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mardi 18 janvier 2011

Michelle Montas va porter plainte, Evans Paul prêt à pardonner

Le retour spectaculaire dimanche au pays de l'ex-dictateur, Jean-Claude Duvalier, fait revivre à plus d'un les moments noirs d'un régime qui a passé 28 ans au pouvoir. Outrée et en colère, la journaliste Michelle Montas qui a connu l'arrestation et l'exil et qui porte encore dans son esprit les cicatrices des effets néfastes de ce régime sanguinaire va porter plainte contre Baby Doc. Pour sa part, Evans Paul, une autre victime affirme qu'il n'est pas un revanchard. Cependant, il estime qu'il faut mettre Baby Doc face à ses responsabilités de 14 ans de terreur à la tête du pays.
Haïti: « Je suis absolument outrée et en colère. J'ai reçu ce retour comme une gifle. Une gifle pas seulement à moi en tant que journaliste et représentante de radio Haiti, mais une gifle pour le peuple Haïtien », a martelé la veuve du célèbre journaliste haïtien, Jean Léopold Dominique. La présence sur le sol national de son bourreau de jadis, lui fait revivre tous les moments noirs qu'elle a connus pendant le règne de Jean-Claude Duvalier. Pour montrer qu'elle n'a pas oublié les nombreuses exactions de ce régime, la journaliste Michelle Montas rassemble ses documents pour porter plainte contre Baby Doc. Une grande première en Haïti, puisque justement l'ancien dictateur ne fait l'objet d'aucune poursuite judiciaire dans son pays.
« J'ai trop souvent entendu au cours de ces derniers jours qu'il y avait pas eu de répression sous Jean-Claude Duvalier, que tout allait bien. Moi qui ai souffert avec tous mes collègues de radio Haïti de la rafe du 28 novembre 1980, je suis décidée à intenter une action en justice par-devant le commissaire du gouvernement contre Jean-Claude Duvalier pour violation de droits de l'homme, arrestations arbitraires, tortures, assassinats, exil forcé...Et cela, je le fais dans les prochaines heures dès qu'il me sera possible de rassembler ce que j'ai à rassembler légalement pour le faire », a explosé Michelle Montas dans une interview accordée ce lundi au Nouvelliste, moins de 24 heures après le retour de Duvalier.
« Notre média a été détruit sur ordre de Jean-Claude Duvalier le 28 novembre 1980. Une dizaine de mes collaborateurs ont été arrêtés à radio Haïti. Certains d'entre eux ont passé plus d'un mois en prison, d'autres ont été torturés. Je peux aussi parler au nom de ceux qui, le 28 novembre 1980 ont été arrêtés arbitrairement ou assassinés comme, entre autres, Ezechiel Abellard, Pierre Clitandre, Marcus Garcia, Elsie Etheart, Jean Robert Hérard, Richard Brisson et la liste est longue. »
Le retour de l'ex-dictateur Jean-Claude Duvalier en Haïti a non seulement mis Michelle Montas en colère, elle est aussi choquée. « Il n'y a jamais eu d'action en justice directement à Port-au-Prince contre Jean-Claude Duvalier. Il y a eu des actions en justice à l'étranger sur la question des biens volés au peuple haïtien. J'étais moi en exil, mon mari était en exil, la plupart des journalistes de radio Haïti étaient en exil, nous ne pouvions pas le faire. 1986 quand j'étais revenu au pays, Duvalier était déjà parti », a-t-elle expliqué.
Michelle Montas a travaillé comme journaliste au Nouvelliste et à radio Haïti. « A l'époque, les seuls articles que je signais étaient à caractère culturel », a-t-elle dit. Pour les autres articles, elle utilisait un pseudo.
Evans Paul prêt à passer l'éponge, parait-il ?
« J'ai reçu la nouvelle avec beaucoup d'étonnement et d'émotion, a avancé Evans Paul, leader politique et membre de la plateforme Alternative. Elle a réveillé en moi des histoires de douleur et de malheur. Jean-Claude Duvalier a personnifié un régime dictatorial de 28 ans rejeté par Haïti et par l'étranger. Il y a eu beaucoup de disparitions, la liberté de la presse et d'association était inexistante, des journalistes ont été assassinés...a-t-il rappelé ce lundi sur les ondes de radio Magik 9. »
Pour avoir réalisé une interview avec l'ancien président Paul Eugène Magloire à New York, en revenant en Haïti le 16 octobre 1980, M. Paul dit avoir été arrêté à l'aéroport et amené aux casernes Dessalines pour être sévèrement battu et torturé.
Malgré tout cela, Evans Paul déclare qu'il n'est pas un esprit revanchard et qu'il ne va porter plainte contre Baby Doc. « Je n'ai aucune intention de poursuivre Duvalier en justice pour ce qu'il m'a fait subir. Toutefois, nous devons le placer dans son contexte. Je ne veux pas que l'homme soit considéré comme un ange ni comme quelqu'un qui a réalisé mieux que ses successeurs, a-t-il dit à l'émission Panel Magik animé par le journaliste senior, Roberson Alphonse. Je ne vais pas le juger sur ce que son père avait fait, mais il faut le mettre face à ses responsabilités pendant ses 14 ans de terreur à la tête du pays. »
M. Paul croit que l'Etat devrait se constituer partie civile pour attaquer en justice l'ex-dictateur. « Pour ses nombreuses exactions, les exécutions sommaires, les assassinats, entre autres, je pense que l'Etat pourrait se constituer partie civile pour poursuivre Jean-Claude Duvalier en justice », a-t-il dit.
Michelle Montas évite le terrain politique dans cette affaire
La veuve du célèbre journaliste Jean Léopold Dominique n'a pas voulu réagir sur le comportement des autorités du pays qui n'ont pipé mot sur le retour spectaculaire et impromptu de l'ex-dictateur. « Je sais que M. Duvalier est entré sur la base d'un passeport que lui avait octroyé le gouvernement de transition en 2005. Ce que je ne comprend pas, c'est que M. Duvalier ait pu quitter la France où il était en exil depuis 25 ans et les autorités françaises n'en ont averti le gouvernement Haïtien qu'une fois qu'il avait quitté la Guadeloupe en direction d'Haïti », a-t-elle déclaré.
Préval veut faire diversion, selon Evans Paul
Pour le leader politique, le président Préval cherche à distraire la population de ce qui est la réalité aujourd'hui. « S'il n'y avait pas cette question de Jean-Claude Duvalier, on parlerait ce matin des élections, de rapport de la mission de l'OEA, du second tour, de l'annulation des élection. Le chef de l'Etat a créé un autre événement », a avancé Evans Paul.
Une responsabilité partagée
« Si les jeunes ne savent pas ce qui s'était passé sous le régime des Duvalier, c'est notre faute à tous, a reconnu Michelle Montas. On disait qu'il y avait eu un développement économique, mais en faveur de qui ? Des milliards de dollars ont quitté le pays, des millions ont été confisqués par les Duvalier. M. Duvalier estime que le règne de l'impunité est tel dans le pays depuis 20 ans qu'il trouve bon de retourner au pays, a-t-elle renchéri avec énervement. »
L'amnésie collective au sujet du régime des Duvalier est extrêmement douloureuse pour la journaliste Montas. « Parce que nous avons oublié à quel prix nous avons payé notre liberté de la presse, à quel prix nous avons payé notre liberté de réunion, nous sommes condamnés à commettre les mêmes erreurs. Ce pays tourne en rond dans un même cycle parce que on oublie trop vite. Une trentaine de milliers de personnes ont été tuées sur le régime de Duvalier et cela n'est rappelé par personnes », a indiqué Michelle Montas.
Pour Evans Paul, plusieurs facteurs expliquent le fait que des centaines de personnes se soient rendus à l'aéroport Toussaint Louverture dimanche pour accueillir l'ex-dictateur. « D'abord, a-t-il dit, l'échec des pouvoirs qui ont suivi Duvalier dont Aristide et Préval. D'autres personnes ont la nostalgie du temps passé ; la vie nocturne était active... Une troisième catégorie de personne ne connaît pas l'histoire des Duvalier. On les a raconté que le minimum d'infrastructures qui existe aujourd'hui dans le pays a été réalisé sous ce régime comme les routes nationales, l'aéroport Toussaint Louverture... »
Duvalier n'avait pas d'opposition, la presse ne pouvait pas critiquer, le Parlement était acquis à la cause du régime, c'est ce qui explique, selon M. Paul, les réalisations des Duvalier
Selon le responsable politique, il est de notre devoir de rappeler à tout le monde que Jean-Claude Duvalier était un dictateur qui a pillé le pays. « Même si les pouvoirs qui ont succédé au régime des Duvalier ont tous un bilan négatif, cela n'efface pas pour autant les torts causés par ce régime » a-t-il dit.
Par ailleurs, Evans Paul ne pense pas que Duvalier ait beaucoup poids dans la balance politique en Haïti. Il croit que très vite des gens vont aider la population à comprendre Jean-Claude Duvalier
Pour ceux-là qui parle de réconciliation nationale avec comme référence l'exemple du Rwanda, Michelle Montas répond ceci : « L'exemple rwandais a été bâti sur la justice et des tribunaux populaires. Nous n'avons jamais eu de tribunaux populaires en Haïti. Après le départ de Jean-Claude Duvalier, si la justice formelle avait suivi ce que voulait la rue, c'est-à-dire, qu'on traduit en justice les auteurs d'exactions contre le peuple Haïtien, nous ne saurions pas là où nous en sommes. L'impunité est la clé de la crise que nous vivons actuellement. »
Michelle Montas a appelé la population à la rejoindre dans son entreprise de porter plainte contre l'ex-dictateur Jean-Claude Duvalier.


Robenson Geffrard
rgeffrard@lenouvelliste.com

Commentaire
Pour quiconque n'a pas souffert ce que Michèle Montas, Jean Dominique, et de nombreux autres ont souffert, ce retour peut sembler banal. Mais il faut rappeler que l'échec des autorités après Duvalier y a contribué aussi. Et, comme le signale si bien Evans Paul, quelqu'un doit être en train de faire son capital politique avec cet événement. Ce qui est quand même un mauvais calcul car personne ne peut vraiment prévoir les conséquences d'un tel événement.

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