Le Nouvelliste avait rendez-vous ce jeudi avec Jean-Claude Duvalier pour une interview exclusive, quelques heures après qu'il se soit éclipsé du Karibe, à la barbe de toute la presse, pour prendre logement dans une nouvelle adresse. Nous avons été reçus par sa compagne Véronique Roy. Récit d'une rencontre.
Haïti: Sur la terrasse de son nouveau lieu de résidence, sanglé dans un costume, une tenue qu'il n'a pas quittée depuis dimanche, Jean-Claude Duvalier converse avec des amis dans ce qui semble être un tranquille échange de blagues et de souvenirs.
Tout se passe dans une atmosphère feutrée. La cour de l'imposante bâtisse où il loge est plongée dans le noir, la seule lumière qui donne sur la vaste cour éclaire un immense escalier comme on en voit dans les maisons cossues, bâties dans les années 50. Quatre voitures sont garées sans ordre précis. Un seul policier est en vue. Cinq hommes parlent dans l'escalier.
Finie la cohue du Karibe. Pas de horde de journalistes et de photographes à l'affût qui guettent chaque geste de l'ancien dictateur. Aucune trace de la petite foule des sympathisants qui rappelle, chacun à coup de réminiscences bruyantes, son engagement duvaliériste.
Ici, à Montagne Noire, dans cet hôtel qui ne s'affiche pas comme tel, on est loin de l'effervescence du retour inattendu qui flotte partout où Jean-Claude Duvalier met les pieds depuis son retour.
Depuis dimanche, le jour de son arrivée surprise en Haïti après 25 ans d'absence, Duvalier vit ses premiers moments de tranquillité dans cette nouvelle adresse dans ce quartier aisé de Pétion-Ville où la hauteur des murs ne laisse pas deviner la richesse des villas qui longent la rue qui monte en pente raide.
La vue embrasse la baie de Port-au-Prince et porte loin. De la terrasse Duvalier revoit la ville qu'il n'a pas encore eu le loisir de redécouvrir. Sa seule sortie fut pour aller au parquet rencontrer le juge qui instruit son dossier en référence à son passé de dictateur à vie.
Les plaintes se multiplient. De corruption, association de malfaiteurs et détournement de fonds, est venue s'ajouter l'accusation de crimes contre l'humanité déposée par quatre victimes de son régime qui a fait régner une paix de cimetière sur Haïti pendant quatorze ans.
D'ailleurs, le juge est revenu le voir ce jeudi. Duvalier a changé de domicile sans avertir la justice, et un rappel à l'ordre lui a été signifié. Dorénavant, vingt-quatre heures à l'avance, il doit notifier tout changement d'adresse. Duvalier n'est pas en résidence surveillée, ni en prison, mais il n'est pas libre de ses mouvements. Il en fut ainsi une bonne partie de sa vie.
Le rendez-vous pour l'interview exclusive a été négocié pour deux médias. Tout s'effondre quand la femme de l'ancien président, Véronique Roy, se présente pour excuser l'ancien président. « Il veut souffler. On vous promet que l'on fera l'interview un autre jour, demain, peut-être ».
Interrogée sur le sentiment qui traverse Duvalier depuis son retour, sa compagne, dans une étonnante maîtrise des deux langues, nous explique en français et en créole que l'ancien président à vie est heureux d'être dans son pays.
« Son corps était en France, mais il a toujours été ici. Il a tout suivi et de près. Des fois, j'étais en Haïti et c'est lui qui m'informait de la situation sur place », nous lance-t-elle.
Sur leur arrivée de dimanche, madame Roy, (elle a gardée son nom et personne ne sait s'ils sont unis par les liens du mariage), confie que le retour a été longuement réfléchi. « On aurait dû venir le 12 janvier, date commémorative du terrible tremblement de terre. C'est à cause de moi que notre arrivée a été décalée, j'étais alitée », s'excuse-t-elle.
« Il voulait venir voir ses parents, ses amis, ses sympathisants qui étaient dans la souffrance. Il y a eu des morts parmi eux, et c'était dur pour lui de vivre tous ces événements dramatiques de son pays à travers les images des télévisions françaises et de ce que rapportait la presse », raconte Véronique Roy, la voix coupée par une quinte de toux, vestige de cette grippe qui l'avait clouée au lit et empêchée de prendre l'avion pour être là le 12 janvier.
« Sa mère, Simone Ovide Duvalier, est de Léogane et il voulait voir cette ville pour qui il a un fort attachement et qui a été détruit par le tremblement de terre», ajoute-t-elle en usant de la troisième personne du singulier pour parler de Jean-Claude Duvalier.
Sur leur arrivée, elle préfère parler de l'accueil que des motivations. « Nous avons choisi d'arriver par le dernier vol de dimanche soir pour être certains de ne pas créer d'effervescence. Il n'y a pas grand-monde à l'aéroport le dimanche soir. Nous avons été les premiers étonnés de tout ce que notre arrivée a déclenché. »
Interrogée également sur les rumeurs de maladie qui entoure son homme, Mme Roy évite la question par une boutade: « Chaque trois mois on disait que François Duvalier allait mourir, cela a duré quatorze ans. Le président René Préval, on le donne aussi pour malade et on le dit même mourant des fois... »
Avant de partir, en promettant que Jean-Claude Duvalier accordera l'interview promise au Nouvelliste une prochaine fois, la dame dans un blaser bleu marine dont les boutons dorés scintillent, insiste: « Il est content d'être là, c'est un Haïtien qui aime son pays de façon charnelle ».Rien sur les motivations politiques du retour ne sortira des lèvres de Madame.
Dans un communiqué signé de sa main transmis à l'Agence France Presse, Duvalier avait déclaré hier "Je démens, de la manière la plus formelle qui soit, toutes déclarations politiques (...) qui me seraient imputées par un prétendu porte-parole, et faisant tout particulièrement allusion à des scénarios en relation avec le processus électoral en cours en Haïti". Une façon ordonnée de mettre de l'ordre dans son entourage ou renoncement à la politique active ? Impossible de vérifier les hypothèses avec Mme Roy.
« Ce n'est pas à moi de parler, c'est lui qui en dira plus, patience », lâche-t-elle, mi navrée mi amusée, dans un demi sourire.
Avec un tel porte-parole si habile dans l'art de bien parler sans rien révéler, nul doute que Duvalier peut avoir des plans dont on ne saura pas de sitôt la véritable teneur.
Avec les Duvalier, l'effet de surprise joue encore à fond, indique un des journalistes du Nouvelliste qui a assisté à l'entretien avec Véronique Roy, sitôt la dame partie. « Regardez comment ils se sont éclipsés du Karibe à la barbe des journalistes ce jeudi », lance-t-il à mi-voix.
Un nouveau couple Duvalier est en Haïti. Vingt-cinq ans après le départ précipité dans la nuit du 7 février 1986 dans ce même aéroport qui a vu revenir Baby Doc dimanche, personne ne sait encore ce que nous réserve ce retour inexpliqué ?
Frantz Duval
duvalf@hotmail.com
http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=88077&PubDate=2011-01-20
Commentaire
En attendant, la justice semble suivre son cours. Heureusement! Maintenant reste à savoir s'il s'agit d'un autre coup de Préval pour desserrer l'étau autour de son cou après les fraudes scandaleuses qui ont assombri les élections. Question de se faire oublier pour, le moment venu, s'éclipser comme il a toujours fait en tout et laisser le pays dans le pétrin. Malheur à ceux qui font confiance aux lâches et aux irresponsables !
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