Nombre total de pages vues

vendredi 19 août 2011

Les dilemmes de la rupture politique de Martelly

Haïti: Après plus deux mois de prise de pouvoir, le président Michel Joseph Martelly, connait ses premiers revers politiques. L'homme en qui il a placé sa confiance, avec qui il a probablement fait campagne à travers les médias n'a pas été ratifié par le Parlement haïtien. Il a dû présenter une liste et dans celle-ci, il a choisi Bernard Gousse pour succéder à Daniel Gérard Rouzier comme son nouveau Premier ministre désigné.
Cela porte, certainement à tort, plusieurs personnes à cultiver un sentiment de réprobation vis-à-vis du Parlement en occultant volontairement ou involontairement qu'il s'agit de jeu démocratique. Toutefois, les rejets successifs de Messieurs Rouzier et Gousse témoignent d'une réalité autrement plus inquiétante : la permanence du consensus politique dans le fonctionnement de l'État. La désignation d'un nouveau premier ministre et les difficultés liées à sa ratification permettent de mettre en lumière ce que nous pouvons appeler les dilemmes de la rupture. Il faut reconnaitre que le fondement essentiel de la démocratie avec système de partis réside dans le principe cardinal de la séparation des pouvoirs. Le risque de l'enlisement, de la critique facile et de la polarisation autour d'un des pouvoirs d'État reste possible, mais aucun des deux (2) pouvoirs ne peut prétendre à l'exercice exclusif de la domination politique.
La réalité politique ne présente pas une situation de cohabitation, ni de coalition voire de majorité présidentielle. Nous sommes en présence d'une exigence de dialogue permanent entre les pouvoirs, ce qui va nécessairement s'ouvrir vers un pacte de gouvernabilité, inhérent à la réalité politique du Parlement. Dans une telle perspective, le président de la République doit se montrer plus pragmatique et doit engager le débat avec le Parlement.
Contrairement à ceux qui voient dans le Parlement un « faiseur de lois » autrement appelé « le Législateur », force est de rappeler que cette institution matricielle de la démocratie agit en sa double qualité de Pouvoir et de Contre-pouvoir. La réalité politique actuelle dévoile en aval, un déséquilibre dans l'articulation des pouvoirs publics que ne peut mettre en lumière seul le triomphalisme politique apparent du chef de l'État.
Jamais il n'y a eu autant de débats sur la formation d'un gouvernement qu'aujourd'hui. Ces débats, certes d'une grande âpreté, ont permis à la société haïtienne, non seulement de mieux cerner les principes démocratiques imposés par la Constitution de 1987, mais surtout de comprendre la dualité du pouvoir idéel (ou pouvoir en projection) et le pouvoir réel (ou pouvoir né d'un rapport de forces inégal).
En effet, n'est-il pas judicieux de souligner que certains ont tendance à valoriser le droit sur la politique, argumentant, selon leur interprétation partisane, que le vote d'une assemblée politique peut être technique. D'autres croient à l'inverse que la politique détermine la force du droit et qu'il faut composer avec les acteurs investis du pouvoir d'orientation et de délibération sur les choix et politiques publiques à implémenter. Face à toutes ces considérations, il est nécessaire de se poser les questions suivantes : quelles sont les différentes étapes dans la mise sur pied d'un gouvernement? Le président a-t-il l'autorité pleine et entière sur le choix de son gouvernement? Quels sont les enjeux véritables que nous cachent les articles 60, 60.1, 60.2, 133, 137 et 157 de la Constitution ?
Loin d'une lecture simpliste sur le jeu des institutions, loin de stigmatiser un camp au profit de l'autre, ce qui est dangereux, il est impérieux de souligner que la Constitution impose un fonctionnement politique basé soit sur la permanence du compromis ou sur le fonctionnement hégémonique d'un parti politique fort. En dehors de ces deux cas de figure, l'État haïtien est ingouvernable.
Le dilemme de la dénonciation
Lors de la campagne présidentielle, Michel Joseph Martelly a cristallisé mieux que quiconque, les revendications de la majorité des Haïtiens à l'intérieur et à l'extérieur du pays. Ce faisant, il a surtout souligné les dysfonctionnements, le manque d'efficacité, l'absence de leadership et les maigres résultats de son prédécesseur au pouvoir.
Toutefois, il est à reconnaitre qu'aujourd'hui la critique de ce qu'il convenait d'appeler un mammouth dysfonctionnel, ne permet pas de mettre en lumière, à ce stade, à la fois les problèmes liés à la sociologie politique haïtienne et l'équilibre des intérêts qui sont fondamentalement contradictoires.
Ainsi, la formation d'un gouvernement afin de compléter l'exécutif haïtien, devient, contrairement de l'avis de plus d'uns, une activité à haut risque pour le nouvel élu. Loin d'être un banal exercice, la formation d'un gouvernement doit être vue comme la manifestation visible des rapports de forces politiques par delà la simple équation électorale. Ceci permet de conclure au raisonnement suivant : « La dénonciation et la propagande en période électorale ne permettent pas la mise en oeuvre du pouvoir politique. »
Le dilemme du choix du Premier ministre
Il n'est pas inutile de rappeler que l'article 137 de la Constitution indique une des prérogatives essentielles du président de la République. Choisir et nommer un Premier ministre relèvent selon Benjamin Constant, du pouvoir royal ou pouvoir présidentiel dans sa typologie des pouvoirs de l'État. Il faut dire que tant en règle générale qu'en particulier et en ce qui concerne la réalité politique haïtienne, les prérogatives du président de la République sont limitatives. L'article 150 indique : « Le président de la République n'a d'autres pouvoirs que ceux que lui attribue la Constitution ».
Cependant, l'article 137 qu'il convient de citer ici est d'une grande densité politique, juridique et administrative et dont malheureusement l'on ne saisit pas forcément tous les éléments constitutifs. Ces ingrédients sous-jacents sont de nature à paralyser durablement le fonctionnement de l'État et hypothéquer l'avenir de notre chétive transition démocratique. Cet article phare est énoncé comme suit : « Le Président de la République choisit un Premier ministre parmi les Membres du parti ayant la majorité au Parlement. A défaut de cette majorité, le Président de la République choisit son Premier Ministre en consultation avec le Président du Sénat et celui de la Chambre des Députés. Dans les deux (2) cas, le choix doit être ratifié par le Parlement. »
Qu'à cela ne tienne, n'est-il pas impératif de formuler les questions suivantes : quels sont les cas de figure qui peuvent résulter de cet article ? Quelle articulation existe-il entre le Parlement et le Président dans la mise en place du Gouvernement? Comment comprendre l'assujettissement du choix du Premier ministre à la sanction du Parlement ?
Comme avancé plus haut, il est utile de rappeler que la première phrase dudit article explique clairement comment le choix d'un premier ministre peut émaner d'une cohabitation. Ce faisant, le Président, quoiqu'il lui revienne de plein droit l'autorité de nomination, il est tenu de désigner un Membre du parti dominant majoritairement au Parlement. Contrairement à ce qui se dit généralement, le Président possède une marge d'intervention car la Constitution ne lui fait pas injonction de choisir le Dirigeant du Parti majoritaire. Mais il est généralement admis que le chef du parti majoritaire devient aussitôt Premier ministre.
À défaut d'une majorité clairement dégagée au Parlement, le Président a une plus grande marge d'action et d'intervention. Il peut choisir son Premier Ministre avec une plus grande résonnance, notamment au sein de son équipe (de campagne) ou de son parti (s'il vient d'un parti). En revanche, si un parti arrive à s'imposer dans l'une des deux chambres, quelle devra être la marche à suivre pour la mise en place d'un gouvernement? Quelles sont les différentes étapes conduisant à la mise en place d'un gouvernement ayant à sa tête un Premier ministre ?
Le dilemme des étapes vers un gouvernement de rupture
Si la Constitution semble indiquer deux étapes, notamment l'étape de la ratification du choix et celle de la ratification de la politique générale, il s'est avéré qu'il y a au moins quatre (4) étapes aboutissant à la mise en place de façon effective d'un gouvernement.
1. L'étape de la désignation de la personne (Présidentielle) ;
2. L'étape de la ratification du choix de la personne (Parlementaire) ;
3. L'étape de la nomination proprement dite et de la formation du gouvernement (Présidentielle) ;
4. L'étape de la ratification de la politique générale par un vote de confiance ou de la censure par un vote de non-confiance (Parlementaire).
En effet, si les opinions divergent et que certains tentent de les scinder en étapes dites techniques et d'autres dites politiques, il n'en demeure pas moins vrai qu'en aucun cas le vote au niveau du pouvoir législatif n'est technique.
Le dilemme de la conservation du pouvoir présidentiel
Prendre le pouvoir implique une stratégie qui est, somme toute, différente pour sa conservation. L'objet même de la politique est résumé, dans un premier temps, à la prise du pouvoir par la compétition électorale afin d'appliquer ses programmes en vue d'obtenir à la plus prochaine échéance électorale, dans un second temps, le vote favorable de la majorité des votants.
La prise du pouvoir présidentiel est insuffisante en dehors de toute majorité parlementaire. Par conséquent, sa conservation devient de plus en plus difficile. La Constitution de 1987, pensée comme rempart à toute velléité autoritariste d'un président trop fort, ordonnance la vie politique autour des partis politiques, établit de manière substantielle les conditions d'une alternance politique. Toute volonté de rupture s'ouvre sur des dilemmes hautement démocratiques.

Camille ÉDOUARD, Jr. Avocat
Enseignant-chercheur en
Droit public et en sciences politiques
edouardcamillejr@yahoo.

http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=96049&PubDate=2011-08-17

Commentaire
Cette analyse de la crise politique actuelle en Haiti semble d'une froideur, d'une objectivité irréfutables. Qu'à cela ne tienne. Mais elle recèle un défaut de conséquence, un décalage, qui n'en fait pas moins un texte biaisé. Car si le parti majoritaire a toutes les chances, selon la constitution, de fournir (ou tout au moins d'avoir son mot à dire dans le choix)un premier ministre à la nation, il ne demeure pas moins que dans le cas précis de l'actuelle majorité au sénat (la chambre des députés n'est pas exclue), il y a des doutes considérables sur la légitimité des élus (?). Si quelque chose ne fait plus de doute, c'est que Préval et ceux qui l'ont conseillé ont tout fait pour ou bien rester avec tous les pouvoirs possibles, ou bien faire avorter les élections. Alors comment parler de changement, d’amélioration si ceux qui persistent à gouverner frauduleusement sont ceux qui vont imposer le prochain gouvernement? Cela ne s'appellerait-il pas un cercle vicieux? C'est tout simplement une question.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire