Le 20 mars prochain, pour la première fois dans son histoire, le processus électoral haïtien offrira au peuple d'Haïti un second tour des élections présidentielles. Certains évoquent déjà le côté historique de cet évènement, mais sur le terrain rien ne paraît plus paradoxal. Les camps des deux candidats en lice s'affrontent de façon de plus en plus violente, avec une tendance marquée pour ''la milice rose'' de Michel Joseph Martelly. Le 20 mars s'annonce donc non point comme une date de résolution de la crise politique haïtienne, mais bien comme un autre point de départ vers un inconnu qui pourrait ouvrir la porte à toutes les dérives.
Haïti: Avant le 1er tour du scrutin des présidentielles de 2011, tout le monde - peuple aussi bien que partis politiques - s'accordait à attribuer la violence de la période électorale aux partisans du pouvoir et de M. Jude Célestin. Aujourd'hui que ce dernier a été éliminé, force est de constater avec désolation et tristesse que les deux derniers candidats en lice- soit madame Manigat du RDNP et monsieur Martelly de Répons Peyizan, se révèlent être aussi audacieux que le parti au pouvoir. Ces deux dernières semaines, les attaques, dénigrements, accusations et ''forcing'' physiques ont dépassé toutes les mesures. '' À la guerre comme à la guerre'', déclarait Michel Joseph Martelly lors du 1er et dernier débat présidentiel précédant le 1er second tour le jeudi 10 mars 2011. Un cri de guerre qui annonçait déjà une dérive certaine. Les deux derniers sondages du BRIDES (Bureau de recherches en informatique et en développement social et économique) placent Martelly comme favori du second tour. Toutefois, son comportement fait déjà peur. Pour un membre du secteur privé qui a requis l'anonymat, le dernier débat présidentiel a démontré aux yeux de tous que «Michel ne contrôle pas Martelly, mais Sweet Micky contrôle et Michel et Martelly ». Dans une conjoncture politique haïtienne dominée par la gauche depuis plus de 20 ans, Michel Martelly incarne aujourd'hui un populisme de droite. Le populisme de droite - Ernesto Laclau l'a bien souligné - s'alimente du désarroi d'un peuple qui a été abandonné. Or c'est dans le réservoir d'une jeunesse haïtienne au chômage que Martelly a constitué ses troupes de choc. Haïti est depuis longtemps, à la recherche d'un ''leader'', mais peut-elle se permettre de plébisciter un dictateur en herbe ? Cette question du devenir du peuple haïtien sera posée le 20 mars prochain.
Une campagne électorale au vitriol
Ces dernières semaines, la campagne présidentielle a atteint des seuils d'intolérance inacceptables tant sur le Web que sur le terrain. Sur la toile, des confrontations exacerbées nous ont conduit la semaine dernière à réaliser une émission radiophonique historique où 6 différentes villes ont été connectées ensemble pour permettre à la diaspora de réagir au 1er débat présidentiel entre les deux candidats en lice. Lors de cette émission, il y a eu de nombreux témoignages sur la cyber-intimidation tant sur le Web que sur les forums haïtiens. Malheureusement, cette tendance se cristallise sur le terrain. En témoignent les attaques systématiques par les partisans de Martelly contre les rallyes de Mme Manigat dans les provinces cette semaine. Tant au Cap-Haïtien qu'à Mirbalais, Michel Martelly dispose désormais de ses propres chimères qui n'ont aucune retenue dans leurs actes. Galvanisés par leur leader qui termine ses discours par un message polarisant soit « Sak pa kontan...anbaké », ces nouvelles chimères constituent un terrain dangereux tant pour le candidat à la présidence que pour la société haïtienne. La dernière vidéo de Pras, ancien membre du groupe les Fugees et fervent supporter de Martelly, en dit long : dans cette vidéo diffusée sur Youtube, Pras prédit que le peuple mettra le pays en feu si Martelly n'est pas président. Derrière ces propos fielleux se pose une question plus importante : Martelly acceptera-t-il une possible défaite ? En effet, si les sondages l'avantagent, les deux candidats sont encore au coude-à-coude et rien n'est encore joué, surtout quand on considère la marge d'erreur statistique qui peut être assez importante dans un pays où les gens sont culturellement peu portés à révéler leurs préférences. De plus, n'oublions pas que les fraudes sont souvent de mises en Haïti et que le processus électoral est encore contrôlé par le pouvoir en place et un CEP qui - hier encore - était décrié par les deux candidats en lice. Enfin, le 20 mars risque d'être une journée qui se déroulera sous haute tension entre les partisans des deux camps qui sont chauffés à blanc.
D'autre part, l'ombre d'Aristide plane sur les élections. Ce dernier devrait rentrer en Haïti avant le 20 mars. Si Aristide ne constitue pas un élément perturbateur à quelques jours du second tour, par contre, il peut changer la donne s'il appelle ses fidèles partisans à voter pour l'un ou l'autre des candidats. Ce poids ne devrait pas être sous-estimé, vu la popularité encore palpable d'Aristide dans le pays.
De son côté, le clan Manigat a non seulement mal répondu à la percée politique de Michel Martelly, mais l'a aussi sous-estimée. Aujourd'hui, ses partisans ont remis la question de couleur sur la table en dénonçant sur le Web l'avènement des mulâtres au pouvoir en Haïti. Dois-je rappeler ici qu'un mulâtre désigne l'individu né d'un père noir et d'une mère blanche, ou d'une mère noire et d'un père blanc ou de deux parents mulâtres. Soyons donc sérieux ! Ni Michel Martelly, ni son clan ne sont constitués de mulâtres. Pour Daniel Supplice, nouvelle éminence grise de Michel Martelly ce dernier, je cite, « peux être une alternance au pouvoir Lavalas »...mais non une alternative. Le peuple haïtien souhaite plus que cela : un(e)( président(e) qui puisse instaurer la confiance, commander le respect de la population haïtienne et des partenaires internationaux, rétablir la compétence et l'intégrité dans la gouvernance du pays, rassembler tous les fils et filles du pays et les mobiliser pour reconstruire un nation en ruine.
Michel Martelly a bâti sa campagne présidentielle en prônant une nouvelle vision et une nouvelle équipe se démarquant de la classe politique traditionnelle qui, selon son clan, a échoué. Toutefois, en associant Mme Manigat à ce système qui n'a rien donné depuis 1986, il oublie de souligner que tous les présidents depuis 1986 ont été des ''outsiders', et non des hommes ou des femmes issus justement de partis politiques. Mme Manigat est la première personne et candidate issue d'un parti politique qui pourrait accéder à la présidence depuis 1986. Avec elle, Haïti aurait justement la chance d'avoir enfin une candidate issue de la classe politique pouvant accéder au pouvoir. Ce que nous n'avons jamais eu jusqu'à ce jour. Depuis 1986, ce sont justement tous les ''outsiders'', qui ont mené le pays à l'échec. Il est donc trop facile de faire un amalgame entre la classe politique traditionnelle et l'échec politique de ces dernières années. De plus, Michel Martelly a clairement dénigré l'importance des personnes diplômées. Or Haïti a plus que jamais besoin d'intelligence, de savoir, de retour aux valeurs et de compétences basées sur l'excellence pour sa reconstruction. Or, l'excellence se base aussi sur les diplômes et la qualification universitaire reconnue dans le monde entier. Dénigrer les diplômes et la connaissance ne peut que lancer des mauvais signaux à la jeunesse haïtienne qui, larguée dans l'ignorance, pourra associer l'image de Martelly au succès facile et, pis encore, comme un exemple pouvant mener cette jeunesse au timon des affaires de l'État. Si le candidat Martelly promet l'éducation à tous les enfants d'Haïti, souhaite-t-il du même coup qu'ils ne persévèrent pas jusqu'à obtenir leurs diplômes en fin de parcours, qu'ils abandonnent leurs études avant de les terminer? De plus, d'où vient cette logique selon laquelle dès que quelqu'un est diplômé, il perd automatiquement sa qualité de bon citoyen pouvant diriger son pays? Qui était diplômé avant Mme Manigat ? Ni Namphy, ni Avril, ni Préval... Quel signal l'accession de Martelly au pouvoir va-t-elle donner à la jeunesse haïtienne ? Voici une question sur laquelle les sociologues devraient se pencher.
Enfin, Daniel Supplice a déclaré sur Vision 2000 que les peuples ont besoin de dictature. Venant d'un sociologue, cette idée est d'autant plus choquante. M. Supplice devrait savoir qu'avec l'instauration d'un réel État de droit en Haïti, nous n'aurions pas besoin d'un dictateur, progressiste ou non. De plus, qui dit dictature dit aussi garantie de privilèges indus pour le dictateur et sa clique, surtout dans un pays comme Haïti où les élites n'ont jamais pu s'élever au niveau de la défense du bien commun. Enfin, il faudrait se rappeler que « la pire des démocraties est de loin préférable à la meilleure des dictatures.» (Ruy Barbosa)
Un second tour raté
Le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, a exprimé le voeu mercredi que le second tour de l'élection présidentielle en Haïti, dimanche, se déroule de manière "crédible, objective et démocratique", afin de faciliter la reconstruction du pays, ravagé par un séisme l'an dernier. Après un premier tour qui a frôlé la catastrophe, le second tour a pour obligation de respecter non seulement le droit des candidats, mais aussi le droit de vote des électeurs. Mais rien n'est moins sûr. « Malgré sa popularité, je ne pense pas que Martelly domine la machine électorale traditionnelle qui se retrouve notamment dans les provinces. Là, c'est Mme Manigat qui mène et si elle reçoit l'appui de Préval et de son équipe, c'est un point de plus pour elle », soutient l'historien et analyste politique Michel Soukar. Plusieurs analystes s'accordent à dire que le second tour de ces élections ne se passera certainement pas dans le calme : « Je crois que nous avançons vers un affrontement; la journée du 20 mars ne sera pas simple et encore moins celles d'après. L'équipe de Martelly ne va pas accepter de perdre; celle de Manigat non plus; alors, nous avons déjà une idée de ce qui s'annonce sur le terrain», déplore Michel Soukar. Ceci dit, selon lui, «la communauté internationale va peser de tout son poids dans la balance. Il y a des secteurs qui soutiennent Martelly mais d'autres le voit d'un très mauvais oeil. Donc, la situation est compliquée... très compliquée ».
Ces derniers jours, certaines sources font croire que René Préval serait prêt à mettre la machine électorale au profit de Mme Manigat. Même si c'était le cas, René Préval aurait donc adopté une stratégie '' in extremis '' qui ne saurait changer ou influencer l'électorat à temps. Pire ! certains, pensent que cela pourrait jouer contre Mme Manigat. Pour le professeur et politologue Sauveur Pierre Étienne, « un éventuel soutien du gouvernement Préval-Bellerive à Mme Manigat pourrait porter le peuple à identifier celle-ci comme la candidate du pouvoir de la honte et de la corruption généralisée, donc de la continuité. Une telle manoeuvre se révélerait contre-productive, incitant éventuellement l'électorat à voter préférablement en faveur du candidat de Repons Peyizan, ouvertement opposé au pouvoir en place.» Pour Frantz Voltaire, directeur du Centre International de Documentation et d'Information Haïtiennes, Caribéenne et Afro-canadienne (CIDIHCA) à Montréal, Préval n'appuiera pas Mirlande Manigat. « je crois que les dirigeants de l'Unité se sont concentrés sur les législatives pour disposer d'une majorité parlementaire qui leur permettrait de former le prochain gouvernement. On demande aux Haïtiens de faire un choix entre Manigat et Martelly et on oublie les élections législatives qui pourraient donner au parti du président une majorité absolue au Parlement, et donc la possibilité de former le prochain gouvernement. L'ironie est finalement que Préval qui a toujours méprisé le Parlement, se retrouve avec une majorité parlementaire qui obligera le prochain chef d'État à négocier avec lui », souligne-t-il.
Pour Frantz Voltaire, la mobilisation des jeunes par l'équipe Martelly est une arme à double tranchant : « Ce faisant, le camp Martelly crée des conditions d'instabilité, car il n'aura pas les moyens de les faire rentrer après. On a l'impression que dans le camp Martelly il y a des groupes qui pensent que seule la violence de la rue peut leur donner la victoire, puisque cela a marché au premier tour. Certains secteurs qui appuient Martelly savent que celui qui occupe la rue a toutes les chances d'être légitimé par la communauté internationale, qui en définitive, comme on l'a vu lors du premier tour, décidera de l'issue des élections. C'est la communauté internationale qui reconnaîtra le prochain ou la prochaine présidente d'Haïti. »
Un sordide jeu de hasard
Le vote de dimanche aurait dû donner à Haïti la chance de choisir enfin un leader responsable. Mais n'en est-on pas réduit à un sordide jeu de hasard ? À pile ou face ? Pile, le peuple gagne; mais quoi et avec qui ? N'en est on pas réduit, une fois de plus, non à choisir la meilleure personne comme président(e) mais la moins pire ? La tendance générale n'est ni à la réflexion ni à la raison, mais reflète plutôt des émotions exacerbées. Un vote stratégique serait de mise, mais il n'est pas sans risques non plus. Face, le peuple perd... encore une fois. Pour Frantz Voltaire, « après le vote de dimanche, et ce, si l'élection a lieu sans problèmes, on observera une mobilisation des partisans de Martelly qui voudront le proclamer président dès le lendemain avec tous les risques de dérapage. Je crois que nous aurons jusqu'à la proclamation définitive des résultats des mobilisations et manifestations de rue avec tous les risques de dérapage. Le résultat final sera contesté par le perdant ou la perdante; mais dans le cas de Martelly ,il peut mobiliser des activistes et occuper la rue. À mon avis, la conjoncture actuelle est celle de tous les dangers et j'ai bien peur que, quelle que soit l'issue des élections, nous allons connaître une nouvelle période d'instabilité.»
Le politologue Sauveur Pierre Étienne va plus loin. Pour lui, « La continuité du régime ''duvalas'' avec Mme Manigat ou M. Martelly ne peut engendrer qu'un pouvoir fantoche, un régime marionnette prêt à exécuter les quatre volontés de la communauté internationale, mais insensible à la misère des masses rurales et urbaines et à la paupérisation des classes moyennes.»
On voit déjà les nuages s'amonceler sur la tête du prochain chef d'État : négociations avec une majorité parlementaire de l'Unité, impact de l'augmentation des prix des produits alimentaires et des prix du pétrole. La marge de manoeuvre des futurs dirigeants sera donc très étroite. Sans compter que le/la prochain(e) chef(fe) d'État devra aussi compter avec l'impact de la présence de Jean-Claude Duvalier et de Jean-Bertrand Aristide en Haïti.
La crise économique mondiale et haïtienne est un terreau formidable, on peut en faire ce qu'on veut : un jardin d'éden ou au contraire une jungle inhospitalière. Il faut maintenant choisir. Et tel que le vent va et vient, c'est sans doute la jungle que l'on nous prépare, et non pas l'éden. Le 20 mars, la République d'Haïti sera bien tourmentée... et ses citoyens aussi.
Nancy Roc
Montréal, le 17 mars 2011
http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=90327&PubDate=2011-03-17
Commentaire
Haïti se trouve actuellement au bord d`un abime. Qu`est-ce qui l`empêchera de s`y précipiter? Un choix massif aux élections pour dire clairement ce qu`il veut, ce que son peuple veut. Sinon, on n`aura même pas le loisir de le regretter, de changer d`avis. Pour regretter, pour changer d`avis, il faut au moins survivre. Et les chances seront minces, très minces, que ce miracle se produise. Pour ceux qui ont rêvé de vivre dans un pays (attrapant sa chance) transformé (malgré le tremblement de terre et aussi un peu à cause de cet évènement), reconstruit, ayant une image plus digne sur la scène internationale, cela va-t-il être possible vu l`état actuel des choses ? Ce pays est fatigué d`être gouverné par des bouffons tellement les politiciens professionnels (ces diplômés que détestent les obscurantistes) semblent de plus en plus enclins à céder sous la pression de la peur.
Pas besoin de chercher des puces au monsieur Martelly ou de fouiller son placard pour y trouver des squelettes. Michel Martelly, c'est le meilleur choix pour être le président d'Haiti, et ainsi avoir la paix pour un meilleur avenir pour Haiti, si nous ne voulons pas envoyer le pays dans le pire du gouffre dans lequel il se trouve déjà.
RépondreSupprimerA Madame Manigat, je dis de cesser de vous mettre au travers du chemin de la jeunesse Haitenne! Vous avez dejà goûter au pouvoir aux côtés de votre mari. On ne veut pas de votre version du pouvoir présidentiel… Le peuple veut autre chose! Haiti a besoin de passer à autre chose… De vivre autre chose! Michel Martelly est capable! YES, THE NEXT GENERATION CAN, TOO! Il faut cesser de faire transiger le pouvoir aux mains des mêmes personnes, du même groupe: Duvalier, Aristide, Manigat, etc… Il est temps de changer! Et le changement se fera lorsque le pouvoir passera dans le camp de ceux qui ne vous ressemblent pas, c'est-à-dire à madame Manigat!