Haïti joue gros cette semaine à New York. Pour faire le point sur la stratégie du gouvernement, le Premier ministre Jean-Max Bellerive a accordé un entretien exclusif au Nouvelliste. Comment financer la reconstruction, les besoins et les attentes du pays, le rôle du secteur privé local et international et la bataille pour recueillir les fonds des bailleurs. Autant de sujets abordés avec le Premier ministre.
Haïti: Le Nouvelliste : Quels sont les enjeux pour Haïti cette semaine à New York ?
JMB : Le principal enjeu pour Haïti, cette semaine, au cours des différentes réunions à New York, est de continuer à maintenir le pays au-devant de la scène internationale. Il y a deux événements majeurs qui se déroulent à New York : le Clinton Global Initiative (CGI) qui regroupe des gens de tous les milieux du monde entier : hommes d'affaires, investisseurs, ONG, acteurs politiques ; et l'Assemblée générale des Nations unies à laquelle prendront part beaucoup de grandes personnalités, incarne aussi le monde entier.
Il était important que le Premier ministre, le coprésident de la CIRH, soit présent pour expliquer ce qui a été fait en Haïti et ce qui reste à faire afin de pouvoir garder la mobilisation et surtout rendre plus efficace le travail qui est en train d'être fait aujourd'hui sur le terrain.
L N: Lundi dernier a eu lieu une réunion spéciale de la CIRH, pouvez-vous nous en faire un bilan ?
JMB: Dans le cadre de la venue à New York de tout un ensemble de chefs d'Etat, de chefs de gouvernement, de ministres des Affaires étrangères et autres responsables, il était important pour nous de leur faire savoir deux choses : premièrement, parler des fonds déjà décaissés qui sont en-dessous de l'espérance du gouvernement haïtien, de la CIRH et de beaucoup de partenaires ; et deuxièmement, leur expliquer qu'il faut redéfinir, repenser la mission et le rôle de la CIRH vis-à-vis des vrais financements nécessaires pour Haïti.
Je leur ai dit que 5.5 milliards de dollars sur trois ans, cela représente 1.8 milliard par année. Divisés par 10 millions d'Haïtiens, cela vous fait 180 dollars par Haïtien l'an. Et, c'est de l'argent qui est promis pour le développement qui n'est pas encore arrivé. Voici ce qu'on a sur la table pour faire l'éducation, les routes, la santé, les logements, etc. Si l'on regarde sur les 10 ans, c'est pire. Les onze milliards de dollars promis sur 10 ans, cela fait beaucoup d'argent, mais ne représente que 100 dollars par Haïtien par an.
Avec si peu de moyens, on ne va pas faire de développement. On peut faire de l'humanitaire, et, surtout, on peut faire la mise en place de l'environnement pour attirer le secteur privé qui va créer la richesse. Le message c'était; pendant que l'on doit continuer à faire ce que l'on fait, il faut avoir une meilleure coordination qui puisse permettre l'arrivée d'un secteur privé qui va investir dans le pays, créer de la richesse et du travail.
LN: C'est un nouveau paradigme qu'on met en place pour parler d'investissement massif par le secteur privé ? L'investissement privé représente une béquille dont nous avons besoin... ?
JMB: Le secteur privé sera même la béquille principale dans la reconstruction.
Il faut bien les deux béquilles, l'Etat et le privé, parce que les deux sont indispensables, pourvu qu'elles aient vraiment une coordination parfaite. Il ne s'agit plus de faire des routes pour faire des routes, il s'agit de faire des routes qui vont permettre le développement de l'investissement privé. Il ne s'agit plus d'avoir des initiatives dans l'agriculture qui soient déconnectées avec les besoins spécifiques dans telle ou telle zone. Donc, il faut bien comprendre quels sont les besoins du secteur privé.
Prenons en exemple le logement. Il est clair qu'on a un déficit d'environ 400 000 à 500 000 unités de logement dans le pays. Si je fais un calcul simple, au prix minimal de vingt mille dollars par logement qui, pratiquement n'existe pas aujourd'hui, multiplié par ces cinq cent mille logements, vous avez déjà dix milliards de dollars.
Cela signifie que la totalité des engagements qui ont été promis à Haïti pour les dix prochaines années serait consacrée au logement sans avoir de garantie que ce serait un projet soutenable. Parce que, ces gens qu'il faut loger, ont-ils les moyens de se payer un loyer ? Aujourd'hui, certainement pas. Donc, il faut de toute façon impliquer les banques, les compagnies d'assurances, les compagnies de construction.... dans ce plan de logement. Il faut que le plan soit soutenable. Il faut que les gens puissent payer un appartement, puissent payer une petite maison, puissent payer les services de base qu'ils vont recevoir.
Tout le monde parle de projet de construction. Il faut sortir les gens du Champ de Mars. Oui, il faut le faire. Mais, il faut le faire de manière soutenable. On a eu des expériences similaires dans le passé, sans citer aucun régime, de commencer des constructions, d'y placer des gens qui ne peuvent pas payer. Très vite le projet se transforme en une sorte de bidonville de luxe, où on ne peut plus construire.
Notre gouvernement s'est engagé à construire des logements pour 100 millions de dollars, mais 100 millions de dollars c'est à peine quatre mille logements. Et, on est en train de se battre pour trouver ces 100 millions. Donc, on va où avec ça ? Il faut impliquer le secteur privé qui doit trouver une rentabilité dans cette histoire. La rentabilité existe.
LN: Monsieur le Premier ministre, tous les membres du gouvernement, vous en particulier, vous vous déplacez beaucoup pour rencontrer la communauté internationale. Mais cet appel au secteur privé pour qu'il s'implique n'a pas encore été lancé en Haïti. Ce sera fait quand et où de façon formelle ?
JMB: Le secteur privé, je le rencontre en Haïti. Je voyage beaucoup pour aller rencontrer à l'étranger les secteurs qui ont les moyens et les expériences. Aujourd'hui en Haïti, est-ce qu'il y a un secteur privé qui a l'expérience, l'habitude de construire des appartements pour quatre mille, cinq mille familles ? Moi, je ne connais pas d'exemple. C'est tout un métier différent. Ce n'est pas construire une maison et la vendre et puis fini. Il y a aussi la question des terres (NDLR : de la multi propriété). Comment les notaires vont-ils donner un papier pour l'appartement 3 C du bloc D ? C'est un problème qu'il faut résoudre à l'intérieur d'Haïti.
Quand on parle d'un bloc de trois mille à quatre mille appartements, vous en avez partout dans la Caraïbe, cela demande des financements d'environ 160 millions de dollars. J'ai un secteur privé qui peut faire ces financements en Haïti ? Non. Les banques n'ont pas de reins solides pour faire cela en Haïti. Donc, elles doivent rechercher des partenaires à l'extérieur. Nous allons les aider à impliquer le secteur privé national. Mais la réponse à court terme n'est pas en Haïti.
LN: Monsieur le Premier ministre, vous avez eu aussi à intervenir mardi sur les Objectifs du Millénaire ; dix ans après leur lancement, quel est le bilan d'Haïti, pendant qu'on est en train de demander de nouveaux fonds ? Qu'est-ce que vous avez eu à dire pour les 10 ans qui se sont écoulés.
JMB: J'ai eu un discours mi-figue mi-raisin. Il y a des acquis extraordinaires qui ont été faits en Haïti dont on ne parle pas, mais qui sont la base du développement et très utiles pour la reconstruction du pays.
Premièrement, nous sommes dans une ère de stabilité. On considère cela comme un acquis, mais ça ne l'est pas. Cette stabilité est toujours fragile, alors que c'est le premier pas pour arriver à des investissements privés. Il y a tout un environnement macroéconomique mis en place qu'on a beaucoup critiqué, mais qui également est une condition sine qua non pour attirer des investissements privés en Haïti.
Personne ne va aller investir dans un pays où on ne contrôle pas l'inflation, où la monnaie n'est pas stable. Les gens ne peuvent pas calculer leur marge de bénéfice éventuelle dans une économie qui n'est pas contrôlée. Donc, il y a des efforts de base qui ont été faits et qui ont été permis par un travail continu qui a précédé le travail de ce gouvernement-là. Je vais plus loin, ce travail a commencé depuis 2004.
La mauvaise image d'Haïti est en train de changer, mais cela se fait très lentement. Il y a encore beaucoup de choses à faire et il faut encore améliorer la coordination avec nos bailleurs, mais également avec le secteur privé. Heureusement qu'on peut dire qu'aujourd'hui le secteur privé travaille en gros avec le gouvernement haïtien la main dans la main, puisque nous visons le même objectif : créer du travail, créer de la richesse.
LN: L'autre rendez-vous important de la semaine, vous l'avez dit, c'est l'Initiative Clinton qui tient son assemblée annuelle. Haïti y aura-t-elle une représentation ? Le Premier ministre ou le président y prendra-t-il la parole ? Y a-t-il un message que vous allez faire passer ?
JMB: Mon message sera le même et c'est le message important cette semaine : il faut trouver les moyens de rassurer le secteur privé national et international sur les possibilités de faire de l'argent en Haïti et de créer des richesses. Le gouvernement doit surtout apprendre à décrypter leurs besoins pour savoir de quoi ont-ils besoin pour pouvoir investir en Haïti.
On ne peut pas rester à leur faire des propositions sans savoir ce dont ils ont besoin. Pourquoi ils n'investissent pas en Haïti ? Ce sont eux qui doivent nous le dire, pour qu'on puisse s'adapter. Notre législation, nos procédures administratives et le fonctionnement que l'on a par rapport aux investisseurs qui viennent en Haïti sont-ils adéquats ? Les gens viennent en Haïti, ils ne savent pas à qui s'adresser, ni quelle est l'agence responsable de telle ou telle question...
Donc, il faut parler avec eux, comprendre leurs préoccupations, leurs besoins. C'est ce qu'on est en train de faire. Cela demande beaucoup de rencontres, beaucoup de voyages. Certains investisseurs font l'effort de venir en Haïti. Je crois que c'est à nous aussi de faire l'effort d'aller vers eux.
LN: Vendredi le président René Préval doit prendre la parole aux Nations unies. Vous savez le thème central de son message ?
JMB : Non, non, je ne veux pas anticiper sur le discours du président. Je sais de quoi il va parler, mais n'oubliez pas que c'est le dernier discours international de cette envergure que le président fera devant la communauté internationale. Je peux anticiper pour dire que ce sera un discours très politique.
LN: On est en train de reconstruire. Il y a de l'impatience chez ceux qui sont sous les tentes, mais en même temps il y a de l'impatience chez ceux qui voient que le gouvernement tarde à reprendre force. Qu'est-ce que le Premier ministre a à dire à ce sujet ? Il y a des ministères qui sont toujours logés dans quatre petites pièces alors que ce sont des ministères importants...
JMB: Ce qui est important, c'est le travail par rapport aux priorités. Il y a deux ou trois priorités majeures que je dois accepter et gérer. On doit mettre le maximum de ressources humaines, le maximum de moyens et d'équipements sur les attentes fondamentales de la population. Aujourd'hui, on peut faire ce qu'on veut, on peut avoir des super programmes agricoles, des super programmes dans l'éducation, dans la santé on vous mettra toujours en face 1.3 million de gens qui sont sous les tentes.
Quels que soient les efforts d'un gouvernement, tout sera toujours mesuré à l'aune de ce spectacle des gens qui sont sous les tentes. Donc, il faut adresser directement cette question pour que l'on puisse aller vers les questions de fond qui vont permettre le développement à long terme.
La réponse du développement n'est pas au Champ de Mars. Personne ne vous prendra au sérieux tant que vous aurez tous ces gens, là, sous des tentes.
LN: Est-ce que vous ne craignez pas que la situation difficile qui se déroule au Pakistan vole la vedette à Haïti et que les fonds promis n'arrivent jamais ?
JMB: C'est justement pour cela que le gouvernement est aussi massivement mobilisé. C'est pour maintenir l'attention sur Haïti. Je suis venu, le président va venir. J'ai participé à plusieurs réunions, j'ai donné beaucoup d'interviews pour maintenir l'intérêt sur Haïti. Je crois que c'est positif. Au contraire, les Pakistanais se plaignent.
Propos recueillis par Frantz Duval et Robenson Geffrard
Envoyés spéciaux à New York
http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=83872&PubDate=2010-09-22
Commentaire
Jean Max Bellerive semble avoir commence à travailler. Il s'y est pris en retard car tout son gouvernement ainsi que son supérieur hiérarchique le sont. Quand on a gaspillé dans un cas comme le tremblement de terre du 12 janvier tout le capital moral qu'on avait, on doit peiner pour le recouvrer. Et pour un dernier mot, était-il nécessaire de faire cette comparaison avec le Pakistan pour se donner le beau rôle? Ne faut-il pas respecter la douleur de l'autre? Soyons plus modestes surtout quand nos résultats ne parlent pas tres fort.
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