Avant le sprint final
Haïti: Le déterminisme n'existe pas en politique. Tout bouge. Tout change. Chaque pas provoque ses propres contrecoups, les réactions entraînent des conséquences. Si, au lendemain des résultats corrigés du CEP, un momentum Martelly prenait de l'ampleur, il a fallu que la campagne commence, que les acteurs sociaux s'agitent, que les candidats réalisent leur meeting pour que la météo politique change.
Parce qu'elle durcit le ton et choisi des cibles, parce qu'elle a compris que pour arriver au pouvoir il faut charmer au-delà du cercle de ses sympathisants, Mirlande Manigat, la professeur de Droit constitutionnel, la sorbonnarde, se fait mère de famille dans un pays où la femme est avant tout utile avant d'être la plus forte, la plus intelligente ou celle qui porte le pantalon.
Ce petit glissement est de taille. Finie la professeure, bonjour la maman. Dans un abécédaire politique qui a déjà connu de mauvais pères, la mère est une figure nouvelle.
Mirlande a dû aussi se trouver des forces physiques pour effacer l'image de grand-mère endormi, aux pieds endoloris qu'elle avait traînée pendant le premier tour.
En prenant position pour la Minustah, contre le retour imminent d'Aristide et en ne heurtant aucune des positions fortes des puissants amis d'Haïti, celle dont le mari avait eu maille à partir avec les grandes puissances, rassure l'international.
Elle incarne la continuité de la stabilité tout en offrant un visage neuf. Cela ne veut pas dire que tout est bien. Dans le bassin de ses partisans, Mirlande Manigat a consolidé ses positions, elle devra dorénavant continuer à descendre de son piédestal pour conquérir le peuple des votants et ceux sur qui elle compte pour prendre les rues le 21 mars, si nécessaire.
Comme d'autres avant elle, pour gagner les élections, il lui faudra la clameur publique et le vote sur le bitume. Manigat le sait et est prête à ce reniement supplémentaire de sa stature d'universitaire. Avec l'endossement du groupe rap Barikad Crew, Madame fait le pont entre le monde de la rue et celui du savoir. Pour boucler la boucle et faire le plein d'électeurs, sait-on jusqu'où elle ira d'ici le 20 mars.
Aucun sondage n'ayant été réalisé. Tous les sondages étant suspects de sympathies pour l'un ou l'autre camp, la presse ne peut que humer l'atmosphère de la rue, être attentif à ce qui se dit ici ou là pour décrypter l'opinion.
C'est ainsi que parviennent aux rédactions les appréhensions des partisans de Martelly qui s'étaient installés dans le fauteuil du vainqueur.
En faisant du Martelly, rien que du Martelly, le chanteur déçoit. Ne rassemble pas. Il enthousiaste à ses meetings ceux qui s'enthousiasmaient lors de ses prestations de musicien. Martelly est resté l'amuseur public qu'il a toujours été et quand on le voit en campagne sur un stage ou en conférence de presse, difficile de voir un autre personnage que le chanteur. Michel Martelly ne perce pas la carapace de Sweet Micky. Le pourra-t-il?
Les promesses du candidat d'école gratuite pour tous, des maisons aux sans-abri ou de taxe sur la borlette ne sont pas assez convaincantes. Sa stratégie des appels téléphoniques bute sur un ennemi inattendu : la rumeur que le diable appelle à partir d'un certain nombre de numéros pour tuer d'honnêtes citoyens qui lui répondent. Du jour au lendemain, tout numéro non identifié suscite la suspicion. On ne répond plus aux appels robot ou appels zombies du candidat ou de tout inconnu.
Une rumeur met en déroute la plus pointue des technologies au monde. Voilà Haïti.
Un pays prêt à s'enflammer pour le candidat de son choix tout en étant attentif à l'offre concrète qu'il présente, cela aussi c'est Haïti. Contre Jude Célestin, il a suffi que Martelly se présente en ange du changement. Pour gouverner, il lui faut d'autres attrape-électeurs. Wyclef, Shaba et tout autre musicien conforte Martelly dans sa posture de star, mais ne le transforme pas en futur chef de l'État.
Enfiler annonce après annonce des déclarations à l'emporte pièce qu'il faut démentir ou ajuster le lendemain n'est pas une bonne chose non plus. Jusqu'à date le candidat Martelly ne peut présenter les six ex-candidats qui le soutiennent comme il l'avait annoncé à l'agence HPN. Sa proposition de fusionner les deux pays qui forment l'Ile d'Hispaniola n'est pas bien comprise.
D'ici la fin de la période carnavalesque Martelly devra se trouver un programme de gouvernement, des porte-paroles crédibles pour épaissir son offre et surtout une nouvelle accroche. Sa dernière prestation jeudi à la soirée de collecte de fonds organisée en son honneur risque de lui faire perdre la sympathie des nouveaux convertis et d'ébranler la confiance des fanatiques de toujours. Le sait-il ?
En attendant, Martelly aussi menace d'en appeler aux manifestations si le vote ne lui est pas favorable le 20 mars. Avant d'en arriver là, lui comme Mirlande Manigat doivent définir leurs objectifs.
Le deuxième tour peut sauver le processus électoral. Que les deux candidats se montrent à la hauteur de l'événement. Nous avons besoin d'un bon gagnant et d'un bon perdant.
L'élection se remportera sans que le vainqueur ait besoin d'atteindre les 50%+1 habituels. La marge de manoeuvre est ténue et les risques de contestations très grandes. Le CEP et nos amis les ajusteurs de score le savent-ils ?
Frantz Duval
duvalf@hotmail.com
http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=89966&PubDate=2011-03-04
Commentaire
Se trouver du jour au lendemain aux mains des partisans de Michel Martelly. Voilà tout ce dont ce pays moribond a besoin pour ne plus jamais ressortir du précipice Aristide-Preval. La perfection n`existant nulle part, un peuple peut se tromper. Qui ne le fait pas? Mais une bêtise n`exclut pas une rectification, un redressement. Au contraire. Et c`est l`occasion qui vient de nous être offerte. Cela veut-il dire que nous gagnons d`avance à élire Manigat? Non! Cela veut dire qu`on ne va pas courir le risque de choisir d`avance d`échouer. Manigat, on peut faire pression, on peut en appeler à la démocratie, on peut lui rappeler ses promesses. Elle écoutera, elle est respectée non parce qu`elle est prompte à recourir à la logique du pavé (ce que quiconque a le droit de faire quand les circonstances l`exigent), mais parce qu`elle raisonne d`abord. Peut-elle mal raisonné? Bien sur! Mais on peut revenir à la charge. Alors qu`avec la logique systématique du pavé, pour revenir à la charge, il faut avoir survécu. Or, c`est ce qui n`arrive que miraculeusement. Peut-on, après Titid, miser sur cette ``borlette miraculeuse``? Certainement! Mais le doit-on? C`est ça la question fondamentale. A moins qu`on ne préfère enfouir sa tête dans le sable de l`irresponsabilité. Un pays n`est pas un char de carnaval. Faut-il épuiser notre existence à échouer pour le comprendre?
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