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dimanche 13 février 2011

Comme une souillure pour le gouvernement et des ONG

Le séisme du 12 janvier 2010 et l'épidémie du choléra apparu en octobre dernier exposent au grand jour la quasi-inexistence des structures de gestion des excrétas en Haïti. Les millions de dollars américains investis dans le secteur par le gouvernement haïtien et ses partenaires de la communauté internationale depuis un an sont loin d'apporter les résultats attendus.
Haïti: Quelque 10 000 toilettes mobiles ont été installées à Port-au-Prince et dans ses environs depuis le séisme du 12 janvier. Cette solution temporaire répond à un besoin urgent créé par la catastrophe, celui de prendre en charge près d'un million et demi de sans-abri laissés sur le pavé. Il a fallu apaiser leur faim, étancher leur soif, puis leur offrir un espace pour leur permettre de satisfaire leurs besoins physiologiques.
Pour la première fois, avec la présence des dizaines de milliers de victimes du séisme dans les rues, le gouvernement et les ONG commencent à parler haut et fort de la gestion des excrétas. C'est aussi un nouveau champ d'activité pour les ONG. Elles y investissent des millions, voire des dizaines de millions de dollars américains, depuis la catastrophe de l'année dernière.
Tous à Truitier
Au lendemain de la terrible catastrophe du 12 janvier, Haïti faisait déjà face à un problème d'espace pour déverser les matières fécales collectées dans les camps de sinistrés. La Direction nationale de l'eau potable et de l'assainissement (Dinepa) a dû s'entendre avec le Service métropolitain de collecte des résidus solides (SMCRS) pour permettre aux compagnies évoluant dans le domaine de l'assainissement de jeter temporairement les matières liquides à Truitier. Un espace que certains ONG jugent inapproprié pour le déversement des excrétas.
Plus de 12 mois après, aucune solution alternative n'est encore trouvée. Un accord, selon le dernier rapport du Bureau de la coordination des Affaires humanitaires de l'ONU (OCHA), vient d'être signé avec les différents acteurs pour continuer à ouvrir le site de la décharge publique de Truitier aux excrétas pendant deux mois supplémentaires.
Accéder au site de Truitier n'est pas une partie de plaisir pour les compagnies privées. On se rappelle encore des manifestations violentes organisées dans la zone contre elles. Au moins trois personnes avaient même trouvé la mort dans des heurts avec les forces de l'ordre. Si les manifestations ont cessé, le climat reste cependant tendu. « On doit à chaque fois négocier avec les gens de la zone pour avoir accès au site, a affirmé le responsable d'une compagnie privée sous couvert de l'anonymat. Très souvent, on nous oblige à payer. » « Nous ne sommes pas au courant si les compagnies sont forcées de payer pour avoir accès au site de Truitier », a rétorqué un responsable de la Dinepa interrogé sur la question.
L'hostilité des habitants de Truitier est loin d'être le seul problème auquel font face les compagnies privées spécialisées dans le curage des fosses septiques ou le nettoyage des toilettes mobiles. Elles doivent aussi affronter les compagnies « bidon » qui envahissent le secteur depuis le séisme du 12 janvier. Elles veulent sans doute tirer profit des millions injectés dans le secteur de l'assainissement par les ONG. Pas étonnant que des compagnies dominicaines soient aussi présentes sur le marché.
Plus de cinq dollars par jour et par toilettes
Environ 10 000 toilettes mobiles, selon les informations disponibles, sont installées dans les zones ravagées par le séisme au profit des victimes. Les ONG, généralement, sous-contractent des compagnies privées du pays pour leur nettoyage. Entre cinq et six dollars américains sont dépensés chaque jour pour le nettoyage de chacune des toilettes. Sauf si elles arrivent à trouver de nouveaux fonds, certaines ONG comptent s'arrêter de payer pour le nettoyage des toilettes d'ici la fin de l'année en cours.
On ne sait pas exactement combien d'ONG travaillent dans le domaine ni la somme totale dont elles disposent. On sait cependant que le Fonds des Nations unies pour l'Enfance (Unicef), très actif dans la lutte contre le choléra, a dépensé pour l'année écoulée quelque 12,1 millions de dollars américains pour l'eau, l'assainissement et l'hygiène. L'agence spécialisée de l'ONU, selon son responsable d'assainissement, Mark Handerson, a reçu des Etats-Unis quelque 300 latrines et une vingtaine de camions de vidange en faveur des victimes après le 12 janvier 2010. La Croix-Rouge américaine, pour sa part, avait récemment annoncé avoir rendu disponibles des latrines pour 265 000 personnes.
« A Port-au-Prince, nous avons environ une cinquantaine de toilettes portables. Cependant, nous avons construit au total 3 605 latrines », se sont félicités les responsables de l'ONG Oxfam qui, pour les besoins du terrain, ont dû expérimenter différents modèles suivant que les latrines sont temporaires, semi-temporaires ou familiales. Pour l'année écoulée, l'Oxfam a précisé, dans son rapport-bilan, avoir dépensé 19 millions de dollars américains dans le domaine de l'eau et de l'assainissement, y compris la gestion des excrétas et la promotion de l'hygiène.
Action Contre la Faim (ACF) travaille aussi dans le domaine de l'assainissement. Les responsables de cette ONG expliquent avoir installé depuis le séisme 900 latrines à Port au Prince, dont 680 latrines mobiles. Le budget mensuel de l'ACF pour l'entretien - vidange, fourniture en matériel d'utilisation, nettoyage - est de 138 600 dollars.
Un marché en pleine évolution
Avant le 12 janvier 2010, on connaissait très peu d'entreprises privées spécialisées dans l'installation et le nettoyage des toilettes mobiles et des fosses septiques. La Dinepa affirme avoir recensé sept compagnies opérant dans le secteur. Les plus connues d'entre elles demeurent cependant Jedco et Sanco.
L'épidémie de choléra qui fait rage dans le pays depuis octobre dernier montre aux autorités haïtiennes la nécessité de ne plus laisser le secteur à la bonne volonté des compagnies. Un protocole d'accord devant régir le travail des institutions privées, a informé Ingrid Henrys de la Dinepa, est en préparation. Un protocole de désinfection est cependant déjà en application.
Les responsables de Jedco et de Sanco, qui disent travailler dans le respect des normes (internationales), ne voient pas d'inconvénient que l'Etat haïtien régularise le secteur. Ne jouissant pas de bonne réputation auprès de la population depuis l'apparition du choléra, ces compagnies estiment qu'une telle initiative peut aider le public à mieux comprendre leur travail. On se souvient encore des accusations de contamination des eaux du fleuve de l'Artibonite portées dans les médias contre la compagnie Sanco. Ses responsables ont dû remuer ciel et terre pour se défendre. « Nous opérons toujours dans le respect de l'environnement », a avancé Marguerite Jean-Louis, première vice-présidente de la compagnie, comme pour se défendre encore des accusations.
Il n'y a pas que Port-au-Prince
Quand on parle de gestion des excrétas, on a tendance à faire référence uniquement à Port-au-Prince. Pourtant, contrairement aux villes de province, la capitale a la chance de disposer de la décharge de Truitier. « C'est dans les villes de province que la situation est la plus grave, où il n'y a aucune décharge publique », a reconnu Marc Handerson de l'Unicef.
Quand il est question de vider des fosses septiques ou des toilettes mobiles, les responsables des compagnies interrogées par le journal disent s'adresser à la mairie de la commune pour mettre un espace à leur disposition pour déverser les matières fécales. Puis, le reste dépend de la bonne volonté des responsables de la compagnie.
Il n'y a pas que l'espace pour déverser les excrétas qui pose problème dans les villes de province. L'accès aux toilettes dans les camps reste aussi un sujet préoccupant. « A Léogane et à Gressier, en moyenne, il y a un cabinet d'aisances pour 392 personnes, et 39 camps abritant les populations déplacées ne disposent pas de latrines fonctionnelles », a reconnu OCHA dans son dernier rapport. A Petit-Goâve et à Grand-Goâve, un reporter du journal a même recensé seulement six toilettes dans des camps regroupant 500 à 600 familles.

Cet article est publié avec le support de International Center for Journalists

Jean Pharès Jérôme
pjerome@lenouvelliste.com
Dieudonné Joachim
djoachim@lenouvelliste.com

http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=89005&PubDate=2011-02-11

Commentaire
Une meilleure preuve de gaspillage, de dispersion de ressources et de moquerie contre tout un peuple? Des ressources qui pourraient mettre sur pied le processus de reconstruction!

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