jeudi 2 septembre 2010
Montréal, 02 sept. 2010 [AlterPresse] --- L’Université du Québec à Rimouski (UQAR) a décerné un doctorat honoris causa au romancier canado-haitien Dany Laferrière, considéré comme un « maître à penser ».
Au cours de la cérémonie, déroulée le dimanche 30 aout dernier à l’auditorium de l’UQAR, une assistance composée du personnel de l’Université, d’étudiants, de cadres de la région et d’une délégation haïtienne, a rendu hommage de manière unanime à l’écrivain Laferrière.
La présidente de l’Uqar, Sylvie Beauchamp, a exprimé sa joie d’accueillir à Rimouski l’écrivain Laferrière. En tant que lectrice, elle considère Dany Laferrière comme son écrivain fétiche. « Votre parcours inspire… Votre contribution mérite d’être retenue. C’est pour les étudiants en étude littéraire, soutient-elle, une chance d’avoir un guide et un maître en la personne de l’auteur de L’énigme du retour (Grasset, Boréal, 2009). Modèle d’inspiration et de courage, l’exemple du parcours de Dany Laferrière portera assurément les étudiants à s’approcher de leurs rêves. »
Le recteur de l’UQAR, Monsieur Michel Ringuet, dans son discours de circonstances, a situé le contexte de cette cérémonie. En 2008, la candidature de Dany Laferrière a été proposée. Cette candidature a été acceptée à l’unanimité à la création du nouveau baccalauréat en lettres et création littéraire. Le recteur Ringuet a souligné ces points qui ont emporté l’adhésion d’Un jury de professeurs d’université :
« Dany Laferrière est un maître à penser dont il faut s’inspirer sur au moins trois plans.
Il incarne d’abord un certain idéal du français comme langue-monde. D’une langue qui est partout chez elle, sans domination brutale, de Port-au-Prince à Paris, en passant par Rimouski, et qui s’impose par la séduction. D’un français qui n’a rien d’empesé ou d’aseptisé, qui n’est pas celui que prescrivent les immortels de l’Académie française, mais un français vibrant, vivant, plein de sève, celui qui se parle au café et dans la rue, en Haïti, au Québec, en France et dans toute la francophonie. Un français qui existe bel et bien, pris isolément dans tel ou tel pays, mais qui se trouve fusionné, amalgamé, métissé, uniquement sous la plume de Dany Laferrière, dont c’est en quelque sorte la signature stylistique. Les écrivains de demain, que forme aujourd’hui l’UQAR, auront eux aussi cette obligation d’inventer une langue à part, de ‘donner un sens plus pur aux mots de la tribu’ comme le dit Mallarmé.
Si Dany Laferrière est un maître de langue, il est aussi un maître d’irrévérence, autre qualité indispensable de l’écrivain. La littérature a ceci de particulier qu’elle est peut-être la seule forme de pensée radicalement libre, capable de penser contre son temps, par delà les clichés, les stéréotypes et les idéologies. Elle est une forme de nomadisme qui échappe à la sédentarité des lieux communs, des idées toutes faites. Or, comme l’écrit Dany Laferrière, ‘Les sédentaires aiment voir le nomade réduit à l’immobilité.’
L’œuvre de Dany Laferrière est un antidote à la paresse intellectuelle, à l’engourdissement de la pensée, à un certain confort qui peut devenir une forme d’indifférence généralisée. Elle peut nous prémunir contre une fausse fatalité, celle, pour reprendre ses mots, des ‘fameux coureurs des bois’ qui ne sont plus aujourd’hui ‘que des téléspectateurs captifs’. Son œuvre recèle une forme de sagesse, parfois douloureuse, un art de vivre qui fait de la littérature autre chose qu’un jeu formel sans intérêt, une véritable école de vie, à l’image de la propriétaire de l’hôtel de Port-au-Prince où arrive le narrateur :
Sa longue expérience
de la douleur
devrait être enseignée
dans une époque
où l’on apprend tout
sauf à faire face à la tempête de la vie.
Dany Laferrière est également un maître d’écriture. Mais c’est un maître d’un genre bien particulier, puisqu’irrévérencieux. Aux apprentis écrivains, qui souhaiteraient obtenir la recette pour devenir instantanément écrivains, comme on devient instantanément une star dans certaines académies à la télévision, le narrateur de L’énigme du retour donne de sages conseils. Ainsi, par exemple à son neveu qui l’interroge sur le métier d’écrivain, auquel il aspire : ‘est-ce mieux d’écrire à la main ou à l’ordinateur ?’ ; le narrateur répond : ‘C’est toujours mieux de lire.’ C’est le type d’extrait qui pourrait servir de devise au nouveau programme de création littéraire. La création est de fait un long et douloureux apprentissage de l’humilité. De même, dans Tout bouge autour de moi, que Dany Laferrière a fait paraître à la suite du tremblement de terre de janvier dernier, il revient sur le sujet : ‘Lors de ma dernière visite à Port-au-Prince, mon neveu n’arrêtait pas de me bassiner avec des questions sur le style. Je refusais de répondre, car je crois que tout cela est lié à l’acte d’écrire. C’est-à-dire qu’on apprend à écrire en écrivant. Un bon écrivain est son propre maître.’ Cet autre extrait montre que la véritable humilité, c’est paradoxalement de connaître sa valeur. »
Dany Laferrière a pris la parole pour dire un grand merci … Il a remercié cette longue lignée de femmes, sa grand-mère, sa mère, ses tantes, sa femme, et ses trois filles, à qui il doit tout. « Cette lignée de femme qui m’ont tissé. Je leur dois ce sens du détail, cette capacité d’apprécier la vie, ce regard en profondeur. Cette dimension féminine constitue la base de mon travail d’écriture. »
« L’objectif est de faire de la vie une œuvre d’art. L’important est de retrouver sa propre chanson, et d’être avec soi-même. Car le monde a besoin de cette part intime, surtout en ces temps marqués par le bruit. Un bruit barbare et fracassant. Il faut refuser le bruit. Il faut baisser la voix, conclut Laferrière, pour arriver à cette parole méditée, pensée, réfléchie, hors temps, hors espace. Car la parole pensée et réfléchie est une action politique. »
Des extraits de Laferrière tirés de divers titres - notamment Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer ?, L’odeur du café, L’énigme du retour, Tout bouge autour de moi – ont été lus et applaudis.
À cette cérémonie, a été soulignée la présence d’une délégation haïtienne composée de Fritz Deshommes, vice-recteur à la recherche de l’Université d’État d’Haïti (UEH), de boursiers haïtiens accueillis par l’Uqar, de Sandra Étienne, consultante (2e acte, Paris), de Jean-Christophe Stefanovitch, président de la Coopérative de Café Noula, de Rodney Saint-Éloi, éditeur du dernier titre de Dany Laferrière, Tout bouge autour de moi. [apr 02/09/2010 11 :00]
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P.S. : Pour lire le discours du recteur, consultez http://www.uqar.ca/uqar-info/hommag...
http://www.alterpresse.org/spip.php?article9934
Commentaire
Il l'a bien mérité, Dany LaFerrière! Maintenant j'attends qu'on me parle de Franketienne. De toute façon, avec ou sans prix, il est qui il est. Un écrivain respectable.
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