samedi 25 septembre 2010
Débat
Par Leslie Péan*
Soumis a AlterPresse le 25 septembre 2010
Les thèses de Noam Chomsky et d’Edward Herman [1] sur la fabrication du consentement à partir des médias « en symbiose » avec le statu quo, viennent de trouver une parfaite illustration dans les menées réalisées par l’empire et ses valets pour neutraliser l’artiste Wyclef Jean. Il s’agit de ligoter ce dernier avec les ficelles invisibles de l’abêtissement généralisé d’un système qui condamne à vivre sans être. Désorienté par les déclarations du 14 septembre 2010 de Wyclef que son engagement pour Haïti s’inscrit dans la durée, la monumentale machine à broyer s’est mise en marche. Pressions commerciales et médiatiques se dressent dans le champ de la vie de l’artiste pour le frapper. Pour empêcher que la beauté et l’intelligence de sa conscience fleurissent. En lui souhaitant bon courage pour poursuivre le combat contre le système archaïque d’exclusion qui l’a éliminé de la course présidentielle, il s’agit de capter ce moment de sa révolte dans ce qu’il a d’éternel. Pour contribuer à permettre à tout un chacun de se libérer de ce qui l’entrave, le trompe, l’endort afin de se distancier des ombres de l’enfer. L’exemple de Wyclef est contagieux et comme le dit Chomsky, « le pouvoir ne souhaite pas que les gens comprennent qu’ils peuvent provoquer des changements. »
Les artifices des secteurs conservateurs et réactionnaires de la communauté nationale et internationale pour maintenir le peuple haïtien dans un état de zombification vont bon train. Le scénario consiste à tout faire pour maintenir en selle le gouvernement Préval à travers le successeur qu’il se sera choisi. La dictature imposée par Préval piétinant la Constitution et hurlant avec les loups pour ne pas organiser les élections quand elles devaient alors avoir lieu ou pour faire des élections frauduleuses ne suffit pas pour porter l’ONU et les gouvernements américains et européens à boycotter ce gouvernement. De même, les millions de dollars disparus sans laisser de traces ne sont pas suffisants pour porter les bailleurs de fonds à se désolidariser de ce gouvernement. Même le crime de Robert Marcello en janvier 2009, directeur de la Commission des Marchés Publics, ne suffit pas à altérer le caractère sacro-saint du soutien à Préval. Sa fille Daphnée Marcello exprime son étonnement en disant « je comprends mal que son enlèvement n’ait pas suscité une grande mobilisation des autorités … » Les silences sur toutes ces questions sont révélateurs du fonctionnement de la société haïtienne sous la houlette d’une communauté internationale qui tient à se tenir à l’écart de ces faits.
L’effet téflon contre le cortège de haines et de rancœurs
Il y a dans le vocabulaire politique du Québec une expression qui va comme un gant à Wyclef Jean depuis son entrée fracassante dans l’arène électorale haïtienne : l’effet téflon. Quand les accusations, fondées ou non, la médisance, la calomnie, le renseignement, la désinformation ne peuvent rien contre la cote d’amour d’un candidat à une fonction élective, les commentateurs et analystes québécois disent que ce dernier a l’effet téflon. Dans la course électorale qui se déroule actuellement en Haïti, aucune expression ne reflète mieux la manière dont Wyclef Jean a résisté aux attaques tous azimuts lancées contre lui depuis la non moins spectaculaire sortie de l’activiste américain Sean Payne jusqu’à sa disqualification par le Conseil électoral. Et brusquement les prophéties et mises en garde des cassandres se sont tues faisant place aux chants des sirènes. À preuve l’invitation faite à Wyclef de s’asseoir à la table des grands à New York le jeudi 23 septembre.
Le scénario de zombification gauchiste pour contrôler le pouvoir politique a été ébranlé par la candidature de Wyclef Jean qui a défrayé la chronique et fait sortir toutes les haines accumulées contre les exclus. Rejetant les pesanteurs des structures qui lui dictent sa place dans la société, Wyclef estime qu’il mérite une autre place et décide de présenter sa candidature à la présidence. Il n’a maille à partir avec personne et croit que son destin est entre ses mains seulement. C’était sans compter avec les préjugés de l’espace-temps haïtien qui pense qu’un tel projet est insoutenable. Aussi les apriori et les clichés se sont déversés sur lui avec leur cortège de haines et de rancœurs. Wyclef est devenu l’intrus et l’envahisseur. Mais tout comme les aliments ne collent pas au revêtement téflon des ustensiles de cuisine, les médisances des partisans du système archaïque haïtien ne collent pas sous l’effet téflon de Wyclef. Un système basé sur l’exclusion de ceux qui n’ont pas un langage châtié, ne s’habillent pas comme eux et qu’ils estiment dès lors être incapables de concevoir un noble dessein pour Haïti.
Détourner la jeunesse de la politique
La dictature obscurantiste duvaliériste a tout fait pour que les jeunes s’éloignent des études sérieuses et adoptent une forme ou une autre de je m’en-foutisme ou de fatalisme dans leur comportement quotidien. Pour cela, la politique du divertissement musical a été encouragée. Dans un tel contexte, mini-jazz et orchestres fleurirent comme des champignons après la pluie au point que même Jean-Claude Duvalier avait son petit orchestre. La musique pop était vue comme un opium pour endormir la jeunesse et la détourner de la politique. Les choses de la cité étaient donc délaissées aux mains d’ignares et d’assassins qui devenaient ainsi des modèles pour la jeunesse. Les tontons macoutes ont conduit les jeunes à délaisser le livre au profit de la guitare et de la bouteille. La culture de la fête, de l’alcool et du jeu (la borlette) est mobilisée pour tenter d’effacer la crise politique et économique dans l’imaginaire collectif.
C’est la continuation du modèle de Las Vegas promu aux temps de la grande crise de 1929 ou de l’alcool à gogo, comme le fit le colonialisme belge au Congo, tout en bloquant l’accès des Congolais à l’université et aux études supérieures. Mais, dialectique des choses, par un juste retour du balancier, c’est dans les milieux des bars que la conscience nationale prend naissance avec Patrice Lumumba, directeur des Brasseries du Bas-Congo, pour organiser et propulser le mouvement d’indépendance de ce pays africain qui deviendra indépendant en 1960. Les dictatures pensent détourner la jeunesse de ses préoccupations essentielles concernant son instruction et son avenir en la noyant dans des réjouissances festives. En Haïti, les successeurs de la dictature duvaliériste continueront à imposer à la jeunesse le mutisme en lui inculquant des fausses valeurs. Mais la candidature à la candidature des musiciens semble inaugurer une rupture qui dérange bien des mentalités.
La revanche d’une radicalité
La musique devient alors un espace de liberté. Avec une posture rebelle et moins respectueuse de la morale des puissants. La fête continue. Mais des trouble-fêtes interpellent sur des sujets sérieux. En ce sens, Wyclef Jean incarne le dynamisme et la réussite du self-made man pour une jeunesse qui a été sacrifiée, marginalisée et qui rejette la société. Wyclef symbolise cette revanche d’une radicalité primitive qui a pleuré massivement Ktafal, Dade et Déjavu des Barikad-Crew en juin 2008 [2]. Avec une musique qui swingue et qui accroche dès la première écoute. Avec une guitare incisive, Wyclef et Micky mettent en valeur un potentiel. À la recherche d’un enchantement, ils débordent d’énergie et revendiquent l’ambiance inclassable d’un plumage pour un autre ramage. Entre hip-hop et compas, leur esprit créatif bouillonnant se déverse en abondance. Qu’on écoute le dernier titre pimenté, dé-rap-ant, de Wyclef intitulé « Préval Fout Mwen Kanè, Map Konteste, Se Pèp La Yo Bay Kanè . » Des paroles qui collent bien à la tragédie que vit actuellement le pays.
En gardant sa cote de vedette, Wyclef donne à rêver à cette frange importante de la population, la jeunesse victime de la politique tonton-macoute de dévalorisation de l’éducation revue et augmentée par Préval. Une jeunesse qui pose des questions à une société et auxquelles cette dernière n’a d’autres réponses que la médiocrité. Les jeunes ne croient plus à aucune recette. Du moins pas celles qu’une politique de la démence duvaliériste puis populiste lui offre dans un milieu où tout est faux et obsolète. Wyclef n’a pas réagi comme il aurait pu le faire à la décision arbitraire du CEP de rejeter sa candidature à la candidature. Mais le président Préval n’a pas malgré tout le cœur tranquille.
Wyclef encaisse et dénonce Préval comme un « Lucifer ». Du même coup, dans son message en créole du 14 septembre, il annonce qu’il reste sur la brèche pour que les choses changent. Le risque de pérennisation de l’action de Wyclef dérange les garants du système politique archaïque. Wyclef est invité par la fondation Clinton à Manhattan le jeudi 23 septembre 2010. S’il décline pour ne pas se retrouver côtoyant Lucifer, il renforce les préjugés contre lui. S’il accepte l’invitation, l’agencement est fait pour le travail de manipulation de l’opinion par leurs agents patentés. Dans les deux cas, le tour est joué et les journalistes de la désinformation ont la partie belle pour semer la confusion dans les esprits en évoquant le rapprochement de Wyclef avec Lucifer. La tâche assignée à une certaine presse est de banaliser Wyclef et de donner une mauvaise image de lui.
Contre les techniques fascistes de manipulation de masse
Mais les manœuvres des agents du président Préval et de certaines personnalités internationales dans la presse pour contrôler la réalité haïtienne en présentant Wyclef comme un allié de Préval ont piteusement échoué. En effet, Wyclef a répondu du tac au tac à cette manipulation en disant le jeudi 23 septembre 2010 sur Radio Kiskeya qu’il n’a pas abandonné la politique et qu’il est "à la fois un artiste et un leader politique » [3]. L’offensive menée pour discipliner Wyclef fait partie des basses manœuvres des milieux conservateurs internationaux pour corrompre l’opinion publique avec les techniques élaborées par Edward Bernay [4] et Harold Laswell [5] pour « discipliner les esprits du peuple » en altérant la réalité à travers la dissémination de fausses informations et la « gestion gouvernementale de l’opinion. » Des techniques fascistes de manipulation de masse à travers la presse qui ont servi à inspirer Hitler et Goebbels, son chef de propagande.
Wyclef enlève le sommeil à la réaction nationale et internationale quand il « dément tout retrait de la vie politique et croit même pouvoir jouer un rôle dans les prochaines présidentielles » [6]. Les élections programmées pour le 28 novembre, si elles ont lieu, ne vont pas se jouer sur du velours. Le président Préval ne contrôle rien dans son propre camp. Les rivalités s’affichent au grand jour là où il n’y avait que des réticences. D’un autre côté, pendant combien de temps les réactions haïssables produites par les mesures unilatérales du gouvernement Préval pourront-elles être contenues ? On aurait tort de croire que l’absence de récriminations ouvertes contre les troupes de la MINUSTAH signifie que ces dernières ne sont pas détestées par les Haïtiens.
La division du travail entre la réaction nationale et les milieux conservateurs internationaux est un mode d’organisation de la gouvernance mondiale visant à assurer la stabilité d’un statu quo contre le peuple haïtien. Les tâches sont partagées entre ces deux groupes nationaux et internationaux au détriment de la justice. Les forces armées internationales peuvent se permettre de faire n’importe quoi et revendiquer ensuite l’immunité du personnel diplomatique. Le peuple haïtien se doit d’être vigilant. Il doit s’organiser afin de venir à bout à la fois de la force des troupes de la MINUSTAH et de celle du contrôle de l’opinion que des médias aux ordres veulent imposer. L’effet téflon de Wyclef Jean est sans aucun doute la preuve que le peuple haïtien est en train d’acquérir l’autonomie de jugement sans lequel il ne pourra saisir les vrais enjeux du moment ni prendre en main sa destinée dans un avenir. Prévisible.
* Économiste, écrivain
http://www.alterpresse.org/spip.php?article10037
Commentaire
Treve de plaisanteries! Les intellectuels haitiens, parfois d'une lucidite eclatante, quelquefois se lancent dans une serie de chevauchees rapides et etourdissants dans des voies si tortueuses qu'on se demande si celui qu'on a lu hier est le meme qui s'exprime aujourd'hui. Leslie Pean, brillant economiste, penseur d'un militantisme tel qu'on a voit si peu aujourd'hui, nous a habitue a une eloquence qui transpire jusque dans ses ecrits. Or voila que cet homme brillant nous lance le defi de chercher en vain les moyens de defendre deux ou trois de ces theses qui rendent la tache assez inconfortable. D'abord la reaction de Wycleaf Jean apres sa desapprobation par le CEP. Si celui qui dit aimer Haiti ne comprend pas que, pour tres peu institutionnalise que soit le pays, il a une constitution. Pour peu pratique et bornee qu'elle soit, elle a une fonction qui devrait etre respectee par tous, tant qu'elle n'aura pas ete amendee. Ne pas accepter son verdict, c'est ne pas vouloir jouer selon les regles. Dans de telles circonstances, et avec toutes les ressorces dont dispose Wyclef Jean, Qui sait ce a quoi ce pays s'exposerait si les force de la MINUSTAH n'etaient pas sur le terrain.
Et puisque nous y sommes, parlons de cette force de la MINUSTAH! Notre compatriote Pean, ce penseur dont nous sommes fier, nous dit que ses membres ne sont pas aimes en Haiti par tous. Ce qui est vrai. Mais leur presence meme n'est-elle pas une garantie, une protection contre le chaos qui y regnerait si nous etions encore dans l'environnement que nous ont inflige les "Zenglendos", les "chimeres" et autres vermines sociales telles qu'on n'en trouve qu'en Haiti?
Mais il y a encore une autre contradiction qui nous surprend venant de cette personne que nous apprecions. Si Duvalier a utiliser l'art, la musique dans ce cas, pour abetir le peuple, pour le priver de la conscience de son etat, par quelle magie une instauration actuelle de cette meme realite, par Wyclef Jean ou Sweet Micky conviendrait-elle a Haiti? Est-ce parce que ces personnes qui s'improvisent politiciens sont loin de la politique donc sont mieux qualifiees pour faire de la politique? Soyons plus calmes! Reprenons les choses ou nous les avons laissees depuis Duvalier. C'est a dire, ayant vecu un regne de stabilite (celle qui est caracteristique de toute dictature,)on aurait pu, sans cautionner les moyens qui nous y ont conduits, maintenir cette stabilite positive qui nous a conserve une monnaie-et la Leslie Pean l'economiste peut nous apprendre beaucoup de choses-pendant des decades au taux de 5 gourdes pour 1 dollar. Mais ce n'est pas tout. Pendant le regime de Duvalier, s'il est vrai que les tontons macoutes, ces detestables assassins du peuple, faisaient la pluie et le beau temps en matiere de police, celle ou precisement ils ignorent absolument tout, nos dirigeant etaient en general, des gens qualifies. Rejetons toute forme de dictature mais retenons ce qu'il y a de positif.
Finalement, lorsque Wyclef Jean s'identifie au peuple pour dire que ce n'est pas lui qui a ete rejete par le CEP, mais le peuple, de quel peuple s'agit-il? A-t-on des preuves que ce "peuple" dont il parle vont au dela du petit groupe qu'il nourrit tant soi peu chaque fois qu'il les voit ou chaque fois que ces personnes s'adressent a sa fondation? Dire qu'il ne fait rien serait tout aussi mentir que de dire qu'il sauvera Haiti. Ce ne sont pas ceux qui courent le risque de voter avec leur ventre qui pourraient decider de l'avenir d'Haiti. Et ce ne sont pas ceux qui les utilisent comme de simples instruments qui feront quoi que ce soit en Haiti. Je pensais que cela etait evident. C'est aussi vrai que si un etre humain est porte a dependre de ces promesses et solutions extremes pour ne pas mourir de faim, la societe entiere est responsable. C'est honteux, et nous devons tous assumer cette honte, que des gouvernements successifs fassent de nos peres de familles, des femmes de notre pays et de nos enfants, des instruments politiques aux mains du premier venu parce qu'ils n'ont point d'alternative. Mais c'est aussi une responsabilite des intellectuels de ne pas induire le peuple en erreur et de ne pas projeter cette image de legerete qui s'expose dans le discours etonnant d'un homme qui a tant de choses a nous apprendre comme Leslie Pean!
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