Il pleut sur les toits de fortune des sans-abri devenus plus pauvres après le tremblement de terre du 12 janvier. On parle d'ouragan, ils ne sont nullement inquiétés par ce sale temps.
Haïti: Une petite pluie fine, intermittente tombe sur la place du Canapé-Vert couverte d'abris de fortune. Les sans-abri ne s'inquiètent nullement de l'ouragan Tomas qui a déjà fait six morts environ dans nos villes de province.
Après le drame qu'il a vécu le 12 janvier, plus rien, juge Philogène Sergot, ne pourra l'atteindre. L'ouragan Tomas ne peut pas se mesurer à ses calamités quotidiennes : plaintes pour l'eau qui se fait rare, altercations pour les toilettes mal entretenues, coups de colère contre la marchande de fritures, qui transforme les salles de bains alignées sur le trottoir en poubelles. Et viennent s'ajouter aux épreuves de ce père de famille les longs jours sans pain.
« J'ai entendu des mégaphones claironner des annonces nous faisant croire que le vent pourrait emporter nos tentes. C'étaient des paroles. Quelle solution ces gens-là avaient-ils à nous proposer ? Ils sont venus avec leurs autobus et nous ont dit si nous avons des parents et des amis qui pourraient nous accueillir dans leur maison, ils allaient nous accompagner. C'était ça leur solution. Granmoun pa rete kay granmoun », dit Sergot, assis au pas de sa petite baraque construite avec des matériaux divers (bois, tôles, fer, prélart, bout de toile, caoutchouc, etc.)
Pour rien au monde Sergot, ce natif de Jacmel, ne bougera de la baraque qu'il a élevée en face d'une butte dont un écrin de verdure dissimule la maison où vivait naguère le président René Préval. « Aujourd'hui, qu'est-ce qui me fera peur ? J'ai perdu ma cousine, Fabienne Mézidor, étudiante en troisième année de médecine. Ma mère s'est cassée la jambe. Ma maison a été détruite », dit, navré, cet homme frisant la quarantaine qui s'accroche à son petit négoce de clairin et de cigarettes pour subvenir aux besoins de sa famille.
Au chômage depuis 1994, année où il a été révoqué de l'Autorité portuaire nationale (APN), Sergot s'est converti en maçon, cordonnier, ferrailleur et petit commerçant. Depuis quelque temps, son négoce l'oblige à rester cloué devant sa petite baraque.
La panique de Franétia
Coincée à huit dans une baraque avec sa mère, ses frères et ses soeurs, Franétia Sanozieu, 20 ans, est paniquée à l'idée que l'ouragan pourrait amplifier l'épidémie de choléra dans le pays. « Je suis tellement paniquée que chaque jour je bois du sérum oral que je prépare moi-même avec de l'aquatab, du sel et du sucre », dit-elle.
Sur sept enfants, il n'y a qu'elle qui a repris le chemin de l'école. Madame Vilcimé, sa mère, dit sacrifier les autres enfants au profit de Franétia pour deux raisons : sa fille est plus douée et son économie ne répond pas à ses obligations parentales. « Mon mari n'est plus lucide, errant par les rues, il ne peut pas me supporter », avoue-elle avec découragement.
Elève de seconde, Franétia dit avoir assez de courage pour travailler en vue d'aider sa mère. « Ce que je souhaite, c'est travailler. Je veux du travail dans ce pays. Je n'aurai pas honte de balayer les rues ou de gagner de l'argent grâce à des petits boulots dans les décombres. Cash For Work est le bienvenu pour moi », dit la jeune fille sur un ton décidé.
Beau gâchis de jeunesse
Même appréhension pour Dimy Lacouture (26 ans) et Luckenson Pierre (24 ans). Ces jeunes hommes estiment que leurs vingt ans sont un beau gâchis dans ce pays. Ayant planté leurs tentes sur la place Canapé-Vert depuis le 12 janvier, ils attendent qu'un État providence vienne construire un toit définitif pour eux. Sans profession, abandonnés à eux-mêmes, ces jeunes passent des journées médiocres à ruminer leur colère. Parler d'intempérie ne leur fait ni chaud ni froid; pour eux, le pire est déjà passé. « Ce qui est dur pour un jeune qui a toute sa force, c'est de ne pas pouvoir aller à l'école. Et quand on a arrêté d'y aller parce que les parents n'ont pas d'argent, on ne trouve pas de travail. Notre jeunesse se gaspille », se lamente Dimy, qui n'a pas repris le chemin de l'école après le séisme. Son ami, Luckenson, maçon de son état, au chômage comme beaucoup de jeunes qui vivent sur la place, espère se reconvertir dans Cash For Work.
Marchande de clairin, épouse de chauffeur de tap-tap, Suzanne Dorcilien, une native du Cap-Haïtien, est amère. « J'ai tout perdu : maison, argent et commerce. Je ne vois pas comment je vais redémarrer, moi qui bénéficiait de crédit dans ce pays. Je suis dépouillée, je n'ai rien à perdre. Ce n'est pas un sale temps qui me déboulonnera de la place Canapé-Vert », raconte cette femme qui balaie d'un revers de main toutes les précautions à prendre contre cet ouragan qui a volé la vedette au choléra.
Onze mois passés sous une tente, dans la promiscuité et la crasse, ont brisé tout espoir de cette femme de se relever . Elle a perdu toute assurance en elle-même. « Abattue comme je suis, je ne pourrai pas me relever de par moi-même. Avec quoi pourrai-je reprendre mon petit commerce ? Comment vais-je reconstruire une petite bicoque ? Parfois je rêve que l'État haïtien distribue de l'argent aux sans-abri. Et puis, j'ai la chance de recevoir cinquante mille gourdes. Avec cet argent, je commence à reprendre vie : mon petit commerce, mes trois enfants retournent à l'école. J'aurais aimé avoir ma petite bicoque comme avant le tremblement de terre », rêve tout haut Suzanne.
La petite pluie fine, intermittente tombe sur les abris de fortune des pauvres devenus encore plus pauvres après le tremblement de terre du 12 janvier.
Claude Bernard Sérant
serantcclaudebernard@yahoo.fr
Commentaire
Voilà où, comment et l’on sait déjà par qui, toute une génération s'use et se perd. Quel gâchis! Quelle impuissance, quelle honte d'avoir des politiciens qui phagocytent le peu de ressources d'un pays auquel ils ne daignent rien apporter! Solution? Tenter sa chance avec un autre chef mais aussi, entretemps, employer toutes les ressources de son imagination à former des groupes et à essayer d'inventer, de créer des solutions collectives. Naturellement, il serait démagogique d'ignorer que ceux qui ne se nourrissent pas convenablement peuvent difficilement penser avec calme pour arriver aux mêmes conclusions que nous, les privilégiés. D'où notre obligation morale de prendre l'initiative, de les encourager, de les accompagner!
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