samedi 12 mars 2011
Par le Dr Rodolphe Malebranche
Soumis à AlterPresse le 10 mars 2011
M. Jean Erich RENE vient de rendre public sur le net un document intitulé « Axe Stratégique Santé du RDNP » et qui se voudrait en quelque sorte le programme politique sectoriel du RDNP dans le domaine de la santé pour les cinq prochaines années, programme qui sera bien entendu mis à exécution au cas où la candidate remporte les joutes du 20 mars 2011.
Disons d’emblée qu’il s’agit d’une excellente initiative, susceptible de permettre un véritable débat électoral centré sur des idées et non plus sur des slogans le plus souvent vides de sens et des promesses les unes plus exorbitantes que les autres.
Ceci une fois dit, essayons d’analyser en profondeur et de la manière la plus objective possible, le contenu de ce programme sectoriel, ses grands axes stratégiques et ses lignes directrices, ses points forts et ses lacunes…
Nous dirons d’emblée que le plus grand mérite de ce document est d’exister. Il a toujours été dit et écrit que les partis politiques dans notre pays n’avaient pas de projet de société et donc pas de programme politique à implémenter au cas où ils accédaient au pouvoir, ce qui s’est révélé à date exact. Le RDNP semble donc vouloir prendre le contre-pied de cette pratique traditionnelle de nos partis politiques. Mais ce document nous laisse, à tort ou à raison, l’impression, à sa lecture, d’avoir été écrit en toute hâte pour les besoins de la campagne électorale.
En effet un document de programme politique sectoriel (dans le cas qui nous intéresse ici) d’un parti aspirant à prendre le pouvoir pour le mettre en application devrait être un document définissant, après un bref état des lieux du secteur :
• la vision politique du parti en ce qui concerne le développement du secteur en question
• les objectifs du parti pour ce secteur
• son plan d’action basé sur une planification rigoureuse des besoins, un chronogramme d’exécution des mesures arrêtées, une évaluation aussi précise que possible des coûts de réalisation des différentes actions programmées et l’identification de leurs sources de financement
• les indicateurs de résultats par rapport à un chronogramme d’exécution précis et détaillé de ces dernières.
Retrouvons-nous ces éléments essentiels dans le document diffusé par le RDNP ? 1. ETAT DES LIEUX DU SECTEUR
Un état des lieux du secteur ne saurait se limiter, comme dans le document, à une simple énumeration des paramètres indicateurs de l’état de santé général de la population haïtienne (situation sanitaire).
Il nous paraît essentiel que cet état des lieux prenne également en compte l’organisation même et la situation actuelle du système public de distribution des services de santé et de soins à la population haïtienne au triple point de vue de ses ressources :
infrastructurelles
humaines
financières
Au plan infrastructurel, le système public ou apparenté tel de santé est constitué d’un réseau de plus de 600 institutions de santé allant des dispensaires à l’Hôpital de l’Université d’Etat d’Haïti (HUEH). 1/3 seulement de ces institutions sont gérées par l’Etat, c’est à dire par le MSPP, les 2/3 restants l’étant par les ONG. Autant dire que l’échec en matière de politique de santé en Haïti n’est pas seulement l’échec de l’Etat Haïtien, comme on veut souvent le faire croire, mais également celui des ONG. Comment en serait-il autrement lorsque l’action de ces dernières s’inscrit dans une logique de l’humanitaire et non dans l’optique d’un développement durable ? Il faut savoir également que la grande majorité des institutions directement gérées par l’Etat sont dans un état de vétusté et de délabrement avancé et sont souvent dépourvues du moindre matériel nécessaire à leur fonctionnement, faute d’allocations budgétaires
Au plan des resources humaines : il est important pour tout aspirant à la magistrature suprême de bien appréhender la problématique spécifique à cette question, problématique dominée par les points suivants :
80% des jeunes médecins formés en Haïti aux frais de l’Etat quittent définitivement le pays sitôt terminées leurs études. Un tel movement est également en train de s’accentuer pour nos cadres para-médicaux et notamment nos infirmières
la plupart de ceux qui bénéficient d’une bourse de spécialisation ne reviennent pas
une bonne partie des cadres du secteur, notamment les plus compétents et les plus performants, désertent le secteur public et se retrouvent dans les ONG.
Au plan des resources financières, disons simplement ici qu’il a toujours été alloué au MSPP qui a la charge de faire fonctionner le système un budget de misère.
De telles considérations nous semblent essentielles pour l’analyse des mesures de redressement à proposer dans le cadre d’une politique de santé renouvelée et il est à regretter qu’ils n’aient pas fait l’objet, vu leur importance, d’une analyse détaillée dans le document du RDNP, même si certains d’entre eux sont juste mentionnés à travers le texte, de façon éparse. Ceux qui s’intéressent à la question peuvent éventuellement prendre connaissance d’un certain nombre de propositions que nous avions formulées dans un article publié en deux parties dans le Nouvelliste [1]. 2. LA VISION POLITIQUE DU RDNP DANS LE DOMAINE DE LA SANTÉ
Il n’existe pas dans le document de chapitre traitant spécifiquement de cette question fondamentale, ce qui est peut-être voulu du parti par peur de s’aliéner une fraction importante de l’électorat mais est, de notre point de vue, une lacune majeure.
Certes la philosophie du RDNP, en matière de politique sectorielle de santé, apparaît pêle-mêle en filigrane dans le texte, derrière des mots clés comme et nous citons : “ Fin de l’état Providence “, “ Innovation institutionnelle néo-classique “ (dont la signification reste d’ailleurs obscure aux non-initiés du RDNP) ou encore “ nouveaux fournisseurs de soins de santé “, “ organisations et firmes privées “ définissant apparemment la réforme du secteur envisagée par le parti. Néanmoins le RDNP se garde bien de dévoiler clairement sa vision du secteur et par exemple de se positionner sans ambiguité par rapport à une question fondamentale qui divise, à savoir :
L’Etat doit-il continuer, en dépit des difficultés de tous ordres auxquelles il est confronté, à être un prestataire direct de services dans un domaine aussi crucial et sensible que celui de la santé de la population haïtienne ?
L’Etat doit-il au contraire se désengager totalement du terrain et rester confiné dans un rôle purement normatif et de contrôle, ce qui revient à la privatisation complète des services de santé et de soins, avec transfert de la part de prestations jusque-là assurée par l’Etat soit aux ONG (ce qui renforcerait encore leur emprise déjà inacceptable sur l’Etat et affaiblirait encore plus ce dernier), soit à des “ firmes privées “ ?
Il nous semble à l’analyse (référence aux mots clés cités ci-dessus) que la politique nationale de santé du RDNP, si Mme Manigat accède à la Présidence de la République et arrive à dégager une majorité d’alliance au Parlement, pourrait éventuellement être axée sur :
un désengagement partiel, voire total de l’Etat comme prestataire direct de services à la population
une certaine priorité accordée aux soins de santé primaries, ce qui sur le papier et aussi dans les faits a toujours été le cas au MSPP, point avec lequel nous n’avons aucun problème
la construction au cours du quinquennat de Mme Manigat d’un nombre impressionnant d’institutions de santé de divers échelons, à savoir :
200 cliniques d’urgence (qui s’apparentent à des dispensaries selon la nomenclature usuelle)
100 hôpitaux communautaires (centres de santé avec lits)
5 hôpitaux généraux ( hôpitaux départementaux)
un mode nouveau de financement du secteur axé sur un Système d’Assurances Santé Etatique (SASE) obligatoire, bref un nouvel impôt santé fonctionnant sur les bases de la solidarité universelle et du partage des risques.
En ce qui concerne le 1er volet de cette politique sectorielle, nous sommes prêt à convenir qu’une analyse peut prêter à contestation et donc à débat. Voilà pourquoi il est important que le RDNP ne laisse pas une question aussi essentielle dans le flou et qu’il clarifie le plus rapidement possible sa position idéologique en matière de politique de santé par rapport au désengagement ou non de l’Etat comme prestataire direct de services de santé à la population.
En ce qui concerne le 3e volet de cette politique qui lui ne laisse aucune place à l’ambigüité, nous disons que ce programme pharaonique de construction en cinq ans de 305 nouvelles institutions de santé de divers échelons dont 100 hôpitaux communautaires, alors que l’Etat pour des raisons multiples que nous n’examinerons pas ici n’arrive pas jusqu’à présent à faire fonctionner celles existant déjà, est totalement irréaliste et utopique. Les rédacteurs du texte manifestement n’ont aucune idée de ce que représentent les coûts de construction, d’équipement et encore plus de fonctionnement d’une institution de santé. Et de plus où trouver les cadres en nombre suffisant pour toutes ces nouvelles institutions ? En effet l’une des problématiques majeures du système, comme nous l’avons souligné plus haut, est le manque criant de cadres capables de le faire fonctionner correctement, fait également souligné dans le document qui rapporte, entre autres, le taux de 0.1 médecin pour 1000 habitants. Et c’est également l’une des lacunes majeures d’un document qui se veut être un document de politique de santé et qui ne propose, au moins dans ses grandes lignes, aucune politique de rétention efficace des cadres, notamment de ceux dont la formation a été totalement prise en charge par l’Etat, c’est à dire par le peuple haïtien. 3. LE FINANCEMENT DU PROGRAMME DE SANTÉ DU RDNP
Revenons à ce point fondamental, “ l’argent étant le nerf de la guerre “. L’un des instruments dont dispose tout gouvernement pour financer ses différents programmes est le budget de la République. Nous sommmes étonné de constater que, dans un tel texte qui développe la politique sectorielle du RDNP dans le domaine de la santé, aucune référence n’est faite à cet instrument. Il faudrait que le document précise au moins si le secteur est listé comme prioritaire par le parti et le pourcentage du budget national que ce dernier arrivé au pouvoir envisage de consacrer au secteur.
Quant au SASE, nous réitérons ici notre affirmation qu’il ne peut en aucune façon financer même très partiellement le programme présenté, vu notamment le caractère rachitique de la masse salariale dans notre pays qui compte, semble-t-il, 60% de chômeurs parmi la population en âge de travailler et vu le fait que l’on ne peut augmenter à l’infini la pression fiscale sur la très faible fraction de la population jusqu’à présent assujettie à l’impôt sur le revenu.
Nous n’avons certes pas de conviction dogmatique arrêtée quant à cette question et sommes évidemment prêt à réviser ce point de vue si les concepteurs du programme arrivent à nous démontrer, chiffres détaillés à l’appui, le contraire.
4. EN GUISE DE CONCLUSION
Nous dirons que ce texte diffusé sur le net par M. Erich RENE sous le titre : “ Axe stratégique santé du RDNP “ ne semble pas être un programme sectoriel de gouvernement par certains de ses chapitres, s’apparentant davantage
soit à un vademecum clinique pour carabins ; on y retrouve même les techniques de décontamination de l’eau (ébullition et chloration avec recettes détaillées) permettant de la rendre potable !! ;
soit à un feuillet sur la pharmacopée traditionnelle (les plantes médicinales d’Haïti qui guérissent)
soit même à une liste de prix pour officine de vente de matériel médical (medical supplies).
On veut bien comprendre, au vu de la présentation générale du texte qu’il s’agisse d’un brouillon de travail. Mais l’on admettra alors qu’il est navrant qu’un parti comme le RDNP, qui existe depuis 31 ans, qui est présent sur le terrain depuis 25 ans, qui a déjà fait un bref passage au pouvoir et qui est censé avoir dans ses rangs des cadres de haut niveau dans tous les domaines ne soit pas capable, dans le cadre d’un programme sectoriel de gouvernement, de présenter à la nation un travail fini et bien élaboré, axé sur une vision politique claire du secteur, une planification précise des besoins (au moins pour la durée du quiquennat), un échéancier précis et le coût détaillé de son programme d’activités ainsi que l’identification détaillée des sources de financement d’un tel programme et en soit réduit, à 15 jours du 2e tour des élections, à nous présenter un travail inachevé.
[1] Problématique de la question de santé en Haïti. Quelques pistes de réflexion pour une amélioration de la situation. Première partie : Analyse de la situation.
Dr Rodolphe Malebranche in : Le nouvelliste, # 37239 du vendredi 23 au dimanche 25 septembre 2005
Problématique de la question de santé en Haïti. Quelques pistes de réflexion pour une amélioration de la situation. Deuxième partie : Mesures susceptibles d’être envisagées.
Dr Rodolphe Malebranche in : Le Nouvelliste (Référence précise non disponible)
http://www.alterpresse.org/spip.php?article10738
Commentaire
Voilà une analyse objective d`une initiative qui, si elle mérite d`être soulignée comme un bon signe, ne répond pas à tous les besoins d`un pays qui veut vraiment avancer. Cela dit, faisons remarquer la civilité, le respect, l`équilibre émotionnel dont font preuve ceux qui d`une part travaillent pour Mirlande Manigat, de l`autre ceux qui, tout en étant en désaccord avec elle (son programme de gouvernement), manifestent leur désaccord avec tout le respect que mérite non seulement une dame délicate et intelligente, mais un adversaire politique qui est loin d`être une ennemie. Une chose n`impliquant pas automatiquement l`autre. Cette leçon est pourtant simple. Merci messieurs-dames de nous le rappeler!
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