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jeudi 3 février 2011

Edito

La rue ...
Haïti: C'est la rue qui a imprimé sa marque la plus fulgurante à l'après-Duvalier. Bruits et fureur. Qu'on se rappelle des sempiternelles manifestations anti-macoutes, anti-CNG ou « rache manyok », lavalas qui ont dominé avec une certaine violence les vingt premières années de la transition. Années d'espérance et d'instabilité. Années perdues, improductives. Avec des morts inutiles.
L'exemple le plus spectaculaire a été la victoire électorale incontestable du prêtre de Saint Jean Bosco en 1990. Alimenté par des courants progressistes divers, le mouvement lavalassien, incarné avec virulence et ténacité par Titid, a utilisé la rue, à toutes fins, pour s'imposer. Avec fracas. Tentaculaire et indéfinie, sa capacité de mobilisation et de convocation, jusqu'à la fin du second mandat du président Jean-Bertrand Aristide, nous a toujours surpris et déconcertés. C'est à la suite des manifestations populaires qui ont eu leur point d'orgue le 13 février 2006 à la piscine de l'Hôtel Montana que René Préval, esprit malicieux et chanceux, a pu obtenir la victoire électorale. Dénouement inespéré. C'est ce qui vient de se passer avec Michel Martelly. A ce stade de notre crise, ce qui importe, c'est la rue ou, pour parler lavalassement, le béton.
Qui contrôle la rue a toutes les chances de l'emporter ? Oui et non. Une démocratie à la merci de la rue n'est certainement pas viable ni durable. A quoi bon organiser des élections si la rue remet en question sporadiquement les résultats définitifs ? Il est donc important de faire ressortir la portée et les conséquences de cet acteur déterminant qu'est la rue dans le processus de transition démocratique, dans l'expression du vote populaire.
A la faveur du 7 février 1986, on a constaté l'émergence de deux épiphénomènes : la démocratie d'opinion et la rue. Deux opiums. A la fois encourageant et décevant, le premier est caractérisé par cette incompressible liberté de la presse que le général-président Henri Namphy, dépassé par les événements, assimilait ironiquement à la « bamboche démocratique ». C'est sans nul doute la principale et la plus belle conquête du 7 février 1986 qui s'est accompagnée d'une prolifération assourdissante des médias électroniques, notamment radiophoniques tant à la capitale qu'en province.
La faiblesse viscérale des forces de l'ordre, l'explosion démographique avec son corollaire urbanistique (les bidonvilles, les ghetos, les corridors), le banditisme, l'inefficacité et la corruption des dirigeants expliquent et favorisent certainement la suprématie terrifiante de la rue sur tout le reste. La légitimité des pouvoirs issus de la rue ne correspond pas au respect des normes et des procédures légales et constitutionnelles.
Par contre, les institutions démocratiques et de la société civile ne se sont pas renforcées malheureusement. Ruines orageuses. On a assisté avec tristesse à une véritable cassure entre le peuple des électeurs et les partis politiques, entre les masses, esseulées dans leur extrême détresse, et les élus. Influencés par des groupuscules ou des pressions violentes, nos différents gouvernements, au lieu de canaliser et de satisfaire les revendications populaires, ont exacerbé, à travers leur mauvaise gestion de la chose publique, nos malheurs et nos peurs. Une nation sans leaders ou partis politiques crédibles est une nation à la dérive.
Pierre-Raymond Dumas

http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=88600&PubDate=2011-02-02

Commentaire
La rue en tant que force de décision est mauvaise conseillère, mais les gouvernements corrompus l'alimentent. Voilà ce qu'on appelle un cercle vicieux. Et pourtant, c’est la rue qui nous a libérés de Duvalier, d’Aristide…Quel paradoxe !

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