Nombre total de pages vues

jeudi 4 novembre 2010

EDITO

Qui s'engagera à tolérer une presse libre ?

Haïti: Le président René Préval a eu à dire, à plusieurs reprises, sur le ton de la plaisanterie, à deux journalistes du Nouvelliste : « Messieurs, ne croyez pas que la presse haïtienne va trouver un autre président aussi respectueux que moi de sa liberté... »
Cette déclaration qui peut paraître de l'autosatisfaction présidentielle doit être cependant prise au sérieux dans un pays comme le nôtre qui a une longue, très longue, trop longue tradition de bâillonnement de la presse, de violences contre les médias, leurs antennes, leurs émetteurs, leurs locaux, la personne des journalistes et les responsables de presse.
Des cas célèbres jalonnent notre histoire. Une cellule de prison des plus inconfortables porte le nom, au Pénitencier national, d'un de nos journalistes des plus célèbres : Joseph Jolibois. Gasner Raymond habite les livres et l'oeuvre de Dany Laferrière, mais justice ne lui a jamais été rendue. La voix de Jacques Roche hante encore tous ceux qui sont contre la liberté de la presse, et la famille de Jean Dominique désespère de voir la fin d'une enquête qui se poursuit depuis dix ans.
Pour ne citer que ces cas et oublier les épisodes moins malheureux mais tout aussi délétères, on peut dire, sans forcer le trait, que la presse ne navigue pas sur un fleuve tranquille en Haïti.
La prédiction-interrogation du président Préval mérite d'être rendue publique au moment où l'élection présidentielle entre dans ses dernières semaines, sans que les candidats aux différentes fonctions électives n'aient fait foi de respecter ce que l'homme de Marmelade a patiemment construit : une relation de tolérance envers la presse.
Aujourd'hui, il faut que justice soit rendue à René Préval, ici, sans doute plus qu'ailleurs - nous sommes le seul quotidien du pays - quand on affronte tous les jours dans les rédactions les tonnerres - pas encore les foudres - des amis, parents et partisans de candidats qui sont mécontents d'un titre, d'une phrase, d'une photo, du ton ou des présupposées intentions des journalistes qui veulent imposer leur point de vue à tout prix.
Il faut les entendre pour y croire et déjà deviner comment l'environnement de la presse risque de changer après Préval. Chaque camp rêve d'avoir à son service un empire médiatique ou des sujets consentants, comme si une presse docile pouvait leur construire une belle image ou des médias aux ordres, une bonne presse.
A la veille de l'arrivée du cyclone Tomas qui s'annonce dévastateur, en pleine crise du choléra, dans une capitale-république dévastée par le tremblement de terre du 12 janvier, est-il de bon ton de se plaindre ou de s'inquiéter pour si peu ?
Oui.
La campagne des candidats, pour toutes sortes de raisons - dont celles citées ci-dessus et pour d'autres propres à la dynamique politique actuelle - ne décolle pas. Si les élections se tenaient ce dimanche, on irait, sans doute, vers un inédit deuxième tour. Alors il faut chercher des boucs émissaires et la presse est toute trouvée comme responsable de chaque grain de sable qui entrave la marche vers le pouvoir des uns et des autres.
En fait, la presse n'est utile que libre, mais il faut avoir blanchi au pouvoir pour finir par le comprendre. Il faut avoir du millage pour prendre sur soi de laisser dire et de ne pas succomber aux premières tentations de représailles ou de mise au pas.

Frantz Duval
duval@lenouvelliste.com

http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=85301&PubDate=2010-11-03

Commentaire
Ce rappel, il est vrai, n'est pas inutile mais ce n'est pas un cadeau, c'est un droit de la presse d'être libre. Faut-il récompenser le président Préval parce qu’au moins sur un point il a fait son devoir ? Bon, c'est vrai que cela le distingue de son prédécesseur!

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire