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jeudi 10 mars 2011

Les dessous d'un projet de la Dinepa

Le gouvernement semble avoir tranché dans le conflit terrien ayant provoqué l'arrêt des travaux de construction de la station d'épuration d'excrétas à Titanyen. Un nouveau site a même été identifié pour la relocalisation du projet. La voix de la communauté internationale, qui a demandé au gouvernement de rouvrir le chantier de Titanyen, - pour sauver les fonds déjà investis - n'a pas été écoutée. Le Nouvelliste, après avoir publié trois articles sur le dossier, a approfondi son enquête pour tenter de comprendre comment la Dinepa et ses partenaires ont pu arriver à cette situation délicate.
Haïti: Port-au-Prince doit patienter avant de se doter de sa première station d'épuration d'excrétas humains. Les démarches de l'ambassade d'Espagne à Port-au-Prince soutenue par plusieurs bailleurs de fonds internationaux n'ont pas porté les fruits escomptés. Arrêté à cause de problèmes fonciers, les travaux de construction du centre de traitement d'excrétas à Titanyen - financés à hauteur de deux millions dollars par l'Espagne - devaient être inaugurés début février.
Le gouvernement haïtien semble avoir tranché. Des instructions, a-t-on appris, ont été passées aux institutions concernées pour trouver un nouveau site devant accueillir le projet. Un terrain de quatre carreaux de terre situé dans les parages du cimetière du 12 janvier à Morne Saint-Christophe près de Titanyen aurait été retenu. Une visite des lieux, selon les informations disponibles, a eu lieu le 23 février dernier. La délégation était composée des représentants de la Dinepa, du ministère des Travaux publics, du ministère de l'Environnement, de la Direction des Impôts, du Laboratoire national du Bâtiment et des Travaux publics (LNBTP) et de Nabatec, l'une des trois entités réclamant le site de Titanyen.
Parallèlement, l'Espagne, le principal bailleur de fonds du projet, tente de convaincre le gouvernement de rouvrir le chantier de Titanyen. Une lettre, dont Le Nouvelliste a obtenu copie et signée de huit représentants d'institutions internationales ou bailleurs de fonds (membres du groupe de coordination des bailleurs de fonds, le G12), a été adressée au Premier ministre Jean-Max Bellerive sur la question.
Les représentants des Nations unies, de la Banque mondiale, de la BID, de l'ACDI, de l'Union européenne, de l'USAID, de l'AECID et de l'Agence française de développement sont les signataires de la correspondance. La lettre a été adressée au Premier ministre le 18 février dernier au nom du Bureau du sous-secrétaire des Nations pour les Affaires humanitaires, Nigel Fisher. Les autres membres du G12, la Norvège, le Japon, le Brésil et le FMI ne l'ont pas signée. « C'est l'une des rares occasions où la majorité des membres du G12 se mettent d'accord sur un point », a expliqué un haut fonctionnaire de l'un des bailleurs de fonds du G12 au journal sous le couvert de l'anonymat.
La lettre des représentants des bailleurs de fonds n'a fait qu'exposer la nécessité de doter le pays d'une station d'épuration des excrétas. Elle n'a fourni aucune piste de solution ni la moindre information sur les conséquences qu'un tel problème pourrait avoir sur les relations haïtiano-espagnoles. L'engagement de l'Espagne en faveur d'Haïti dans le domaine de l'assainissement s'élève à 120 millions de dollars.
Entre-temps, l'épidémie de choléra, même si elle est en recul selon les dernières statistiques du gouvernement et de l'ONU, continue de faire rage, surtout dans les zones rurales. Les compagnies privées et les ONG travaillant dans le domaine de l'assainissement continuent d'utiliser le site de Truitier jugé non approprié pour déverser les excrétas. Le site de Truitier a été ouvert temporairement pour recevoir les excrétas après le séisme du 12 janvier 2010. Depuis le début de l'enquête, il y a deux mois, on apprenait que les trous creusés pour jeter les excrétas étaient presque remplis.
D'où venait l'autorisation de construire ?
Le terrain revendiqué par au moins trois entités - deux personnes et une compagnie privée (Nabatec) -, se trouve à l'angle de la route 9 (neuf) et de la route nationale #1 dans la commune de Croix-des-Bouquets. Les responsables de ladite compagnie exhibent bien haut les documents légaux de la DGI prouvant que le terrain leur appartient. La Natabec, société composée de la NABASA et de la TECINA, avait récemment présenté dans les colonnes de Le Nouvelliste un projet de développement industriel, commercial et résidentiel qui devrait être réalisé dans la zone de Titanyen.
Le maire titulaire de la commune, Darius Saint-Ange, a confirmé pour le journal avoir été approché par la Dinepa sur le projet. « Nous avons simplement identifié le terrain en question », a fait savoir M. Saint-Ange, qui ajoute: « La mairie n'avait pas autorisé la Dinepa à procéder à la construction. Il fallait d'abord la non-objection du ministère de l'Environnement sur le projet ».
Si la mairie est dans sa commune le gestionnaire privilégié des domaines de l'Etat, elle n'est pas cependant autorisé à les céder à quiconque. Le maire Darius Saint-Ange semble bien connaître ses limites. « J'avais parlé à deux reprises au ministre de l'Intérieur, mon ministre de tutelle du projet de la Dinepa », a indiqué le maire, précisant qu'il revenait à son ministère de tutelle, de transférer le dossier au ministère des Finances qui, à son tour, devrait le transférer à la Direction générale des Impôt (DGI).
Une lettre, a précisé Darius Saint-Ange, a été adressée au ministère de l'Environnement pour avoir son avis sur le projet. « C'est seulement après la réponse (positive) du ministère de l'Environnement que la mairie devrait demander officiellement au ministère de l'Intérieur de produire la demande de terrain au ministère des Finances », a-t-il indiqué. Le journal n'a pas pu retrouver la trace de la lettre ni à la mairie, ni au ministère de l'Environnement.
Le ministère de l'Environnement s'en lave les mains
La construction d'une station d'épuration d'excrétas humains est un projet à caractère environnemental jugé indispensable dans la lutte contre le choléra. « Ceci implique que le projet devrait démarrer simplement après l'avis favorable du ministère », a laissé entendre le maire de Croix-des-Bouquets. La Dinepa semble avoir mis la charrue avant les boeufs. « On a été informé du projet alors que les travaux étaient déjà à une phase avancée », a déclaré au journal une source proche du ministère de l'Environnement sous couvert de l'anonymat.
Le ministère avait, malgré tout, désigné un point focal, en l'occurrence son directeur départemental de l'Ouest, l'ing. Ludner Remarais, pour accompagner la Dinepa. « Le projet de la Dinepa est louable », a précisé Ludner Remarais. Il faut cependant, a-t-il nuancé, élaborer une étude sur son impact environnemental et social.
La Direction générale des Impôts (DGI), qui devait sur demande du ministère de l'Economie et des Finances accorder les papiers légaux à la Dinepa pour l'utilisation du terrain, dit n'avoir pas été non plus mis au courant du projet.
Sur quelle base l'Espagne a-t-elle accepté de décaisser les fonds ?
Les démarches du journal pour rencontrer l'ambassadeur d'Espagne accrédité à Port-au-Prince, Juan Fernández Trigo, se sont révélées vaines. En guise de réponse à notre demande d'interview, l'ambassadeur nous a fait dire qu'il n'entend plus intervenir sur le sujet dans la presse. Cependant, sur les ondes de Radio Métropole, il s'est montré offusqué contre l'arrêt prolongé des travaux. « Les autorités haïtiennes doivent prendre des mesures pour indemniser les propriétaires du terrain », a-t-il proposé.

Comment les autorités espagnoles ont-elles accepté de décaisser les fonds nécessaires au projet sans avoir la garantie que le terrain appartient à l'Etat ? Cette question reste encore pendante. L'ambassadeur Trigo, sur les ondes de Métropole, s'est contenté d'avancer que la Dinepa avait demandé formellement à l'Espagne de financer le projet.
Au moment de rédiger cet article, on a appris le transfert de l'ambassadeur Juan Fernández Trigo au Paraguay. Son remplaçant à Port-au-Prince est Manuel Ruigómez Hernández, ex consul général à Santo Domingo depuis 2005. On n'est pas en mesure de préciser si cette décision est motivée par le blocage des travaux de la station d'épuration d'excrétas de Titanyen.
Des études top secret
Une étude géotechnique du site sélectionné a été réalisée par le Laboratoire national du Bâtiment et des Travaux publics (LNBTP) pour le compte de la Dinepa. On ignore la teneur de cette étude. « Il faut contacter la Dinepa qui avait commandé l'étude », a laissé entendre au journal le secrétaire d'Etat aux Travaux publics, Frantz Yves Joseph. Notre demande d'interview avec le directeur de la Dinepa n'a pas eu de suite.
La Banque interaméricaine de Développement (BID) avait aussi commandité une étude sur le terrain. On ignore également la teneur de cette étude menée par Environmental Engineering and Geotechnics (EE&G,) une compagnie privée américaine. La compagnie américaine a effectivement confirmé la réalisation de l'étude, mais elle nous a référé à la BID pour les détails. Nos démarches pour rencontrer le représentant de la BID en Haïti, Eduardo Almeida, sur le sujet n'ont pas eu de suite. « La requête est notée, nous appellerons », nous a assurés le secrétariat de M. Almeida à chaque fois.
Que dit la Dinepa ?
Le service de communication de la Dinepa n'avait pas donné suite à notre demande d'interview avec le directeur général de l'institution, l'ing. Gérald Jean-Baptiste. Cependant, après notre premier article faisant état de l'arrêt des travaux, on nous avait fait parvenir un document retraçant les différentes étapes du projet.
Les démarches pour doter le pays d'une décharge moderne d'excrétas, selon la note, ont débuté en février 2010, avant même l'apparition de l'épidémie de choléra. Deux sites ont été retenus après des démarches menées auprès de la mairie de Cité Soleil et celle de Croix-des-Bouquets. Le site de Saint Christophe a été écarté en raison de sa proximité avec le cimetière des victimes du 12 janvier au profit de celui de Titanyen. On ne sait pas si c'est ce même site qu'on vient de sélectionner sur la demande du gouvernement.
« En novembre 2010, le maire de Croix-des-Bouquets, en présence du responsable du Domaine, avait réitéré son accord pour le lancement des travaux en urgence et manifesté sa volonté d'accompagner le processus, insistant sur le fait qu'il n'y a aucun danger de conflit terrien, le site en question faisant partie du domaine privé de l'État », a informé la Dinepa dans sa note explicative.
Dans l'intervalle, la Dinepa dit avoir insisté auprès de la mairie de Croix-des-Bouquets pour l'obtention d'une autorisation de construire en attendant les documents légaux.
Les travaux avaient effectivement débuté le 24 novembre 2010. Dès le lendemain, soit le 25 novembre, une première personne avait réclamé le terrain. En décembre, une entité privée avait aussi fait objection à la poursuite des travaux. La décision d'arrêter les travaux a été adoptée en date du 30 décembre 2010 alors que les travaux étaient avancés à 80%.
Le coût du projet de construction de la station d'épuration de Titanyen est de deux millions de dollars. L'échec du projet de Titanyen pourrait servir d'exemple aux acteurs impliqués dans la reconstruction du pays pour éviter la perte du moindre dollar dans des projets mal planifiés.

Cet article est publié avec le support de International Center for Journalists

Jean Pharès Jérôme
pjerome@lenouvelliste.com

Dieudonné Joachim
djoachim@lenouvelliste.com

http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=89883&PubDate=2011-03-09
Commentaire
Quels sont les propriétaires de ces terrains? S`ils ont été contactés, pourquoi ont-ils laissé les travaux prendre de l`ampleur avant de se plaindre? S`ils ne l`ont pas été, qu`attendaient les autorités pour les contacter et jouer carte sur table? Si ces mêmes propriétaires sont maintenant informés et veulent être dédommagés, qu`est-ce qui empêche le gouvernement d`intervenir dans ce sens pour, dans un élan de patriotisme, de part et d`autre, essayer d`arriver à une entente? Ou bien, ces terrains appartiennent-ils à quelqu`un de si puissant qu`il peut utiliser un prête-nom, soumettre tout le pays a ce chantage, au point de priver la nation de la solution à un problème immense? Qui est derrière toute cette cachotterie? L`instance supérieure de toute autorité, en ce qui concerne le pays, c`est bien la présidence. Qu`en pense le premier-ministre? Qu`en pense le PRÉSIDENT? Peut-il en Haïti y avoir un projet de plusieurs millions de dollars sans que ces deux personnes la sachent? Tout le monde sait que non! L`Espagne et les institutions concernées courraient-ils le risque de faire fi d`un gouvernement établi pour se lancer dans un projet millionnaire en se disant ``Plaçons ces gens devant le fait accompli et l`on verra!`` Voilà des questions qui nous obligent à demander:`` HAITI EST-IL ENCORE UN PAYS? Quel est le monstre qui place ses intérêts personnels au-dessus de ceux de dix millions d`êtres humains qui ne demandent qu`à vivre décemment et à entrer la tête haute dans le XXIe siècle?

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