dimanche 17 avril 2011
Par Claude Clément Pierre
Soumis à AlterPresse le 16 avril 2011
Six icônes, révélés à notre sensibilité par le cinéaste Arnold Antonin, donnent à voir une image rassurante de l’autre Haïti. L’Haïti des promesses.
Comment en rendre compte sans verser dans l’anecdotique ?
Je suis sorti bouleversé de la projection de ce film, le dernier-né du prolifique réalisateur.
Six Femmes d’exception. Six femmes nous sont montrées dans leur intimité, dans leur vérité, dans leur débordement passionné.
A mon retour de l’étranger, bientôt 25 années - oh, que le temps passe vite !- j’ai eu la chance de coudoyer et de voir à l’ouvrage à l’Ecole Nationale des Arts, (ENARTS) haut lieu de création, d’invention et d’interventions artistiques, non seulement Arnold Antonin, lui-même, le réalisateur de ce merveilleux film, mais encore, quatre des protagonistes : Micheline Laudun Denis, Vivianne Gauthier Emerante De Pradines et Paulette Poujol Oriol. Ce n’était pas qu’une curieuse coïncidence. En ces temps d’euphories joyeuses, chacun dans sa sphère d’activités, transmettait à une jeunesse en voie d’initiation, les subtilités et les artifices des arts. Ce film, non seulement m’a réconcilié avec un passé idyllique, mais en plus, il m’a insufflé un regain de confiance en l’avenir et une autre image de mon île tourmentée.
Après mon passage à l’Enarts, j’ai eu très peu de chance de rencontrer Vivianne Gauthier, Emerante De Pradines, et Micheline Laudun Denis.
Les deux personnalités qui n‘œuvraient pas à l’Enarts, Madeleine Desrosiers Tizo et Odette Roy Fombrun, connue pour sa combativité et son engagement, me sont moins familières. Leur présence dans le film n’a pas peu contribué à asseoir leur légende.
Paulette Poujol Oriol par contre, à la faveur de longues séances de travail en son sanctuaire de la rue Duncombe , toujours chaleureuse et jamais en panne d’esprit, m’avait fait l’honneur de me ranger parmi ses amis.
La galerie des figures
Madeleine Desrosiers Tizo de Jacmel, personnalité originale et colorée, pleine d’humour, c’est par le film que je l’ai découverte. Les saillies de son discours, non conformiste, sont autant de leçons de vivre qui laissent entrevoir un trait de caractère bien singulier et une vitalité étonnante. Je rêve de rencontrer cette espèce de femme volcan un jour, juste pour observer, en aparté, cette force de la nature qui passe le plus clair de son temps, comme un Socrate à rebours, à accoucher des cris.
D’un naturel désarmant, Micheline Laudun Denis a, en toute liberté mais sans ostentation, exprimé ses goûts ; et, au gré de ses souvenirs, elle s’est laissée aller à parler de son mari de sa famille avec pudeur tout en nous offrant un concert ; elle en a même profité pour égratigner au passage une certaine mode sans se départir de sa bonhomie.
Vivianne Gauthier, débordante de vie, génie de la chorégraphie, toujours précédée de son sourire, prêche d’exemple. Elle enfile son costume et donne le ton ; c’est par cette voie symbolique qu’elle indique le chemin du futur.
Emerante De Pradines, féline, léchée et sobre, déballe sa philosophie du temps qui passe en faisant sans sourciller des projets d’avenir au bénéfice des orphelins et de la culture
Comment ne pas évoquer ma bonne amie, partie pour l’au-delà, la veille de la grande première du film ? Paulette, diserte, volubile, généreuse, jubilatoire, parle de tout avec naturel. Après nous avoir relaté le séisme tel qu’elle l’a vécu, la voilà repartie en fugue ; elle reprend sans transition son rôle d’éducatrice et sa posture de dramaturge auprès des enfants tout en chantant, dansant comme pour dissimuler les choses graves qu’elle dévoile sur l’art de vivre.
L’envers du décor
Tout cela pour dire que, en dépit des apparences, le film d’Antonin est loin d’être linéaire, ni rectiligne malgré une recherche de symétrie dans un souci pédagogique selon la vision du metteur en scène ; ces sibylles, égratignent et exposent sans en avoir l’air par des mises en perspectives bien calibrées, certains travers de notre société dans ce qu’elle charrie de nuisances en matière de politique, d’éducation et de langue. Le film a choisi la vie, la diversité avec ses surprises, ses regrets, ses vains rêves sa grogne selon l’humeur du temps. Ici chaque femme est à la fois bien réelle, telle qu’en elle-même et en même temps aérienne, voire irréelle. Et c’est par ce trait que le film retrouve son rythme et son unité d’intérêt. Le film brasse sans bouleverser ; et ici la conception de l’amour qui s’y dégage, déborde largement l’égoïsme à deux sans atrophier « le moi ».
En répondant à l’invitation d’Antonin, je me proposais tout bonnement et en toute quiétude d’assister à un film de divertissement me ramenant aux charmes des souvenirs de jadis, j’ai, tout compte fait, reçu à travers cette production, outre le plaisir espéré, un message : revisiter une histoire mal perçue qui fonctionne en demi teinte. Dans notre tiers d’île, la réalité est un voile plutôt bigarré, tissé de questionnements et bouleversant de mystères. Derrière cet écran, un pays cherche sa voie.
Ces six femmes ne sont pas de même condition certes, mais la mise en bouquet de ces figures éponymes a été judicieuse. Ces citoyennes ne font pas le même métier mais Arnold Antonin a pu retrouver, chacune d’elles dans la plénitude de sa solitude, six tempéraments dévorés par la passion du don de soi par ce qu’elles ont reçu de la nature par-dessus tout, comme un cadeau précieux, leur incontestable talent.
Par des chemins de traverses, les six se rencontrent et quelque part, se confondent ; ce sont des accoucheuses célestes, des femmes-pélicans qui n’en finissent pas d’offrir leurs entrailles en pâtures à des rejetons au péril de leur vie jusqu’à la consomption. Histoire de se convaincre que l’héritage devra passer en d’autres mains pour que le pays ne meure.
Les leçons
Ce film attachant n’a pas fait que me révéler six femmes de grande qualité. J’ai découvert six manières de pratiquer la vertu, six manières d’apercevoir et de suivre sans fil d’Ariane, la trajectoire du dépassement de soi. Six manières de faire l’apprentissage de la liberté et d’en répandre les semences.
Six femmes d’exception. Six femmes triées sur le volet nous proposent un regard prospectif qui est, en dernière appréciation, une leçon de vérité, traduite dans un langage de la forme, une sémiotique de la rhétorique, une grammaire intense et pressante d’un pays à construire à partir de valeurs encore solides exposées à tous les dangers et hantées par le naufrage.
La part de l’art
Œuvre de représentation au bord de la rêverie, tant par l’angle de vue, les couleurs, le mouvement que par le choix du propos, loin d’être un documentaire, Six femmes d’exception fraie la voie à un modèle de cinéma de la distanciation ; le dosage savant d’un lyrisme de la réalité dont Antonin se fait le champion. Le documentaire-fiction.
Le spectateur, s’il sait regarder avec les yeux du cœur en sortira médusé ; car le réalisateur-concepteur anime un cadre à dimensions étagées ; il construit un dispositif dynamique autour de ses icônes où objets en un espace clos de l’environnement, le jeu des couleurs et des formes en liberté, les discours assumés, produisent de manière immanente des effets de sens polysémiques et polymorphes. C’est bien là, l’expression d’une dialectique didactique visuelle au cœur d’une rhétorique visuelle.
En définitive, c’est une véritable proposition de savoir faire artistique que nous propose le cinéaste via un discours pluri code.
Arnold Antonin a réussi un superbe pari à travers cette réalisation qui est à la fois un hommage à chacune de ces femmes, un hommage à la femme haïtienne et par-dessus tout, un hommage à cet empire des signes qu’est Haïti portée à bout de bras par l’autre moitié du monde.
Haïti, belle comme une incandescence !
Pétion-Ville, le 30 mars 2011
http://www.alterpresse.org/spip.php?article10918
Commentaire
Ces femmes qui nous ont tant donné et ont tant d`autres choses à nous offrir! Haiti n`a pas souvent fait l`éloge de cette partie de sa population qui remplit un rôle si important et qui est paradoxalement si marginalisée. Mais les esprits jeunes, la nouvelle génération plus ouverte, savent déjà qu`en rendant hommage à celles qui le méritent, ils préparent un meilleur avenir au pays. La femme n`a-t-elle pas été de tout temps la sève même dont se nourrissent les générations? C`est d`elle que naissent les héros et les délinquants, c`est d`elle les fiers et les traumatisés, les équilibrés et les malades. Plus d`attention à ces mères ou soeurs ou amies potentielles, c`est plus d`aliment pour l`avenir! Et là nous parlons au sens propre et au sens figuré.
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