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dimanche 28 août 2011

La CIRH et le développement économique d’Haïti : quelques interrogations d’une économiste

par Dr Kathleen Dorsainvil
26/08/2011
L’ancien président des USA, M. Bill Clinton, a annoncé lors d’une visite en Haïti le 16 août dernier que, dans le cadre de la reconstruction, la Fondation Clinton avait octroyé un prêt à un taux préférentiel à une petite entreprise d'artisans, le Caribbean Craft, dont l’atelier avait été détruit par le séisme du 12 janvier 2010. D’autres prêts sont à venir, avait-il fait savoir.
Le peuple haïtien se doit de remercier M. Clinton qui, à travers ses actions, montre combien la remise sur pied de notre pays lui tient à cœur. Mais ce prêt suscite aussi certaines interrogations dans le contexte économique agité que connaît notre pays.
1. Le cadre de ce prêt
Ce projet individuel et positif met en exergue, une fois de plus, la faiblesse de nos institutions. Car, du point de vue de l’avenir, du développement du pays, est-ce le meilleur usage de ces fonds ? N’y a-t-il pas d’autres petits entrepreneurs, frappés eux aussi par le séisme, dont le produit est plus promoteur de croissance ? Combien d’emplois seront créés à partir de ce prêt ? Quel mode de fiscalité sera appliqué à cette entreprise ? Ce prêt sera-t-il versé en partie ou en totalité à un compte en banque de la place, faisant ainsi baisser la pression sur la monnaie locale, ou sera-t-il utilisé à partir d’un compte à l’étranger ?
Ces questions et d’autres auront vraisemblablement été débattues par les experts de la Fondation. On aurait aimé savoir si elles l’ont été aussi par les gestionnaires haïtiens. Elles suggèrent la mise sur pied d’une interface gouvernementale officielle afin d’aiguiller les bonnes volontés étrangères ou de nos compatriotes de la diaspora vers les besoins économiques fondamentaux de notre société.
2. Le cadre monétaire de l’aide à la reconstruction
Les projets financés par la Commission intérimaire pour la reconstruction d’Haïti (CIRH), la Fondation Clinton, la Fondation Bush-Clinton pour Haïti et par d’autres organismes témoignent sans doute de la volonté de nos amis étrangers de nous venir en aide. Ces fonds sont collectés en devises étrangères pour être dépensés en gourde dans le pays. Pourquoi donc la Banque centrale d’Haïti (BRH) apparaît si absente de ce processus ? N’a-t-elle pas sa place à la CIRH au même titre que l’autorité fiscale ? L’élan de générosité de nos amis étrangers et de la diaspora nous offre aussi une opportunité unique de remodeler notre politique monétaire selon les problèmes du jour. La BRH ne peut plus se contenter de l’objectif de stabilité des prix comme indiqué dans son rapport annuel de février 2011. Le contexte actuel du pays et des économies mondiales commande l’objectif de croissance en tant que priorité. D’ailleurs, le Fonds monétaire international (FMI), auquel se réfère la BRH, défend ce point de vue avec véhémence. L’objectif de croissance implique, certes, un autre type d’agressivité monétaire, par exemple, une autre gestion des réserves de change, d’autres modalités de fonctionnement vis-à-vis des autorités fiscales ou des banques commerciales.
3. Le Fonds national de l’éducation (FNE
Un montant fixe d’un dollar cinquante est prélevé sur tous les utilisateurs de transfert avec Haïti. Les promoteurs de cette taxe ont-ils essayé au préalable de dresser un profil des utilisateurs de ce service ? Ces transferts sont-ils plutôt de petits montants (50 $ US, 100 $ US, 200 $ US) ou s’agit-il de montants plus importants (500 $ US, 1 000 $ US) ? À cette question est liée l’hypothèse que les petits montants sont associés à des personnes à faibles revenus. Prélever 1, 5 $ US sur un transfert de 50 $ US n’est pas ressenti de la même manière que sur un transfert de 1 000 $ US. Si les petits montants sont prédominants, cette frange à bas revenus, celle-là même qui préoccupe la nouvelle équipe gouvernementale, serait elle-même en train de financer l’éducation de ses enfants, à travers ce fonds !
Par conséquent, avant d’aller plus en avant dans cette collecte, les administrateurs de ce fonds doivent s’assurer que cette nouvelle taxe n’est pas plutôt régressive que progressive. Et dans ce cas, une taxe proportionnelle serait une meilleure option.
De plus, ce fonds est géré par la BRH, a-t-on appris. Mais aucun détail n’a été fourni à ce jour sur la façon dont ceci est fait. En théorie, la BRH mettra à la disposition des autorités fiscales des gourdes afin de leur permettre de gérer ce programme. Que compte-t-elle faire des dollars accumulés ? Les mettre sur le marché pour baisser la pression sur la gourde ? Les stériliser ? Chaque démarche reflète une option sur la gestion monétaire à venir, et on aimerait savoir.
Les questions autour du FNE illustrent, si besoin est, les difficultés que connaissent les gestionnaires de ce monstre que représente la CIRH dans sa forme actuelle. Il revient à l’autorité haïtienne de la Commission de dresser, pour l’information de tous, un bilan du travail effectué à ce jour. Ceci, afin que les modifications nécessaires puissent être apportées pour un fonctionnement et une gestion plus efficients de cette commission à l’avenir. Car il ne peut être question de fermer les portes de la CIRH.
Les événements tragiques du 12 janvier 2010 offrent au pays la chance de mettre sur pied un vrai programme économique de développement. Ce programme va au-delà du relogement des sinistrés ou de la reconstruction de bâtiments détruits, tâches qui peuvent aisément être confiées à des fondations. Il s’agit d’une alliance véritable débattue, réfléchie entre le fiscal et le monétaire en vue d’atteindre l’objectif prioritaire de croissance dans le contexte économique mondial et d’en définir les étapes. En effet, dans ce tumulte que connaît l’économie mondiale, les gestionnaires fiscaux d’Haïti ne peuvent ignorer, par exemple, la part de l’aide extérieure dans le fonctionnement au jour le jour de l’État haïtien. Le fiscal se doit d’avoir pour point de mire d’apprendre aux concitoyens à vivre de leurs ressources propres, en prévision d’une aide appelée à se tarir, donc une gestion dans l’économique des fonds de l’État avec réduction graduelle des avantages/dépenses criards.
En ce qui a trait à l’économie en général, l’une de mes dernières recherches a mis en évidence la portée limitée de l’aide extérieure sur l’économie haïtienne : il faut au moins trois ans pour que l’aide reçue ait un effet positif de 0, 4 % sur le produit intérieur brut (PIB). Par contre, un problème quelconque dans l’économie américaine se traduit au cours de la même année par un changement du PIB d’environ 5 %. D’où la nécessité d’être attentif à la vie économique de notre puissant voisin. C’est le rôle du monétaire. Il se doit aussi d’encourager le fiscal dans son approche de gestion efficiente par une politique accommodante seulement au cas par cas. La politique monétaire se devrait aussi de favoriser les exportations à venir, et un certain seuil de réserves de change va être nécessaire. Ce fonctionnement en symbiose entre le fiscal et le monétaire ne peut qu’être bénéfique au bien commun.
Les compatriotes de la diaspora et les prestigieux amis étrangers qui veulent le vrai décollage de ce pays nous seraient reconnaissants d’avoir une ligne directrice connue, sensée, qu’ils seraient heureux de suivre.

Kathleen Dorsainvil
Docteur en économie
http://www.lematinhaiti.com/contenu.php?idtexte=25419&idtypetexte=

Commentaire
Les questions de l’économiste Kathleen Dorsainvil sont extrêmement importantes d'autant qu'elles touchent un point névralgique de notre économie, l'aide internationale. En effet compte tenu des graves problèmes confrontés par l’économie américaine, peut-on continuer à miser sur cette frange de l'aide comme si elle était éternelle? Et même quand elle le serait, est-ce qu'il ne conviendrait pas, quelle que soit la situation (dignité oblige!) de travailler à acquérir son autonomie comme tout pays qui se respecte? Il y a donc une tache sérieuse qui attend les membres de ce nouveau gouvernement qui, certainement auront à travailler de concert avec les membres de la CIRH. Que le parlement en prenne conscience et aide à résoudre le premier problème qui est le choix d'un nouveau gouvernement, plutôt que de le compliquer - comme il l'a fait jusqu'à présent!

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