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vendredi 29 avril 2011

Au regard du futur de la CIRH

cliquez pour agrandirJean Max bellerive, Premier ministre et co-président de la CIRH

Haïti: Depuis plusieurs semaines, quelques acteurs de la société civile se sont engagés dans une analyse souvent incomplète, mal informée et parfois biaisée du travail de la Commission intérimaire pour la reconstruction d'Haïti (CIRH) et du contexte dans lequel cette structure évolue. Je veux croire que le caractère lacunaire de leur analyse est tout simplement le produit d'un déficit en communication, pour lequel la CIRH doit assumer au moins une partie des responsabilités. Cependant, à un moment où la Commission vient de commémorer le premier anniversaire de sa création, la population est encore en attente de changement profond de ses conditions de vie. Alors que le pays s'engage résolument dans une nouvelle page d'histoire, j'ai pensé qu'il était de mon devoir, en tant que Premier ministre sortant et coprésident de la CIRH, de restaurer la vérité et de dissiper un ensemble de malentendus qui ne peuvent que dévier des réflexions sérieuses et si nécessaires sur l'avenir de la reconstruction d'Haïti.

Dans un contexte historique très particulier, mon but dans cette tentative de réponse est d'offrir aux nouveaux décideurs politiques, à la société civile et à la population dans son ensemble une perspective objective et le fruit de l'expérience des 12 dernier mois de fonctionnement de la CIRH. Je ferai donc le choix d'ignorer les accusations fallacieuses et les critiques intéressées reprises ça et là, pour éviter d'être entraîné dans une polémique stérile et surtout incompatible avec mes attributions de chef de gouvernement. Par contre, sur les questions de fonds mon point de vue est simple : i) la CIRH a-t-elle été un instrument essentiel à l'engagement des différents partenaires de la reconstruction d'Haïti à un moment tellement critique ? Ma réponse est : Oui; ii) est-elle perfectible ? Absolument ! ; iii) quel devrait être son devenir, en tenant compte de l'évolution de la situation en Haïti ? Je propose quelques options ci-dessous.

Avant toute analyse de la performance de la Commission, il faut d'abord rappeler que la CIRH a vu le jour à un moment où le pays, déjà fragilisé par les intempéries de 2008, venait de perdre l'équivalent de 120 % de son PIB et le tiers des ses fonctionnaires publics. Le bilan des pertes en infrastructures, en archives et en mémoire institutionnelle, bien qu'incomplet au moment de la création de la CIRH, laissait déjà entrevoir l'étendu des défis qu'il fallait surmonter. Le tout exacerbé par les urgences humanitaires, les risques d'instabilité politique d'épidémies, les menaces de nouvelles catastrophes naturelles à la veille de la saison cyclonique de 2010 et la préparation des élections, tous réclamant des actions urgentes alors que les cadres de mon gouvernement n'avaient pas fini de panser leurs blessures et d'enterrer leurs morts. A ce propos, j'ai encore à l'esprit le sacrifice des nombreux cadres et membres du gouvernement qui se sont rendus à leur poste alors qu'ils venaient d'enterrer parents et amis ou recherchaient encore leurs proches disparus.

Dans ce contexte encore chaotique, mon gouvernement avec l'appui de ses partenaires a préparé et présenté à la communauté internationale un programme de refondation sans précédent. Ce programme a reçu l'aval du monde entier et a constitué le cadre programmatique pour la mobilisation de plus de 5 milliards de dollars en engagements pour les années 2010 et 2011, triplant ainsi le montant de l'assistance externe reçue pour la période 2008/2009.

Cependant, avec l'expérience d'Aceh en Indonésie en 2005 encore présente dans ma mémoire et la perception généralement acceptée que le gouvernement haïtien n'aurait pas la pleine capacité d'absorber ces fonds, je savais que pour que ces promesses se transforment en soulagement pour le peuple haïtien, il nous faudrait créer rapidement un instrument transitoire qui rassurerait nos partenaires internationaux et offrirait les garanties de transparence, d'efficacité et de cohésion, sans pour autant remplacer ou mettre en doute l'autorité de l'État et le rôle primordial de ses institutions, même fragiles. Notre objectif était d'avoir une plateforme efficace pour faire face aux besoins urgents de la population dans un contexte de quasi disparition des institutions de l'État. Il était crucial de tout mettre en oeuvre pour aider le pays à se relever. Cette idée était d'autant plus pertinente, que dans l'histoire passée de la coopération externe, chacun des partenaires institutionnels ou privés impliqués dans des programmes de développement en Haïti avaient une latitude telle, qu'ils décidaient souvent unilatéralement de la mise en oeuvre des programmes. La technique de la valse entre les administrations était couramment employée et mettait par ailleurs en conflit permanent, les directeurs de projets, les ministères, les collectivités territoriales, les ministères de la Planification et des Finances et en fin de parcours, le Premier Ministre et le Président de la République. Pour avoir travaillé pendant plusieurs années au ministère de la Planification, j'en suis le premier témoin.

Le pari se sera révélé payant. L'existence de la CIRH aura facilité en 2010 deux fois plus de décaissement de l'aide publique au développement qu'en 2009, accompagnée d'une inflexion nettement positive du flux de décaissement, au fur et à mesure que les priorités du gouvernement étaient mieux définies (voir tableau ci-dessous).

De plus, la présence de personnalités de grande envergure comme celles du Président Clinton ou du Premier Ministre PJ Patterson et la participation active de représentants des capitales étrangères ont permis de garder l'attention internationale sur le processus de reconstruction.

La CIRH constitue donc une réponse stratégique, volontaire, limitée dans le temps, modelée sur des structures similaires bien documentées qui ont fait leur preuve et bien adaptées au contexte haïtien. Elle trouve son fondement dans la loi d'urgence votée par le Parlement en avril 2010. Contrairement au BRR (la structure similaire d'Aceh en Indonésie sur laquelle elle est modelée), elle n'est pas un instrument d'exécution et ne gère pas de financement programmatique. Elle ne construit donc pas de logements, de routes, d'hôpitaux ou d'écoles. Enfin, elle ne définit pas les grandes orientations stratégiques du gouvernement haïtien.

Cette structure regroupant des représentants des secteurs nationaux et internationaux, sans précédant en Haïti, est un espace de dialogue, de transparence et de cohérence de l'aide. La Commission rassemble autour d'une table de concertation les représentants des principaux acteurs impliqués dans la reconstruction du pays et les tient imputables de leurs engagements. Dans ce rôle, la Commission soutient et amplifie le travail de coordination de l'action gouvernementale que continue à jouer (de mieux en mieux de l'avis de tous!) le ministère de la Planification et de la Coopération Externe. Celui-ci est d'ailleurs amené à prendre en main certaines fonctions de la CIRH dans le processus de reconstruction au fur et à mesure que les différentes phases du renforcement institutionnel seront achevées.

La Commission a permis au gouvernement haïtien de définir un ensemble de priorités devant aboutir à des résultats visibles et mesurables dans un temps bien défini, de participer à la sélection des partenaires de la mise en oeuvre et de mobiliser l'assistance externe centrée sur ces priorités. Les axes identifiés et les projets financés émanent directement du plan d'action proposé par le gouvernement haïtien à New York et reconfirmé, sur une base continue, par les différents ministères sectoriels. Elle s'est dotée d'instruments lui permettant de veiller à la réalisation effective de projets et programmes qui vont au-delà des capacités du gouvernement et sont essentiels à la refondation du pays.

De par ses règlements internes, la CIRH ne remplace aucune des institutions ou organismes prévus par la Constitution et les lois du pays. Au contraire, aucun projet ne peut être présenté au Conseil de la Commission sans l'aval explicite du ministère concerné. Dans ce contexte, les tables sectorielles jouent déjà un rôle central dans la coordination et la mise en oeuvre des stratégies et seront renforcées afin d'assurer i) que le gouvernement s'approprie entièrement des programmes et activités des secteurs en question, comme condition sine qua non de leur pérennité, ii) que la mise en place d'un système d'information soit accessible à tous les acteurs pour ainsi optimiser les ressources disponibles, iii) et que les parties prenantes puissent disposer d'un forum unique pour la coordination stratégique et opérationnelle du processus de reconstruction.

De ce fait, aucune des décisions prises par la CIRH ne peut aller à l'encontre de l'environnement administratif et légal haïtien et aucune des prérogatives des institutions nationales n'est déléguée à la CIRH. Ceci est garanti non seulement par les règlements internes, mais aussi par la présence d'une presse vigilante, du Premier Ministre et des représentants du pouvoir judiciaire, du Parlement, de la société civile haïtienne et de la Diaspora.

Depuis la mise en place de la CIRH, les institutions étatiques et para étatiques haïtiennes n'ont fait que gagner en participation dans les décisions sur les investissements dans le pays. Elle a aussi facilité de façon cohérente un renforcement institutionnel sur le moyen terme. Aujourd'hui, tout le monde est assis en même temps autour de la même table et l'information est transmise de façon transparente et équitable à tous les acteurs et bénéficiaires. Sur son site web, la Commission expose pour la première fois le détail des projets présentés dans le cadre de la reconstruction, le montant des financements alloués, les partenaires impliqués dans la mise en oeuvre et l'état d'avancement des projets ainsi que les zones d'intervention. Ces informations sont publiées en temps réel en vue d'assurer une plus grande transparence et participation de tous les acteurs de la reconstruction.

Le travail de la Commission couplé aux autres efforts du gouvernement auront permis en 15 mois la mobilisation de ressources et la réalisation de résultats concrets dans les domaines suivants :

- des millions de litres d'eau potable ont été distribués aux populations, notamment à travers la DINEPA et autres organisations, évitant ainsi l'accentuation de la grande cause de mortalité en Haïti que constituent les maladies hydriques. De fait, l'incidence de ces maladies a dramatiquement diminué en Haïti depuis le tremblement de terre ; - des millions de rations alimentaires ont été distribuées, limitant ainsi l'impact des conditions précaires et des conséquences du chômage sur l'alimentation des populations ; - des centaines de milliers de tentes, abris et prélats ont été distribuées dans la phase d'urgence, permettant ainsi aux victimes de se protéger contre les intempéries ; - plus d'une centaine de postes de soins et de nombreux centres de traitement du choléra ont été montés dans toutes les zones sinistrées avec le leadership du ministère de la Santé publique afin d'augmenter l'accès aux services de santé à la population ; - des centres de santé ainsi que des hôpitaux de référence sont en train d'être construits dans différentes régions du pays ; - la distribution électrique a été rétablie à près de 95% dans les zones où le courant était distribué avant le tremblement de terre et de nouvelles capacités sont en train d'être installées; - des milliers d'emplois provisoires ont été créés, permettant aux victimes de disposer d'un minimum de ressources pour subvenir à leurs besoins premiers ; - plus de 600 000 personnes ont quitté les camps, plusieurs milliers d'abris provisoires ont été construits et environ 400 logements permanents sont prêts à être distribués à la population ; - conformément au plan présenté à New-York, des investissements importants ont été réalisés dans les dix départements dans le domaine des infrastructures (routes, ponts), de l'énergie, des services de base (eau potable, écoles, centres de santé, etc.); - des investissements importants ont été consentis pour faciliter la création d'emplois en dehors de la capitale (par exemple la construction d'un important parc industriel dans la région Nord qui devra générer également plusieurs emplois indirects) ; - d'énormes efforts ont été déployés pour continuer à mieux protéger les populations contre les effets des turbulences climatiques et diminuer l'incidence du passage des cyclones (travaux de curage, protection des berges, aménagements des bassins versants, etc.) ; - des études, des plans et des terrains ont été identifiés et vont permettre rapidement de démarrer la construction de logements modernes à loyer modéré pour les populations touchées. En tout, plus de 87 projets ont été approuvés par la CIRH et plusieurs sont en cours de réalisation sous la coordination du gouvernement. L'une de mes responsabilités, à titre de coprésident de la Commission, est de m'assurer que les ministères concernés sont toujours à l'origine ou opérateurs des projets proposés à la validation de la Commission.

Au regard du futur de la CIRH, les récentes réflexions ont permis de mettre en exergue trois issues plausibles:

• La CIRH disparaît purement et simplement le 21 octobre 2011 au terme de son mandat de 18 mois;

• Conformément à la Loi votée par le Parlement, la CIRH se transforme en Agence de reconstruction avec un mandat bien défini qui prendrait la relève après le 21 octobre;

• Le mandat actuel de la CIRH est prolongé pour une période limité (un an au plus) avec des modifications à sa mission et si nécessaire à sa structure, en vue d'accommoder la nouvelle conjoncture et de redistribuer ses attributions en fonction de la vision du nouveau gouvernement.

Ces différentes options sont déjà en discussion et devront être traitées en priorité par les prochaines autorités élues.
En ce qui me concerne, la décision finale sur l'avenir de la Commission devrait être guidée par trois considérations majeures :

• L'obligation de garantir que les éléments de base de la reconstruction, particulièrement l'enlèvement des débris, les logements sociaux, la réparation/reconstruction des écoles, la mise en place de systèmes sanitaires et d'eau potable, de services de santé et la création d'emplois, etc. ne soient interrompus ou pris en otage par la transition politique. La population ne peut plus attendre ;

• Le besoin d'assurer que le gouvernement et les institutions nationales puissent assumer pleinement, directement et aussi rapidement que possible la prise en charge complète du processus de reconstruction. Ceci inclut la coordination de l'aide publique dans un cadre transparent et efficient garantissant la reddition de comptes aussi bien au niveau national que pour les citoyens des pays qui ont accepté que les fonds provenant de leurs impôts soient investis en Haïti.

• La nécessité de veiller à ce que, sur le moyen et long terme, nous ne nous retrouvions pas en train de créer une administration bancale et à deux vitesses.

En tout état de cause, la disparition de la CIRH le 21 octobre prochain mettrait tout un ensemble d'acquis en danger et obligerait le gouvernement à envisager une nouvelle structure de coordination. Il est clair que le retour au statut d'avant le séisme ne faciliterait en rien le processus de reconstruction. En effet, il est certainement facile pour les détracteurs de la CIRH d'oublier que ce nouvel instrument repose sur un partenariat efficace entre la communauté internationale, le gouvernement haïtien et les intervenants locaux pour d'assurer un flux continu de ressources, une cohérence des déboursements et une gestion transparente du financement. Par contre, ceux qui ont la responsabilité de gouverner doivent s'assurer que ces différents éléments s'articulent de manière harmonieuse pour soulager les souffrances de la population.

La deuxième option exigerait une plus grande réflexion et une meilleure compréhension de la vision et des grandes orientations que proposera le nouveau gouvernement au parlement. Le cadre légal, la relation de cette nouvelle structure avec les différents ministères, les lignes de communication, les ressources nécessaires, la valeur ajoutée de ce modèle par rapport à d'autres, autant de questions qui devront être largement débattues tant par les techniques que les politiques avant d'engager le pays dans cette voie.

La troisième option offrirait aux décideurs le temps et l'espace nécessaire pour définir une vision et une approche commune pour le court, moyen et long terme. Cette option permettrait de définir les structures permanentes, préparer et mobiliser les ressources pour la pleine appropriation des fonctions par le gouvernement. Elle permettrait enfin à la communauté internationale d'accompagner le processus, de partager ses soucis et de s'ajuster au besoin.

La reconstruction d'Haïti ne peut se concevoir sans un vrai partenariat entre les différents intervenants des communautés internationales, de la société civile et des pouvoirs de l'état. J'affirme sans réserve que si ses missions sont bien comprises et ses attributions bien remplies, la CIRH est un instrument incomparable pour faciliter une meilleure prise en charge par les Haïtiens de leur propre développement. La présence de « blancs » sur la table ne doit pas être vue comme un handicap à l'atteinte de cet objectif. Au contraire. Nous avons un plan et nous voulons construire les capacités nationales. Afin de le mener à bien, nous travaillons avec ceux qui le financent pour assurer une parfaite transparence dans la gestion des fonds reçus en évitant les chevauchements.

Comme le démontrent les faits ci-dessus établis, la CIRH a entrainé un changement significatif en Haïti. Des progrès s'opèrent par exemple au niveau des modalités d'intervention des innombrables petites agences. Auparavant, il suffisait d'être présent sans pour autant être efficace. Des millions de dollars ont été dépensés par plusieurs petites organisations à Mapou, aux Gonaïves après le passage du cyclone Jeanne, sans que la réalité sur laquelle elles prétendaient agir ait réellement évolué. Le contexte actuel exige de la transparence et des actions concrètes. Nombre d'organisations réclamant la disparition de la CIRH ont leur budget de fonctionnement en augmentation depuis le séisme, sans pour autant articuler des actions concrètes au sein de la population. Le déplacement du débat, accompagné de la stigmatisation de la CIRH et orchestré par divers groupes, n'est donc certainement pas dû au hasard.

Pour terminer, tout en souhaitant que le présent éclairage facilite la compréhension de l'authentique mission de la CIRH, je vous prie toutes et tous de croire en mon dévouement dans l'intérêt de la nation.

N.B. À ceux et celles que la question intéresse, de nombreuses informations spécifiques peuvent être trouvées sur le site de la Commission: www.cirh.ht.
Jean-Max Bellerive
Premier ministre d'Haïti
Coprésident de la CIRH

http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=91830&PubDate=2011-04-28

Commentaire
Nous consulterons religieusement ce site et ferons nos commentaires après. En attendant, que chacun y puise les elements nécessaires à une mure réflexion sur le sujet.

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