fr.wikipedia.org/wiki/Pat_Robertson
2. Patrice manuel Lerebourg, Le nouvelliste, 25 novembre 2008
3. http://www.alterpresse.org/spip.php?article6491
4. Le président Hugo Chavez a change cette date le 7 mars 2006 pour le 3 aout afin d’adapter les célébrations aux exigences de ce qu’il appelle la révolution bolivarienne.
5. Vie de Toussaint Louverture, Victor Schœlcher, Editions KARTHALA, 1982, Edition originale par Paul Ollendorf, Paris 1889, p. 2
6. Blog officiel du mouvement politique français Mouvement Démocrate Chrétien (MDC) antérieurement Gauche Ouvrière et Chrétienne (GOC). http://mouvdc.canalblog.com/archives/2010/01/17/16549904.html
7. Haití : de Dessalines a nuestros días, Franklin J. Franco, Editora Nacional, 1988, Apartado 559, Santo domingo, Republica Dominicana, p.18, capítulo III
8. Idem, p. 31 capitulo IV.

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