Haïti: Le 7 février 1986, Jean-Claude Duvalier prit l'avion pour la France. Deux ans et quelques mois avant cette date, le régime avait entamé son déclin. Les projets se faisaient rares. Les grands amis d'Haïti de l'époque, dans une stratégie de contingentement, avaient diminué leur appui pour mieux provoquer la chute de la dictature.
De février 1986 à juin 1988, entre les versions du Conseil National de Gouvernement, les élections du 29 novembre 1987 noyées dans le sang et le coup d'Etat contre le président Leslie Manigat, exceptionnels sont les mois de quiétude et de progrès. Entre manifestations et répressions, l'édification de la nouvelle société pâtit des soubresauts de la transition.
Le coup des petits soldats qui amena le général Prosper Avril à la tête de l'Etat ne nous fit pas sortir de la logique de l'attente. Les grands projets souffrirent de l'absence de financement quand ce ne furent les grands desseins qui manquèrent. Les voies et les moyens ne rencontrèrent que rarement les rêves et les espérances.
En mars 1990, survint la chute d'Avril. La transition conduite par Ertha Pascal Trouillot n'eut qu'un seul point à son agenda : la tenue des élections. Ce que la première femme présidente du pays réussit, sans ingérence de sa part. Ce fut la réalisation majeure de son règne.
1991 commença en janvier par le coup de force manqué de Roger Lafontant, se poursuivit par l'intronisation de Jean Bertrand Aristide, buta sur la chute sanglante de l'ancien prête, avant de s'achever sous les premières formes de l'embargo de la communauté internationale contre Haïti.
Toute la période entre septembre 1991 et octobre 1994 fut marquée par une succession de gouvernements et une traversée de désert pour les projets. Nous ne pûmes rien construire de bon dans ces années-là. Faute de financement, faute d'ambition, trop prise par d'autres agendas, étranglée par les embargos et les luttes pour le pouvoir, Haïti fit du surplace, encore une fois pour la dixième année consécutive.
Le retour de Jean Bertrand Aristide et de l'ordre démocratique ramenèrent l'espoir et les projets. Cela ne dura pas. Il ne restait que quelques mois au président et les priorités étaient autres.
L'avènement de René Préval et de sa majorité pro OPL donna l'illusion que le développement pouvait commencer. La coalition lavalasso-lavalassienne échoua sur des divergences internes d'abord liées aux orientations économiques, puis sur les résultats des élections d'avril 1997, le tout sur fond de lutte pour le pouvoir.
Préval, sans réussir un parcours parfait, ne rata pourtant pas son mandat. Une route par-ci, une place publique par-là. Mais pas le décollage multisectoriel qui permettrait de répondre aux retards accumulés depuis des années.
En 2001, Aristide revint. La contestation née des élections de 2000 s'amplifia. Les bailleurs de fonds, toujours à l'affût de nos turpitudes, en profitèrent pour fermer la vanne de l'aide. Le mince filet se transforma en goutte-à-goutte. Les ONG montèrent en puissance et la planche à billets permit au gouvernement de financer ses actions mais peu de projets structurants.
En 2004, les deux cents ans de notre indépendance se confondirent avec un déchirement sociétal. Deux ans de transition conduite par le tandem Alexandre-Latortue qui succéda à Aristide - parti précipitamment le dernier matin de février - n'aboutirent pas à grand-chose. Entre le chaos de la contestation et la faible légitimité de cet énième gouvernement provisoire, peu de chantiers furent mis en oeuvre.
En 2006, c'est un René Préval triomphant qui revint au pouvoir. Pendant trois ans, il conduisit une politique prudente de conciliation et de consensus pour avoir la paix avec ses rivaux et, dans certains cas, parvint à en rallier plusieurs à son point de vue.
Le prix de la paix fut lourd. L'immobilisme et l'attentisme s'installèrent dans plusieurs secteurs. Quand enfin, ayant conduit toutes les réformes exigées par les institutions internationales, maîtrisé l'inflation et les dépenses publiques, convaincu des investisseurs de voir en Haïti un marché, fort de l'appui de Bill Clinton, le 12 janvier, la zone métropolitaine fut dévastée par un violent tremblement de terre. D'autres villes dans deux autres départements subirent aussi ce coup du destin.
Cette catastrophe naturelle fut une de plus d'une longue liste de cyclones et d'ouragans qui avaient fait leur lot de dégâts et de morts, même si rien ne peut être comparé à l'hécatombe du séisme.
Depuis, c'est un pays affaibli par des décennies de sous-investissements qui affronte la plus grave crise de son existence. C'est un pays mis à l'index par les bailleurs de fonds, torturé par ses amis, empêtré dans le choléra et les manifestations violentes de ces derniers jours qui se prépare à aller aux urnes le week-end prochain.
Rien ne va. Rien ne marche. Parce que depuis des années nous excellons à pratiquer la politique du pire et à prêter le flan aux sanctions multiformes de nos amis.
Les élections qui s'annoncent le 28 novembre sont une nouvelle occasion de payer moins cher une transition, de faire la rupture ou de consolider les acquis. Allons-nous saisir cette opportunité ou la convertir en un nouvel épisode de notre déchéance ?
Frantz Duval
duval@lenouvelliste.com
http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=85843&PubDate=2010-11-19
Commentaire
Question philosophique qui semble tres sincère. Cette sincérité est certainement partagée par plus d'un en Haïti et ailleurs, mais vraiment, qu'arrivera-t-il? Voilà la grande question à laquelle nous voudrions tous avoir la réponse. Il ne nous reste qu’à attendre et à accomplir notre devoir citoyen de voter. C'est la dernière chance pour éviter le vide, le précipice.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire