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samedi 5 mars 2011

Haïti au coeur de la francophonie

Entre les frontières
« C'est grâce à Haïti que le français a pu être utilisé comme langue de travail au sein des Nations unies. Haïti est le pays qui comprend le mieux le terme de diversité culturelle. En dépit de sa position géographique et de son histoire, Haïti a une conscience beaucoup plus forte de la langue et une diversité culturelle plus qu'ailleurs». A seize jours de la date du 20 mars, « Journée mondiale de la francophonie », qui sera certainement estompée par l'euphorie électorale, la remplaçante de M. Amado Pitroipa, Mme Chantal Moreno, ayant travaillé au bureau du secrétaire général de l'OIF pour s'occuper du dossier de la coopération, nous parle du rôle et des enjeux d'Haïti au sein de l'Organisation internationale de la Francophonie.
Haïti: Le Nouvelliste (LN): Quel sens a pour vous la reprise des activités de la francophonie en Haïti après le séisme ?
Chantale Moreno (CM) : Je suis très fière qu'on ait réinstallé les bureaux et qu'on soit de nouveau opérationnels. Pour nous, c'était un véritable défi, et nous sommes très heureux de voir les résultats de ces nombreux efforts. Nous sommes vraiment contents de voir l'intérêt et l'attention des autorités haïtiennes par rapport à la francophonie et de voir que même si souvent les gens ne savent pas trop c'est quoi la francophonie, ils sont attachés à la francophonie.
LN : Parler de la francophonie, c'est bien. Mais avant d'aller plus loin, c'est quoi la francophonie ?
CM : La francophonie, c'est plusieurs choses. La francophonie, c'est d'abord une organisation internationale qui regroupe actuellement 56 États et 19 pays observateurs. Donc, c'est une grande institution internationale qui réunit ses États et gouvernements sur la base de valeurs et de principes qui rapprochent ces États et gouvernements. Les éléments de base- qui ont fait que la francophonie en tant qu'institution a été créée - résultent de la langue française qu'on partage avec plusieurs pays francophones; mais les valeurs qui sont liées à cette langue sont la diversité cultuelle et linguistique, les valeurs de droit et de démocratie.
A côté de son statut d'organisation internationale, la francophonie est une institution de coopération. Comme le dit le secrétaire général, nous marchons sur deux jambes : institutionnelle et politique, mais aussi une jambe de coopération. On fait de la coopération. On a des projets concrets qui sont mis en place dans tout l'espace francophone.
LN : Parlez-nous un peu de cette coopération, de ces projets et dites-nous dans quels secteurs intervient la francophonie.
CM : Au niveau institutionnel, ce qu'il faut bien voir, c'est que le secrétaire général a un rôle politique important en termes de médiation. Il est en contact avec les grandes organisations politiques, notamment les Nations unies. On joue un rôle important dans les pays qui sont en crise ou en sortie de crise. Malheureusement, dans notre espace francophone, de nombreux pays ont connu des crises politiques. On offre beaucoup de soutien à la démocratie en renforçant la capacité d'organisation des États. On offre aussi du soutien institutionnel au Parlement et on renforce les capacités des gouvernements.
En ce qui a trait à la coopération, celle-ci est organisée autour de quatre volets. Tout d'abord, le volet le plus important est celui de l'éducation et de l'enseignement supérieur. Un deuxième volet est celui de la culture et de la diversité linguistique. Un troisième volet est celui des droits de l'homme et de la démocratie, un volet qui soutient les médias. Et le dernier volet est celui de la coopération qui tourne vers la solidarité et toute la politique de promotion de la défense de l'environnement.
LN : Quelle place occupe Haïti dans ce regroupement de pays francophones ?
CM : Si on regarde notre présence en Haïti, il est important de savoir qu'on travaille avec Haïti sur la zone des Caraïbes depuis près de 20 années. Je le redis et je le répète: Haïti fait partie des membres fondateurs de notre organisation et abrite le siège du bureau régional de notre organisation pour les pays de la Caraïbe.
LN : Qu'est-ce qui a favorisé le choix d'Haïti comme pays d'accueil pour le bureau régional de la francophonie ?
CM : Haïti joue un rôle très important dans notre organisation. C'est grâce à Haïti que le français a pu être utilisé comme langue de travail au sein des Nations unies. Haïti est le pays qui comprend le mieux le terme de diversité culturelle. On trouve dans ce pays le métissage de ses racines au niveau des personnes. On retrouve aussi le métissage au niveau des langues comme en Afrique. Mais Haïti, en dépit de sa position géographique et de son histoire, a une conscience beaucoup plus forte de la langue et une diversité culturelle plus qu'ailleurs. Haïti a toujours joué un rôle important dans les prises de décision et dans nos programmes. Nous avons plusieurs commissions : politique, économique et de coopération. Ces commissions nous permettent de mieux orienter nos actions. Et je dois dire qu'Haïti vient de présider la Commission de coopération de la francophonie. Même si Haïti est petit en termes de surface et de population, elle a toujours eu de grandes influences au sein de notre organisation.
LN : Sachant qu'Haïti a présidé la commission de coopération, présentez-nous cette commission avec les acteurs haïtiens et éventuellement les résultats.
CM : Haïti est représentée à Paris au sein de la francophonie et de l'UNESCO par Mme Denise Jean, qui a été choisie par le président René Préval. Au sommet de la francophonie tenue récemment en Suisse, Haïti était représentée par la ministre des Affaires étrangères, Mme Michelle Rey, qui a été mandatée par le gouvernement haïtien. Et les résultats étaient satisfaisants. Sur une durée de quatre ans, Mme Jean a piloté ce programme durant toute la présidence de l'actuel gouvernement haïtien, donc Haïti a joué un rôle important dans l'exécution de ce programme. Il y a aussi des pays du Sud - comme le Sénégal ou le Burkina Faso - qui ont oeuvré pour la préservation de nos programmes au niveau des populations. Nous avons certains pays du Nord, comme la France et le Canada, qui de leur côté donnent un axe important au volet politique tandis que Haïti fait en sorte que l'on garde une coopération plus proche avec la population. Par exemple, nous avons financé une vingtaine de programmes de développement local en Haïti comme dans d'autres pays du Sud. Et sur le plan culturel, il y a les centres de lecture et d'animation culturelle (CLAC) qui jouent un rôle important dans la francophonie. Nous avons 150 CLAC dans notre espace francophone. En Haïti, nous avons 10 et 6 autres qui devront bientôt être inaugurés. On a pris l'engagement de porter ce réseau jusqu'à 40 CLAC.
De nombreux pays membres de la francophonie, qui ont beaucoup de bibliothèques, ne voient pas l'utilité de ces CLAC. Mais Haïti estime que c'est important de continuer avec ce projet, et c'est fondamentale la politique nationale de lecture publique. Il y a aussi la numérisation du patrimoine. C'est grâce à la mobilisation d'Haïti et des autres pays de la francophonie que ce projet a pu voir le jour. Prenons l'exemple de la Bibliothèque nationale d'Haïti, qui fait partie intégrante de ce processus. Et enfin, il y a le volet éducation sur lequel nous travaillons en Haïti et dans la Caraïbe : la formation des directeurs d'école et le renforcement du système éducatif haïtien avec une approche pour tisser des relations fructueuses entre les institutions publiques et privées.
LN : Quel a été le rôle de l'OIF après le cataclysme du 12 janvier ?
CM : Depuis le séisme du 12 janvier, nous avons mobilisé des fonds pour octroyer des bourses aux jeunes Haïtiens. Et des fonds ont été débloqués pour des professeurs et pour la mise en oeuvre de centres multimédias dans des universités. Nous avons installé en septembre dernier un centre de multimédias au centre de formation des maîtres aux Cayes. Et, dans les jours qui viennent, l'AUF inaugurera des centres multimédias dans les universités. L'objectif de l'AUF est de faire en sorte que chaque université qui fait partie du réseau universitaire de la francophonie puisse bénéficier de ces centres. Depuis toujours, l'AUF offre des bourses aux jeunes Haïtiens et nous avons, depuis quelques jours, lancé des appels à candidature de bourses pour la nouvelle année scolaire. En liaison avec l'ambassade de France, 600 bourses supplémentaires ont été offertes après le drame en 2010.
LN : Vous parlez de coopération au niveau de l'éducation et de la culture. Mais quelles sont les actions concrètes de la francophonie dans le cadre de la reconstruction d'Haïti ?
CM : L'Institut de la Francophonie pour la Gestion dans la Caraïbe (IFGAR), qui est financé par des pays francophones, a été détruit lors du séisme. Nous avons des professeurs et des étudiants qui sont morts. Cela a été douloureux. Notre objectif premier est de reconstruire l'institut. Il y a aussi un travail commun qui est train de se faire avec les universités de la Caraïbe pour parvenir à la reconstruction de cet institut qui est très important pour Haïti. Nous sommes très heureux que les étudiants qui n'ont pas été affectés par le séisme aient été accueillis par des universités de la Martinique pour poursuivre leurs études. On espère d'ici à la fin de 2011 remettre sur pied l'institut à Port-au-Prince. Sans oublier l'action de l'AUF en partenariat avec le ministère de l'Education nationale haïtien par l'adoption d'une nouvelle stratégie de reconstruction de l'enseignement supérieur haïtien.
LN : Par rapport à Haïti, quels sont les enjeux de la francophonie sur le plan international ?
CM : Quand Haïti a été frappée par le séisme, notre organisme était exclu au niveau des rencontres internationales. On a dû se battre pour réintégrer les conférences internationales en mars 2010 aux Nations unies. Notre administrateur a dû intervenir pour expliquer ce que la francophonie compte faire dans la reconstruction. Il faut aussi dire que l'ambassadeur d'Haïti aux Nations unies travaille en étroite collaboration avec notre organisation, surtout dans le cadre de notre programme de jeunes ambassadeurs francophones. Haïti joue un rôle important au sein des Nations unies pour que le français soit scrupuleusement utilisé.
LN : Comment la population haïtienne dans son ensemble aura-t-elle bénéficié de la présence de l'OIF ?
CM : Nous avons le ministère des Affaires étrangères et le ministère de la Planification et de la Coopération externe où nous avons un représentant national à ce niveau. En termes de projet concret, nous avons le ministère de la Culture et de la Communication où nous avons réalisé de nombreux projets, dont la mobilisation des artistes. Il y a aussi le ministère de l'Éducation nationale avec qui nous avons de très bons rapports. Ensuite, nous avons le ministère de la Jeunesse et des Sports. Nous avons aussi le ministère de l'Intérieur et des Collectivités territoriales qui travaille avec les maires francophones sur de nombreux projets. Sur ce point, ils ont travaillé à ce ministère sur l'informatisation du système de gestion de l'état civil en Haïti en créant un réseau avec les directions d'archives haïtiennes, les ministères de la Culture, de l'Intérieur et de la Justice.
Je dois rappeler que nous avons eu un programme quadripartite entre le Canada, l'Union européenne, l'OIF et le ministère de la Justice haïtienne d'une valeur de 10 millions d'euros. Et enfin, il ne faut pas oublier les ministères de l'Économie et des Finances et à la Condition féminine.
LN : Quelles sont vos perceptions du volet économique dans le cadre de ces relations ?
CM : Il existe beaucoup de difficultés du point de vue économique. On devrait avoir des relais sur le terrain pour obtenir des résultats et aussi créer les conditions optimales pour favoriser la création de l'emploi en Haïti, mais c'est extrêmement difficile. Prenons le cas de la délégation du MEDEF, qui était récemment en Haïti. Quel est le suivis qui a été fait ? Pour faire le suivi, il faut avoir suffisamment d'acteurs de terrain organisés. Depuis deux ans, nous, au sein de la francophonie, réfléchissons pour voir comment aider les pays comme Haïti à soigner leur image sur le plan économique, c'est un travail de longue haleine.
LN : Sur la même lancée, à combien se chiffre le financement de l'OIF pour Haïti ?
CM : C'est difficile de vous entretenir à ce sujet. A la francophonie nous n'avons pas un système pour comptabiliser le financement pays par pays. Ce que je peux vous dire, le budget global de coopération pour l'ensemble des pays de notre organisation est estimé à environ 80 millions d'euros par an. Dans le volet de coopération, le budget tourne autour de 40 à 50 millions.
LN : Parlez-nous un peu des relations de l'OIF avec les institutions privées évoluant sur le territoire haïtien.
CM : Depuis deux ans, nous travaillons avec des partenaires privés dans l'objectif d'avoir des fonds extrabudgétaires. Tous les États n'étaient pas favorables. Nous sommes prêts à travailler avec toutes institutions privées, moyennant qu'elles respectent les valeurs de la francophonie. Les valeurs des droits de l'homme, la démocratie, la diversité culturelle et linguistique. La linguistique en Haïti a tout son sens. On voit l'importance du créole et du français.
LN : Quels sont les chantiers de l'OIF pour cette quinzaine de la francophonie?
CM : On veut faire de nos nouveaux locaux une maison de la francophonie. Je dis maison de la francophonie parce que l'AUF a trois bureaux ici et on souhaite y accueillir tous les acteurs impliqués dans la francophonie. Plus que des bureaux, mais un lieu de vie pour nos créateurs et pour la jeunesse haïtienne. Les premières manifestations culturelles de la quinzaine de la francophonie ont débuté avec une émission enregistrée et seront suivies ce vendredi 4 mars 2011 d'une exposition de photos, de peintures et de sculptures. Durant tout le mois, on aura des ateliers d'écriture, de sculpture et de peinture - pour des écoles - qui se tiendront dans nos locaux. Cette exposition va permettre de valoriser le travail des créateurs haïtiens, dont le sculpteur Eddy Rémy et le peintre Dominique Domerçant qui ont participé en 2009 aux activités de la francophonie à Beyrouth. Le 17 mars, nous aurons un spectacle de danse qui sera orchestré par la compagnie de danse Jean-René Delsoin. A l'instar des artistes haïtiens qui performent à l'extérieur, les artistes étrangers sont les bienvenus. Je souhaite, avec l'aide des créateurs, que ce lieu soit un espace vivant.


Amos Cincir
mcincir@lenouvelliste.com
Dominique Domerçant
succes33@yahoo.fr
http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=89900&PubDate=2011-03-04

Commentaire
Beaucoup de personnes et même des Haïtiens ne savent pas le rôle majeur rempli par Dantes Bellegarde dans ce sens et le prestige qu`il a fait rayonner sur Haiti en conséquence. Ce qui lui a valu d`ailleurs l`hommage mérité de l`un des plus grands penseurs des temps modernes, Jean Piaget. Mais cela fait partie des retards à rattraper quand on aura organisé ce pays. Rafraîchir la mémoire des nouvelles générations requiert certainement un minimum de stabilité que nous n`avons pas encore atteint. Cela arrivera grâce à notre persévérance.

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