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vendredi 7 janvier 2011

Digicel présente ses projets et règle ses comptes

Depuis un an, le Belge Maarten Boute est à la tête de la Digicel. La compagnie vient de payer et de collecter près de 60 millions de dollars de taxes à l'Etat haïtien. La Digicel c'est aussi plus de quatre cent millions de dollars d'investissements dans le pays et 2.5 millions de clients. Le PDG de la Digicel poursuit une tradition de la compagnie de communiquer sur son parcours et ses projets en acceptant de répondre aux questions du Nouvelliste. Petit changement au programme, la Digicel lance un cri d'alarme et met en garde contre la Natcom, l'ex TELECO, qui est la propriété de l'Etat haïtien et du ministère de la Défense du Vietnam qui peut, si les règles du jeu ne sont pas respectées, déstabiliser le marché des télécommunications en Haïti. Boute, membre du Forum du secteur privé, regroupement des grands patrons haïtiens, fait aussi un plaidoyer pour la démocratie en Haïti dans cette longue interview.
Haïti: Le Nouvelliste : Vous êtes arrivé pleinement, si on peut dire, cette année à la tête de la Digicel. 2010 a été une année compliquée pour Haïti. Mais en fin de compte, cela se termine bien pour la Digicel ?
Maarten Boute : Effectivement, ma nomination comme P.D.G. date du 18 décembre 2009. J'ai pris fonction avec beaucoup d'enthousiasme, avec une belle allée devant nous et en pleine phase euphorique. Ensemble, avec tous les Haïtiens, on voyait que le pays allait mieux, il y avait moins d'insécurité. On venait de voir Clinton qui amenait tous ces investisseurs en novembre 2009. Il y avait beaucoup de visibilité pour la Digicel également comme l'exemple d'investissement qu'il fallait faire, etc.
Et puis... comme vous le savez tous... comme nous l'avons tous vécu, le 12 janvier a tout changé pour tout le monde.
Maintenant, pour répondre à la question : oui, l'année s'est bien terminée du point de vue des chiffres. La Digicel a eu une bonne croissance malgré les malheurs que nous avons tous dû remonter ensemble.
Notre grande famille a grandi de plus de 400 000 membres et nous avons donc franchi la barre de 2,5 millions de clients.
Nous avons aussi pris nos leçons de l'événement du 12 janvier et avons fait des investissements massifs pour augmenter non seulement la capacité, mais aussi et surtout la fiabilité de notre réseau.
Et en dépit de tout, nous avons été présents pour la population haïtienne à tout moment.
En fait, on a pris beaucoup de leçons du 12 janvier...
LN : La Digicel a souffert le 12 janvier ?
MB : Oui, comme la population et la grande partie du secteur des affaires, nous avons souffert. En plus des dégâts subis dans des zones spécifiques, le séisme a touché un des coeurs de notre réseau, en mettant hors service le système de refroidissement d'un de nos centres de commutation situé à côté de notre bâtiment, à Turgeau. Nos équipes ont réussi rapidement à remettre le service en marche, mais à cause de la forte demande, notre réseau s'est très vite congestionné. Cette congestion a été accentuée par le fait que nous avons été le seul réseau à offrir des communications gratuites. Effectivement, nos clients ont pu bénéficier de plus de 10 millions de dollars américains de communication gratuite pendant plus de 7 jours après le 12 janvier.
J'ai parlé de leçons tout à l'heure ; eh bien, au niveau du centre de commutation, on a fait venir des experts, des experts qui travaillent dans les zones sismiques. Bien que notre bâtiment soit parasismique, nous avions des soucis dans le design. Et ce que nous avons maintenant comme centre de communication qui remplace celui qui était en place le 12 janvier et qui a connu des soucis, c'est un centre de communication qui résiste pendant trente minutes à un tremblement de terre de magnitude 10 sur l'échelle de Richter.
Donc, il faut comprendre que ce qu'on a vécu le 12 janvier, c'était 35 secondes à 7.3. Dorénavant, le centre de communication, le coeur de notre réseau, peut résister trente minutes à la puissance d'un tremblement de terre qui n'a jamais encore été mesurée.
Des investissements sont également en cours pour doubler la capacité de notre réseau. Donc les premiers 70 millions que Digicel a investis cette année le sont pour réparer nos erreurs du passé. On n'a plus d'antenne sur les toits ; on les a toutes remplacées par des mâts qui, eux, partout, avaient bien tenu. D'ailleurs, il n'y a aucune de nos tours qui soit tombée. On a augmenté la résilience entre les sites. Avant, quand un site tombait, des fois, 10 autres sites le suivaient, parce que le premier site était un point de relai en même temps. On a enlevé ces points de faiblesse dans le réseau. On a augmenté le nombre de sites à Port-au-Prince. Il y a des gens qui vont voir que dans leurs quartiers il y a eu des améliorations certaines de la qualité des communications.
Le prochain volet qu'on commence maintenant, et qui s'achèvera en février-mars 2011, est un investissement de doublement de nos capacités, et il est très important aussi. On ajoute 120 sites dans les provinces dans des zones qui n'étaient pas encore couvertes. On le fait parce qu'on croit, on va continuer de croire, en Haïti. Digicel le fait aussi parce qu'il y a une concurrence supplémentaire qui arrive sur le marché et on veut garder la confiance de nos clients. On veut pouvoir continuer à dire qu'on est le meilleur réseau du pays et, très bientôt - et c'est un petit clin d'oeil à Voilà - je pourrai dire avec confiance et avec preuve qu'on est de loin le réseau le plus fiable également.
Digicel va sortir des documentaires en ce début de 2011 pour démontrer clairement à la population ce que nous avons fait, de façon très transparente, pour augmenter notre fiabilité. Et je pense que les chiffres parlent aussi : 70 millions de dollars d'investis, c'est beaucoup d'argent ! Et tout cela pour l'amélioration des services de la Digicel.
LN : En cinq ans, plus de 370 millions de dollars d'investissements. Le marché de la téléphonie est si porteur, si rentable en Haïti pour justifier de tels investissements ?
MB : Avoir la première place sur le marché, cela se mérite, ce n'est pas gratuit. Et pour l'avoir, nous devons continuer à investir. De plus, le propriétaire de Digicel, Denis O'Brien, personnellement, croit très fortement dans ce pays. C'est un ambassadeur d'Haïti. Vous ne croirez pas à quel point il est ambassadeur : à chaque personne qu'il rencontre, partout à travers le monde, il parle d'Haïti. Il va parler d'ici parce qu'il aime ce pays, et il y vient souvent. Et, à chaque fois qu'il vient, il me fait faire de nouvelles choses.
Pour répondre à la question, oui, Haïti est un marché rentable... Un marché qui est très difficile, parce qu'il faut tout faire soi-même. Il faut générer son propre courant électrique; il faut faire ses propres routes pour arriver dans les mornes et pour couvrir le pays...
Mais c'est un pays dans lequel on croit, et on croit que si on arrive à créer cette croissance économique sur la base d'un gouvernement stable, sur la base de lois équitables pour les entreprises, le pays peut croître. Et avec 10 millions d'habitants aujourd'hui, il y a trois millions et demi d'utilisateurs de téléphones. Dans les années à venir, il y a beaucoup de jeunes qui vont sortir des universités, de l'école, etc. qui vont entrer dans la vie active : c'est une clientèle qui aura besoin de communiquer, et nous allons être là pour offrir de bons services et les meilleurs services de communication.
LN : Vous parlez de Denis O'Brien ; vous parlez de l'Irlande ; vous rénovez le Marché en fer ; vous faites le concours national sur les entrepreneurs ; la Digicel a été impliquée dans plein de projets cette année. Des fois, on ne comprend pas trop bien : expliquez-nous un petit peu cette stratégie de sortir du cadre de votre entreprise principale qui est la télécommunication ?
MB : Il y a un grand principe qui m'a attiré ici en venant y travailler. Je ne suis pas venu ici pour gagner de l'argent. Je gagnais beaucoup plus d'argent avant. Je suis venu ici parce que Denis O'Brien a un principe de « giving back ». Cela veut dire qu'il a pour principe de vouloir partager tous les gains avec Haïti. En fait, nos clients, c'est grâce à eux que nous pouvons reconstruire le Marché en fer. De chaque personne qui utilise une minute de Digicel aujourd'hui, une partie de ce qu'elle dépense va vers ce type de projet. C'est une première base de notre action. On y croit, on pense que c'est important de partager nos bénéfices, de partager nos réussites avec l'ensemble du pays, parce qu'à long terme, de nouveau, cela va nous revenir. Cela va nous revenir parce que le pays se développe. Les gens auront plus de moyens, ils pourront acheter un meilleur téléphone, téléphoner un peu plus ; peut-être qu'ils pourront prendre un abonnement internet projet sur lequel on travaille aussi, etc.
Deuxième chose, un peu sur la stratégie. On s'est toujours focalisé sur l'éducation. Et ça continue. La Fondation Digicel avait 22 écoles. Entre le séisme du 12 janvier et mai 2011, on aura construit 100 écoles dans tous le pays. La grande majorite de ces constructions vise à remplacer les structures qui sont tombées avec le séisme. En sus de la construction des écoles, on a un programme de formation des professeurs. D'ailleurs, on a un suivi qui est en place ce qui est un avantage pour ces écoles. L'action de la Digicel dans l'éducation n'est pas ponctuelle comme celle de beaucoup d'ONG. Une ONG va venir pour un an, deux ans, trois ans : son budget épuisé, elle part et les gens sont laissés malheureusement seuls. C'est comme si on donnait à boire tous les jours à quelqu'un, et puis un jour on arrête de lui donner à boire et on lui dit « va chercher de l'eau », et il n'y a de l'eau nulle part : ce n'est pas juste. La Digicel sera toujours là.
Pour le concours de l'entrepreneuriat, en faisant l'analyse de l'économie haïtienne, on s'est rendu compte qu'il y a un grand problème à ce niveau. Il y a une pudeur qui existe. Les gens ont peur de réussir, ont honte de dire qu'ils ont réussi. Il y a des gens qui pensent que c'est seulement les « gens d'en haut » qui gagnent de l'argent et pas les autres. On a voulu montrer avec l'Entrepreneur de l'Année qu'il existe des entrepreneurs partout dans le pays. Il y a beaucoup de gens ici qui sont intelligents et qui avancent partout dans le pays. Donc on veut célébrer ces succès. On ne va pas donner un million de dollars à ces gens : on va simplement les mettre sur un podium et dire que c'est le prix d'entrepreneur le plus prestigieux qu'il y a en Haïti. Et on va le faire chaque année. Pour rendre les gens fiers d'être entrepreneurs.
Pour revenir au Marché en fer, le fameux Marché Vallières, nous y sommes pour deux raisons : on croit dans le bas de la ville, on croit dans Port-au-Prince, on croit qu'il faut redorer le blason de cette partie du centre-ville, et il y a une belle opportunité de le faire. Il faut avouer que c'est un projet audacieux.
Tout le monde avait dit que ce n'est pas possible... On l'a pourtant fait ! On va ouvrir le Marché le 11 janvier 2011. On va tenir notre promesse, on va le faire en un an.
Combien de bâtiments avez-vous vu reconstruire au bas de la ville, à part quelques commerçants courageux qui ont rénové leurs bureaux, leurs entreprises ? Je n'en ai presque pas vu...
Il y a Charles Castel, le gouverneur de la Banque de la République d'Haïti, qui essaie de faire beaucoup d'efforts autour de la Banque Centrale. Je le respecte et je trouve que c'est bien. Au moins, il a du sang-froid. Il a déblayé, il a des projets, il essaye de trouver des financements.
Il y a quelques personnes qui font cela en ville. Il y a des gens qui sont restées, mais la plupart ont laissé. Même mes chauffeurs, la nuit, c'est moi qui dois venir avec eux car ils ont peur de descendre en ville. Ils ont peur parce que le centre-ville a une réputation. Et, je te le dis Frantz, tu peux t'y balader au milieu de la nuit. Moi, je n'ai jamais entendu un coup de fusil. Je ne me suis jamais fait braquer.
La deuxième raison est dans la même lignée de l'entreprenariat : il faut proposer des structures formelles, dans lesquelles les marchandes peuvent s'installer. Les gens qui vont venir dans ce marché, ils vont payer leur cotisation, ils vont avoir une carte officielle. Ils paieront une cotisation qui est encore bien moins chère que pour un emplacement qui n'est pas bien. Ils vont avoir la garantie que tous les soirs le marché sera nettoyé. On va leur donner une structure normale.
Donc le marché, à nos yeux, est un projet emblématique à Port-au-Prince, qui est sensé stimuler d'autres projets, pour dire que nous savons les faire. Alors pourquoi vous ne pouvez pas le faire ? On ne va pas le peindre en rouge et l'appeler marché Digicel. On va le peindre dans ses couleurs traditionnelles. Digicel, sur ce projet, a travaillé avec l'ISPAN. Pour la gestion, c'est la Maire de Port-au-Prince qui nous guide.
Comme toujours, nous essayons de travailler dans le long terme. Nous sommes en discussion avec la Mairie pour l'accompagner dans la gestion de longue durée, pour gérer le marché, pour montrer que c'est possible, et que c'est possible dans la durée. Cela va coûter 480 000 dollars américains par an pour maintenir ce marché en état. Les revenus du marché sont dans les 50 000 dollars par an.
LN : On va rentrer dans les chiffres qui concernent Digicel plus spécifiquement. On parle de 60 millions de dollars de taxes payées cette année. On parle aussi de profits pour la compagnie. On parle de nouveaux investissements. Qu'en est-il effectivement ?
MB : J'ai parlé d'investissements... Jusqu'à aujourd'hui, on avait 370 millions de dollars investis dans le pays. On a ajouté à cela les 70, dont une partie provient des primes des assurances, plus les 120 millions de l'année prochaine.
J'ai parlé des clients. On était en début d'année à 2,1 millions de clients. Là, on a fini l'année à 2,5 millions de clients.
Il faut comprendre, par contre, que dans ces nouveaux clients que l'on attire, c'est beaucoup de gens qui sont dans des zones rurales, des clients à très bas revenus. En dépit de tout, on a eu une croissance de notre chiffre d'affaires. On a eu une croissance qui est de plus de 10% par rapport à l'année passée. Tout cela, grâce au travail qui a été fait par nos équipes. J'ai des employés très motivés, j'ai des employés qui ont été là le 12 janvier, qui sont restés ici le soir du 12 janvier ; qui étaient là le 13 janvier dans la matinée alors qu'il n'y avait plus rien. On a redémarré lentement, on a bossé, on était dans les rues, certains des employés avaient des gens chez eux qui étaient bloqués, mais ils venaient travailler pour faire avancer la compagnie, délivrer le service dont la clientèle était en attente. Il y a une passion qui règne dans cette compagnie, et c'est grâce à elle que nous obtenons autant de résultats. Mais, en termes de ce qu'on voit pour l'avenir, cela va dépendre des fondations. Si on arrive à mettre en place un gouvernement légitime, crédible, qui est crédible pour le peuple haïtien, qui est crédible pour les investisseurs, cela va nous permettre d'avoir des bases pour commencer à faire de vraies choses.
Cela veut dire qu'on peut avoir des milliards pour l'énergie ; qu'on peut avoir des milliards de dollars pour l'éducation ; qu'on peut avoir un milliard de dollars pour l'eau, pour les soins de santé. Sur la base de ces choses-là, si elles se font correctement - et moi je continue à y croire, et pour preuve, les investissements qu'on fait -, on pense qu'on va avoir un retour sur nos investissements sur le long terme.
C'est le même risque que l'on a pris quand on est venu ici. Quand on a voulu prendre une licence en Haïti, le monde entier nous disait qu'on était fou, que ce n'était pas possible, que c'était un pays de corrompus. Mais ce n'est pas vrai ! Oui, il y a de la corruption ; oui, il y a des choses qui ne vont pas bien. Mais si on refuse de rentrer dans le jeu, on peut très bien opérer dans ce pays. Et nous encourageons tout le monde à le faire.
LN : La Digicel c'est aussi la diaspora. La Digicel y a une présence. Vous avez lancé dernièrement un nouveau produit, une carte à deux dollars. C'est une politique spécifique pour les Haïtiens qui vivent hors d'Haïti ?
MB : La diaspora est un marché intéressant. Nous avons de bons accords avec les différents agents de transferts qui travaillent là-bas. C'est important de garder un contact avec eux. Nous avons une équipe de plus de 20 personnes à Miami, qui travaillent pour la diaspora. Effectivement, il y a la carte à deux dollars. Il y a d'autres cartes qu'on va sortir qui donnent aussi de l'argent aux personnes qui sont en Haïti ; et puis il y a la recharge aussi. Il y a de plus en plus de gens qui rechargent des comptes par internet ou dans les différents points de vente de la diaspora. On sponsorise aussi pas mal d'événements. Également, au point de vue des ressources humaines, on a réussi cette année à engager des personnes très qualifiées de la diaspora. C'est quelque part une réussite aussi, parce qu'on est parvenu à faire retourner des gens chez eux, pour qu'ils viennent travailler ici, dans leur pays.
LN : La concurrence, vous en avez parlé tout à l'heure. Vous avez parlé de Voilà. Il y a aussi la Natcom qui arrive. Il y a la bataille sur l'internet qui est en train de se faire, celle sur la fibre optique. Vous voyez tout ça comment ?
MB : La concurrence, je l'ai toujours dit, toutes les compagnies privées en ont besoin. Cela leur permet de rester éveillées en sachant que demain il y aura une autre qui viendra leur voler la vedette. C'est comme pour Le Nouvelliste et Le Matin. S'il n'y avait pas Le Matin, peut-être que tes équipes seraient un petit moins impliquées au Nouvelliste.
Aujourd'hui, dans les télécommunications, on a une concurrence qui est loyale. Aussi bien Voilà, Digicel que la Haïtel sont des concurrents qui travaillent sur les mêmes bases. Ils comprennent que c'est mieux que je comprenne et respecte les règles, parce que si je commence à casser les règles, les autres vont faire de même et ce sera la pagaille.
Avec la Natcom, on a un peu plus de soucis. Le premier malaise vient du fait que la Digicel et la Comcel ont payé pour une licence (pour une licence GSM, nous avons payé 30 millions de dollars). En réalité, la Natcom a payé 9 millions de dollars pour avoir une licence GSM, pour avoir une licence 3G, pour avoir une licence WiMAX, pour avoir les droits d'atterrissage de fibres optiques, pour avoir le droit de faire un backbone national et une licence fixe. L'ensemble de ces licences, si on prend les prix sans négociations sans rien, ils doivent valoir 100 à 120 millions de dollars.
Oui, la TELECO a perdu de l'argent pendant des années ; il fallait en sortir par une solution. Ok, je l'accorde ! Bon ! on va dire que le paquet des licences de la TELECO vaut 60 ou même 40, mais pas 9 millions de dollars, je suis désolé.
La deuxième crainte qu'on a, est au sujet de la compagnie qui a acheté la TELECO pour en faire la Natcom. Ce n'est pas une compagnie privée. C'est la propriété d'un gouvernement communiste et c'est le ministère de la Défense du Vietnam qui a acheté la TELECO. Donc, ils n'ont pas le même objectif qu'un compétiteur classique qui vient en Haïti ou sur un marché pour faire des investissements. Ils sont un pays, ils ont des rêves expansionnistes comme la Chine. La Chine va aller en Afrique prendre des contrats à droite à gauche, qui ne sont pas des contrats qu'une compagnie occidentale, une entreprise classique prendrait, mais eux, ils ont d'autres idées en tête. Il y a tout un système qui se met en place derrière... et ils prennent très discrètement toute une partie de l'économie.
Cette façon de voir est un danger non seulement pour Haïti, mais pour le marché de la télécommunication en général. Si ces gens-là arrivent et qu'ils décident de pratiquer des prix qui vont être très attirants pour les Haïtiens, ils vont tuer la concurrence parce qu'ils n'ont pas de soucis de rentabilité. Les autres compagnies qui sont sur la place, qui essayent d'opérer et qui engagent des gens, ne vont pas pouvoir tenir.
La Digicel est solide. On va rester et on va se battre très fort. Mais les Vietnamiens de la Natcom risquent de perturber le marché. Cela ne me dérange pas qu'ils occasionnent une baisse des prix. Mais s'ils rentrent et coupent les prix en deux, cela va détruire le marché. Vraiment. Il y a un juste prix pour tout.
Un autre point (et je marche sur les oeufs en le disant), c'est que l'État haïtien garde 40% de part dans la Natcom. Le régulateur des télécommunications travaille pour le ministère des Travaux publics qui est l'État. Même si c'est le régulateur le plus honnête du monde, il y aura un conflit d'intérêt quelque part.
Dans les télécoms, comme dans tous les marchés, quand un acteur arrive et ne joue pas avec les mêmes règles du jeu que les autres et qu'il bénéficie d'avantages substantiels, cela inquiète. On doit émettre des réserves, on doit faire attention et on doit voir avec eux comment on fait.
LN : La Digicel rentre, avec ''Tchotcho Mobile'', dans un nouveau secteur. Vous allez bousculer les banques ? Leurs façons de faire ? La façon de faire les transactions ? De changer de l'argent ? D'acheter des biens dans l'économie locale ?
MB : D'abord, il faut préciser quelque chose : tous les services financiers en Haïti sont régulés par la Banque Centrale. Pour Tchotcho, on travaille avec des banques de la place qui sont régulées par la BRH...
LN : Ce n'est pas avec une seule banque... ?
MB : Pour l'instant, on a lancé le projet avec la Scotiabank. Nous venons de signer avec Sogebank et on est en pourparlers avec la Capital Bank. On est ouvert à toutes les banques. Nous avons une approche multi banques pour que toutes les banques puissent avoir cet outil qui permet de démocratiser les services financiers. TchoTcho va nous permettre d'offrir des services bancaires dans des zones rurales, dans des zones reculées! Un système comme ''Tchotcho'' permet d'ouvrir un compte BAD (un compte à distance) et d'accéder à tous les services à partir de son téléphone. De recevoir son salaire dessus, de faire un transfert à un ami, d'acheter quelque chose dans la rue à une marchande, de recevoir de l'argent de la diaspora. Tchotcho permettra, par ricochet, de réduire le coût de transaction ; il permet de proposer les services à un public beaucoup plus large. Pour le marché entier, nous avons fait passer le nombre d'abonnés à une compagnie de téléphonie mobile quelconque de 300 000 clients à 3,5 millions d'abonnés. Avec ses 2,5 millions de clients, si la Digicel peut stimuler le service bancaire, on le fera.
Ce qui est très admirable, c'est que Charles Castel comprend parfaitement l'enjeu, à savoir : « l'inclusion financière fait partie de l'inclusion sociale en Haïti ».
En Haïti, les gens n'ont même pas de carte d'identité. Du fait qu'ils vont avoir un compte bancaire, ils vont être inclus.
Le service bancaire par téléphone va beaucoup aider le pays. On va perdre de l'argent, et ceci pendant quelques années. Ce n'est pas un service rentable. Le seul avantage avec ce service c'est qu'il nous aidera à fidéliser nos clients.
La Digicel a été la première compagnie à lancer ce type de service.
LN : La Digicel est membre du Forum du secteur privé. Un regroupement très important d'hommes d'affaires qui a une présence particulière depuis les dernières élections. Et la Digicel s'était impliquée pour que les gens puissent savoir où ils devaient aller voter. Cette mise à disposition de vos moyens pour aider la bonne tenue des élections a été le premier geste visible de cette implication. Que vient chercher la Digicel dans cette affaire.
MB : On a parlé tout à l'heure de fondations. L'une des fondations essentielles d'un pays, c'est l'investissement privé, rendu possible par la présence d'un gouvernement légitime. C'est pourquoi le secteur privé s'implique et qu'on accompagne le processus pour en assurer la légitimité. Le Forum, ainsi que la Digicel, en eux-mêmes, n'ont aucune préférence politique. La seule chose qu'on recherche, c'est que celui qui est élu doit être accepté par le peuple et doit être accepté par la communauté internationale. Cela paraît évident, mais c'est vraiment impératif pour avoir une assise confortable pour gérer le pays et pour aboutir à tous les changements dont nous avons besoin.
Si on met en place un gouvernement qui n'est pas un gouvernement légitime, le pays va avoir des problèmes pendant 5 ans. Pas de reconstruction, pas d'investissements privés... Si c'est un vrai leader que le peuple a choisi qui occupe la présidence, ce leader pourra parler franchement à la population et le peuple saura lui obéir, même lors de décisions difficiles.
LN : Pour clôturer sur une bonne nouvelle pour Haïti : quel est le montant exact des taxes que la Digicel a payé pour l'exercice qui vient de se terminer le 30 septembre 2010 ?
MB : Si je rajoute toutes les taxes, on va être autour de 60 millions de dollars US.
La Digicel, c'est aussi 900 emplois. C'est très important 900 bons emplois, avec des niveaux de salaire qui dépassent de loin le salaire minimum.
C'est aussi plus de cent mille personnes enregistrées auprès de la Digicel pour vendre le service Pap pa dap, dont 55 000 qui en vendent tous les mois.
Des fois, j'entends des gens dire que Digicel vient se faire de l'argent dans le pays. Ce n'est pas vrai du tout. Nous sommes de loin l'entreprise la plus correcte en Haïti. Nous sommes fiers d'être une entreprise qui respecte le pays et son peuple à tous les niveaux.
Pour clôturer, j'aimerais profiter de l'occasion pour souhaiter une très bonne année 2011 à tous les lecteurs du Nouvelliste et à la population en générale.
Je répète que la Digicel ne baissera jamais les bras et vous encourage à faire de même. Nous méritons mieux, le pays mérite mieux. Alors faisons tout pour que 2011 nous donne ce changement tant attendu !


Propos receuillis par Frantz Duval
duvalf@hotmail.com
Retranscrits par Lazard Dukenson

http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=87479&PubDate=2011-01-06

Commentaire
Voila évidemment une entreprise modèle dans un pays corrompu jusque dans l'âme (les dirigeants d’abord et surtout), si l'on en croit ce qui vient d'être dit ici. Cela continuera-t-il ainsi? Tout dépendra certainement de celui qui assumera la conduite du pays. Ce dernier reste à trouver après les élections "borlettes" parrainées par le chef Préval. Mais comme Digicel, nous ne devons pas baisser les bras. Le faire, ce serait trahir 9 millions de personnes qui n'ont pas comme nous le privilège de toujours se faire entendre et qui méritent amplement mieux que ce qui leur est imposé.

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