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samedi 19 février 2011

Un curé modèle

Coupé du reste du monde en saison pluvieuse, la section rurale de Marbial, située à une quinzaine de kilomètres de Jacmel (sud-est d'Haïti), ne vit que grâce à la solidarité et à la témérité de sa population, en proie à toutes sortes de défis, du fait de l'absence notoire d'infrastructures. Le père Bertrand, responsable de la paroisse, contribue, à un certain degré, à l'émancipation des natifs de cette localité, au point de susciter le respect et l'admiration de tous. Portrait d'un agent de développement pas comme les autres.
Haïti: « Les préparatifs de la fête patronale Sainte-Thérèse ont commencé, il y a une semaine », nous confie d'emblée ce prêtre d'une quarantaine d'années, teint foncé et un physique imposant. L'homme parle avec assurance de ses observations, de ses activités quotidiennes, sa communauté et des problèmes qui la gangrènent : écosystème en lambeaux, typho-malaria, taux de natalité élevé, familles monoparentales dirigées par des femmes et quasi-démission des décideurs.
L'histoire de ce coin de terre, où il fait bon vivre, part d'un constat qui est toujours d'actualité. En effet, la tradition orale attribue à un missionnaire français de l'époque -vraisemblablement au cours de la première décennie du XIXe siècle- la paternité du nom de Marbial. Rencontré au hasard des circonstances dans la ville de Jacmel par un membre de la communauté qui lui demanda comment était la localité d'où il provenait, le prêtre lui répondit en créole «Anwo'a mabial », c'est-à-dire « C'est vraiment éprouvant là-haut ». Une référence aux difficultés pour atteindre cette région enclavée. La situation n'a pas beaucoup évolué. « Il se pourrait que cette conversation eût eu lieu durant la saison pluvieuse », rapporte notre informateur, présent dans cette paroisse depuis cinq ans.
Le curé aura mis son savoir-faire et son énergie à profit pour que la fête patronale lancée en 1925, connaisse le succès qui a été constaté au cours du week-end du 11 au 13 février 2011. A cette occasion, des religieux des deux sexes, venus de tous les coins du sud-est et de la capitale, ont honoré de leur présence ce grand rendez-vous de prière et de retrouvailles entre les fils et filles du coin. Les produits comestibles du terroir ont été réunis par les habitants et cuisinés au profit des convives.
Selon un recensement datant de 1989, Marbial et les quatre sections communales environnantes (Kochon-Gra, Fond -elon, La Gosseline et Grande-Rivière) comptaient une population de 80.000 habitants. Zone peu affectée par le séisme du 12 janvier 2010, des rescapés originaires de la région y ont trouvé refuge, créant une certaine pression sur les besoins. La dynamique communautaire, dans une région où l'autorité de l'Etat ne se traduit pas dans les faits, reste la seule planche de salut.
« Ici, en tant que père, je suis en contact permanent avec la communauté. Mais il est des choses que l'on me demande, mais que je ne puis donner », explique-t-il à Emilie, une journaliste française, quelque peu surprise par son franc-parler. « En tant qu'humain, si je rencontre une personne qui a des problèmes, je peux le comprendre. Comme père ici, ma voiture de service sert d'ambulance. Quelle que soit la personne. Si un cas se présente, je ne cherche pas à savoir à quelle religion elle appartient », renchérit-il.
Il y a un petit commissariat pour quatre policiers, un tribunal de paix et des conseillers d'administration des sections communales (CASEC) symboliques. Pas de problème d'insécurité, mais, en revanche, il peut y avoir des cas sporadiques de conflits terriens entre les paysans. En général, la vie est plutôt tranquille et moins stressante. Les gens se connaissent. Ils sont familiers. « Quand arrive la saison pluvieuse, les voies sont bloquées. Si une femme enceinte a une crise quelconque, il n'y a pas moyen de l'évacuer. C'est un vrai problème. Il y des soeurs et des autorités qui y travaillent. S'il y a un problème, pas moyen de s'en sortir aisément. Car il n'y a que deux dispensaires, un privé et un public. Pas un seul médecin pour une communauté de plus de 70 000 âmes. Il n'y a aucun dispositif à cette fin. L'année dernière, j'en avais accueilli un au presbytère, faute de moyens pour lui, il a dû s'en aller. L'accès aux services de santé est une préoccupation. »
Tout porte à croire que l'Eglise reste encore un vecteur d'espérance et de progrès dans l'arrière-pays, en lieu et place de l'Etat. Et cela saute aux yeux. « Ici, quand on voit le prêtre, on dit qu'on a tout. Pour tous les cas, on vient me rencontrer. Pour la population, je suis curieusement officier de l'Etat civil, juge de paix, arpenteur, médecin, assistant social, psychologue. On est tout ici, souligne-t-il avec satisfaction.
Il est de notoriété publique que ce religieux a beaucoup contribué au développement autocentré de ces sections communales enclavées du Sud-Est, par son dévouement, son sérieux et ses initiatives en faveur des paroissiens. Cela s'explique, selon ses propos qui corroborent avec ceux des riverains, en partie par l'immobilisme des autorité constituées.
Cependant, le prêtre, lui, est toujours là. Plus près des masses. Lors de la campagne pour le premier tour de la présidentielle et des législatives en novembre 2010, peu de candidats avaient été aperçus dans cette belle contrée perdue, entourée de montagnes, victime de l'érosion et souvent à la merci des inondations. Aucune station de télévision n'y est captée. Pas de journal en circulation non plus. Peu de récepteurs disponibles. Dans une telle perspective, il y en a qui n'ont jamais vu le président de la République, de leurs yeux vu. D'autres ne savent pas quand un mandataire tombe ou quand un autre le remplace. Il y a d'autres priorités pour ces campagnards.
Fort heureusement, père Bertrand incarne encore le missionnaire dévoué d'antan, qui a choisi de servir une cause citoyenne, en toute humilité. « Rien à voir avec ceux de ma vieille France d'aujourd'hui », dira encore Emilie, la journaliste pigiste venue de l'Hexagone, impressionnée jusqu'au bout des ongles. Elle se complaît à rappeler du fond de son côté athée, que, à l'autre extrémité de l'Occident, les hommes d'Eglise ont oublié cette noble cause. L'altruisme, qui fut jadis un véritable sacerdoce.
« Je partirai d'ici les mains nues et laisserai tous les acquis à la communauté », insinue le curé lors d'une messe, au dernier jour d'une fête patronale à laquelle ont pris part quelque 2 000 personnes enthousiastes. Un exemple que d'autres devraient apprendre à suivre.

Belmondo Ndengue
Prochain article: La vie économique à Marbial

Commentaire
Quelle distance, quelle différence par rapport à l'autre prêtre, celui de cité soleil! Celui qui se pavane en Afrique du sud et menace de refaire effondrer l’espoir du peuple haïtien. Si on le laisse avancer évidemment.

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