Haïti: Couronné des lauriers de la gloire après un long parcours littéraire, Dany Laférrière est aujourd'hui consacré grand écrivain par l'un des plus prestigieux prix littéraires Français. Ses lecteurs fidèles ont suivi chacune de ses ratures, chacun de ses textes pour essayer d'apprivoiser le mystère de ses créatures de fiction qui résistent farouchement à cette tentative de démolition de l'oeuvre fictionnelle à coup de lecture, au regard de la critique. Déconstruire l'oeuvre dans une démarche de compréhension de la construction de la conception psychologique et physionomique des personnages dont les retours ne sont guère inutiles, Da, la grand-mère, Marie, la mère, Gasner Raymond et Marcus, les amis, le départ, le retour, l'enfance, l'exil.
Les matériaux du « Mentir vrai » de Laferrière, complices de sa lucidité et son ingéniosité participent à l'inventivité fictionnelle très proche de la réalité. Il s'essaie à une représentation du réel quelque peu contradictoire à la démarche de Roland Barthes dans « Leçon », paru aux Éditions du Seuil, 1978. Selon Barthes « Le réel n'est pas représentable par des mots, et c'est parce que les hommes veulent sans cesse le représenter par des mots, qu'il y a une histoire de la littérature ». Laferrière prend possession du territoire de la littérature avec tous ses bagages, ses fantasmes, ses lambeaux de rêves d'enfance, le drame national, l'enfer de l'exil... Il donne une liberté presque subversive à son écriture en perpétuelle compagnonnage avec le réel : « L'écriture est une parenthèse de bonheur, un territoire où l'on peut faire ce qu'on veut. (...) Le monde littéraire que j'ai créé est un monde inventé avec des choses vraies, avec la réalité. D'ailleurs, ma première vision de la littérature, c'était qu'on pouvait inventer quelque chose, faire de la fiction avec tout ce qu'il y a de plus vrai. Et plus c'est vrai, plus on est dans l'imaginaire. C'est pour cela que mes livres sont si collés à la réalité et, en même temps, tellement dans l'imaginaire ».
L'effet « Médicis » n'est pas resté sans influence sur le lecteur. A l'initiative du Nouvelliste, Dany Laferrière, s'est entretenu le 5 juin dernier avec plusieurs dizaines de membres de son lectorat haïtien et des curieux et des journalistes, au Villate, à Pétion-Ville. Cette conférence a été l'occasion pour Dany de faire une traversée de l'histoire d'une littérature qu'il construit au quotidien. Si l'on formule la problématique selon une terminologie empruntée à Bourdieu, c'était presqu'une tentative de « redéfinir » le champ de ce qui constitue le littéraire.
Placée sous le signe du parcours, cette conférence suit le mouvement d'une écriture voyageuse. Voyageuse, dans le sens qu'elle fait intervenir des Signes appartenant à des univers culturels hétérogènes, mais aussi parce qu'elle fluctue suivant la position géographique qu'occupe le narrateur, qu'à travers laquelle Dany voit dans ses neuf premiers romans une autobiographie américaine. Écrire en Amérique du Nord, en Haïti, ou encore dans cet espace fantasmatique appelé aujourd'hui l'"entre-deux-langues", ne commande pas les mêmes stratégies narratives ni ne suscite les mêmes préoccupations chez l'écrivain. Les stratégies de défense de son livre dans les médias présentent également des particularités.
A cette causerie littéraire, temps de partage et d'échange, Dany a partagé avec l'assistance sa technique d'écriture, bien qu'il se croie un écrivain de l'image qu'un écrivain de l'écriture. Des conseils ont été prodigués à ceux qui veulent se lancer dans le métier d'écrivain : « Écrire est un métier, c'est-à-dire que vous ne pouvez pas devenir écrivain si vous ne le concevez pas comme quelque chose que vous voulez entreprendre vraiment ». Selon l'auteur, son écriture tend vers un éclatement du style en dehors des limites du conventionnel « Le style, ce n'est pas forcément bien écrire, mais plutôt faire entrer dans ce qu'on écrit sa personnalité(...). Il faut donner un titre qui fait rêver le lecteur. Il faut que ce titre ait une correspondance avec le livre », avait-il précisé.
Son sens de la méthode était remarquable. Dany était heureux et généreux.
Les questions venaient de toutes parts sur chacun des sous-thèmes que l'auteur explorait minutieusement. Cette conférence prenait de plus en plus l'allure d'un atelier d'écriture où l'auteur du roman « Le goût des jeunes filles » maniait à son gré, dans son calme habituel, sans excès d'éloquence et sans académisme, ses connaissances expérientielles de la préparation d'un manuscrit et ses conseils sur la relecture et la prise de note, nécessaires aux athlètes intellectuels, les stratégies de défense d'un livre dans les médias et chez les libraires, le pouvoir ou la force de la vérité, même dans l'écriture de fiction. Effet contrastant.
A cette causerie autour de la littérature, Dany Laférrière a étayé sa vision matérielle de l'écriture ; comme un acte physique : « l'écriture est un travail professionnel, il faut avoir des cahiers de note, des matériels pour écrire. C'est une affaire physique. Il faut savoir quand on est beaucoup plus en forme pour écrire, c'est-à-dire, est-ce que c'est le matin, est-ce que c'est le midi, est-ce que c'est le soir, parce qu'il y a une différence entre prendre des notes et écrire, parce qu'on peut prendre des notes n'importe quand, mais écrire, il faut le faire dans un minimum d'état de grâce. « Quand je commence à écrire un livre, je commence à voir combien de pages que cela pourrait avoir(...), j'essaie de concevoir l'objet dans ma tête. Quel type de livre que je vais faire. Par exemple quel type de livre je vais faire pour « Tout bouge autour de moi », j'ai dit que je vais écrire des notes courtes qui puissent toucher le lecteur à bout portant, mais en même temps aussi, je voudrais que ce soit un peu intime. Il me faut créer une émotion nouvelle à travers ce que j'ai vu. Je dois insérer à l'intérieur des textes intimes le drame national ».
Ce sont des choses qui font comprendre que la littérature n'est pas une chose d'inspiration seulement, c'est une affaire de travail. C'est aussi une affaire de précision. Le souci de dire vrai est tout aussi important dans l'écriture de fiction. « Il faut que j'aie confiance en mes sentiments. Le but de tout cela, c'est d'abord de comprendre l'écriture comme un travail et ensuite d'économiser ses forces ».
Autant d'approches importantes qui ont soulevé des questions pertinentes de l'assistance composée également de jeunes écoliers.
Dany Laferrière traduit dans son oeuvre l'universel et les soubresauts de la dure réalité de son pays d'origine, la férocité du déracinement toujours tenu en échec dans une oeuvre éclatante faite de réminiscences, avec Petit-Goâve en contre bas. La phénoménologie de l'image et de l'espace joue un rôle prépondérant dans son oeuvre : « Le coeur de ma littérature c'est l'enfance, c'est pourquoi quand on me demande de quel endroit je parle, je dis toujours que je parle à partir de mon enfance ». Une littérature d'ancrage sociologique et politique, laquelle fait remonter sur telle page le temps infernal de la dictature des Duvalier qui emporta son ami Gasner Raymond, dont le nom revient dans chacun de ses livres, soit comme dédicace ou dans les propos d'un narrateur dont l'identité évolue de concert avec l'expression littéraire de Laférrière. Plus qu'une simple coïncidence, cette double progression s'effectue dans un rapport de causalité, car au fur et à mesure que l'auteur investit son travail romanesque d'une sensibilité créole, l'histoire personnelle du personnage se précise.
Dans son roman « Le cri des oiseaux fous » paru chez Lanctôt Éditeur, l'auteur se souvient avoir bu à la coupe amère de l'exil : « Père et fils présidents, père et fils exilés ».
L'auteur de « Tout bouge autour de moi », le premier roman témoin de la catastrophe épouvantable du 12 janvier dernier, Dany Laférrière, semble prendre au mot la célèbre définition du Dr Jean Price Mars de haïtien, « haïtien, un peuple qui chante et qui souffre, qui peine et qui rit(...) ». « Tout bouge autour de moi » est incontestablement un constat d'échec de notre histoire à travers le sens de humanité et la générosité de l'auteur, lui aussi échappé belle à l'hécatombe. C'est cette histoire qu'il racontait également à son auditoire du Villate.
Il ne s'agit pas de faire une apologie de la littérature, ni une tentative de considérations théoriques, mais plutôt une appréciation de l'oeuvre d'un homme qui a su construire un discours autour de sa création.
La littérature de Dany est une littérature de la déchirure et de l'attente, de l'étonnement, du cri et de l'éparpillement. Son Je, loin d'être une confession intime, n'est qu'un collectif. Il voit Petit-Goâve d'un côté, Haïti et Québec d'un autre. Il y a chez Dany des thèmes obsessionnels. L'angoisse du dire bien et du dire vrai.
Il faut admettre, dorénavant, que l'oeuvre fictionnelle de Dany se caractérise par sa pleine maîtrise des procédés rhétoriques traditionnels et modernes que par son immense répertoire thématique, une oeuvre de mémoire qui nous rappelle un vers du célèbre poète et diseur haïtien, Anthony Phelps, dans « Motifs pour le temps saisonnier » paru en 1976,
« Toutes les villes du monde se ressemblent quand on a son pays dans la tête » (p.45).
Si les termes sont à la fois leitmotiv et obsessions, ils sont par ailleurs traités avec un rare sens de l'art narratif moderne. Pays, exil, enfance, ville...autant de signifiants et signifiés qui sans cesse traversent son oeuvre. C'est ce qui donne tant de fascination à son univers fictionnel.
Toussaint Jean François
toussaintjeanfrancois@yahoo.fr
http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=83336&PubDate=2010-09-20
Commentaire
Il est vrai que Dany a donné une autre dimension à la littérature haïtienne, surtout à l'extérieur du pays. Mais il serait injuste de ne pas le placer à côté d'un autre, un aîné dont il a pas mal appris, qui n'a pas moins fait pour la littérature haïtienne et pour le pays tout entier: Franketienne.
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