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mardi 14 septembre 2010

Ils sont en train de perdre leur dignité

Pour communiquer la nuit, la lumière est indispensable aux sourds-muets. Les gestes qu'ils font pour se comprendre ne sont pas malheureusement perceptibles dans le noir. Contre leur volonté et au mépris total de leurs droits, ils sont plus 400 familles de cette catégorie, regroupées dans un centre d'hébergement sur la route de l'aéroport, 400 familles qui, réduites au silence la nuit, font face à bien d'autres difficultés.
Haïti: Ils étaient déjà marginalisés et vivaient dans des conditions d'extrême précarité avant le puissant séisme du 12 janvier qui a détruit leur centre d'accueil pour la plupart, leur maison pour d'autres. Aujourd'hui, ils sont en train de perdre leur dignité humaine et leur droit de communiquer n'importe quand. Regroupés dans un centre d'hébergement sur la route de l'aéroport international Toussaint Louverture (à environ cinq minutes de la capitale), ils sont plus de 400 familles sourdes-muettes livrées pratiquement à elles-mêmes. La nuit, ils sont contraints au silence.
Interdiction totale d'allumer des bougies sous les tentes en plastique. Les conséquences pourraient être fatales.
Bertha Henri a 16 ans. Elle n'est pas sourde-muette, née, par contre, d'une mère et d'un père sourds-muets. Dès son enfance elle a appris la langue des signes pour pouvoir communiquer avec ses parents. Aujourd'hui, à ce centre d'hébergement où est logée toute sa famille, la demoiselle met sa double capacité - celle de comprendre le langage des sourds-muets et celle de l'utiliser pour communiquer - au service de sa communauté. C'est donc elle qui nous a permis d'interviewer les responsables de ce camp.
L'électricité reste et demeure depuis l'aménagement de ce centre le plus gros handicap des sourds-muets du camp communément appelé aéroport - piste. Les deux principaux responsables immédiats de ce centre d'hébergement, Mackenson Saint-Louis et Fils-Aimé Wilder, tentent quotidiennement d'éviter une catastrophe. « Une fois, quelqu'un a failli mettre le feu à sa tente. Une situation qui a créé la panique générale dans le camp », se souvient Mackenson dont les signes ont été traduits par Bertha.
« La nuit, seuls les plus chanceux, qui sont très rares d'ailleurs, possédant une lampe de poche peuvent se payer le luxe de communiquer, se désole-t-il. Pour essayer de nous faire comprendre, nous sommes obligés de gronder ou de faire du bruit. C'est une situation qui nous diminue encore davantage, alors qu'on a déjà le malheur d'être né sourd-muet en Haïti, dit-il avec le visage triste mouillé de larmes. Les responsables ignorent que nous sommes des êtres humains dans la société qui nécessitent pour vivre d'une toute petite attention. »
Le camp spécialisé des sourds-muets de l'aéroport- piste a été aménagé depuis le mois d'août, et Mackenson se vante d'avoir pu réunir, avec l'aide de quelques amis, 400 familles à besoins spéciaux. « Avec cette situation, je n'ai aucune fierté de les avoir réunis ici dans le noir et dans la chaleur », dit-il avec la jeune Bertha à ses côtés comme traductrice, pour lui et pour moi aussi.


L'eau qui rend malade

Le manque d'électricité n'est pas le seul problème auquel doivent faire face tous les jours les sourds-muets du camp aéroport - piste. La mauvaise qualité de l'eau qu'ils consomment n'est pas moins rabaissante. Cette catégorie à besoins spéciaux de la société se plaint également de la mauvaise qualité de l'eau dont elle dispose dans ce centre d'hébergement. « Nous n'avons pas d'eau potable à consommer. L'eau distribuée dans le camp est contaminée par je ne sais quoi. Elle occasionne des infections vaginales chez les femmes, des boutons sur la peau des enfants et la diarrhée », explique Bertha Henry. Continuer >
Malgré l'installation d'une machine pour filtrer l'eau dans ce camp, rien n'a changé, si l'on croit les déclarations de la jeune Bertha. Par contre, pour sa part, interviewé par le Nouvelliste, le technicien Jean Wilson Pierre, qui est chargé de faire fonctionner la machine à purifier l'eau, estime qu'il utilise de la haute technologie pour traiter le précieux liquide. Visiblement, il ne comprend pas ces effets secondaires après la consommation de l'eau dénoncés par Bertha.
« La machine que nous utilisons contient trois filtres. L'un d'entre eux - le filtre F - sert à débarrasser l'eau de tous les déchets qu'elle aurait accumulés dans le camp ou en venant au camp. Il rend l'eau claire et propre », explique Jean Wilson Pierre, soulignant qu'il utilise également un produit qui s'appelle ''alou'' pour rendre l'eau plus claire, si elle ne l'était pas.


Manger pour survivre


Le camp des sourds-muets sur la route de l'aéroport-piste reçoit le support de certains sourds-muets de la diaspora haïtienne des Etats-Unis. « Des sourds-muets de la diaspora envoient à certains d'entre nous des transferts d'argent ou d'autres formes de support. Ce qui soulage en partie les bénéficiaires, indique Bertha. Comme mon père et ma mère, les sourds-muets de ce camp ne travaillent pas. Nous sommes totalement dépendants de la charité de gens de bonne volonté. »
L'organisation non gouvernementale Food For the Poor donne également chaque trois mois de la nourriture aux habitants de ce centre d'hébergement. « Ce que nous donne le Food for the Poor n'est pas suffisant pour nous alimenter pendant même deux mois, fait remarquer Bertha. Nous nous arrangeons, toutefois, pour survivre après l'épuisement du stock. »
La jeune Bertha arrête depuis un moment de traduire pour les responsables du camp. Elle laisse parler son coeur plein d'amertume et de frustrations. « Nous autres les enfants de ce camp de sourds-muets, nous n'irons plus à l'école. On vagabonde toute la journée entre là où nous sommes et les autres camps de la zone. On aurait aimé retourner à l'école, mais... », rêve-t-elle.
Bertha reconnaît toutefois que, contrairement aux autres enfants du camp, il lui sera plus facile de retourner à l'école. Parce qu'elle n'est pas sourde-muette. Pour les autres enfants handicapés, la situation est donc plus compliquée. Le principal centre de formation et d'accueil pour les sourds-muets, Saint-Vincent, a été totalement détruit par le séisme. Cette catégorie à besoins spéciaux est visiblement livrée à elle seule sur le plan éducationnel.
En outre, la question de loisir est inexistante dans ce camp de sourds-muets. « Avant le tremblement de terre du 12 janvier, les sourds-muets n'avaient pas de loisir. N'en parlons pas pour le moment, se désole Bertha. En guise de loisir, sous peu, nous aurons à faire face au débordement des toilettes, puisque les gens qui sont chargés de les nettoyer et de l'entretien du camp ont des mois d'arriérés de salaire. »
Ce centre d'hébergement de sourds-muets n'est pas le seul à faire face à un ensemble de difficultés, huit mois après le tremblement de terre qui a secoué Haïti. Au Champ de Mars, sur la route des rails à Carrefour, sur la place Saint-Pierre à Pétion-Ville... les centres de déplacés font face à toutes sortes de difficultés.
Huit mois après, ils sont des milliers de sinistrés qui vivent encore sont des tentes à Port-au-Prince et dans les zones avoisinantes. Ils attendent désespérément le soutien d'un gouvernement trop occupé à préparer les élections du 28 novembre.

Robenson Geffrard
rgeffrard@lenouvelliste.com

http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=83482&PubDate=2010-09-13

Commentaire

Quand viendra le jour où l'on pourra parler de ce pays, d'Haïti, sans indignation? Quand les Haïtiens pourront-ils se regarder en face sans se dire : "parmi nous, il y a des dénaturés, des sauvages qui, non pour avoir fréquenté l'école, sont moins surement perdus dans la forêt obscure de leur suffisance et de leurs ambitions démesurées, voulant tout pour eux et rien pour les autres"? Voilà ce que donne comme dose de frustration l'observation de ce qui se fait (plutôt ne se fait pas) dans le pays de Toussaint Louverture! D'ou viennent ces responsables qui ont perdu la faculté d'avoir honte?

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