vendredi 17 septembre 2010
Par Francesca Theosmy et Gotson Pierre
P-au-P, 17 sept. 2010 [AlterPresse] --- Huit mois après le terrible tremblement de terre qui a laissé 1,5 million de personnes sans abris, la présence de 1 300 camps dans les zones affectées attise le sentiment croissant de la permanence de l’urgence alors que la question du logement fait l’objet d’importantes contradictions entre les acteurs gouvernementaux et humanitaires.
Les sinistrés dans différents camps de la région métropolitaine continuent de revendiquer des logements plus décents que des tentes et des bâches dont certaines effilochées ou en mauvais état sont de piètres protectrices contre la pluie. La colère gronde, et ce même dans le camp de relocalisés de Tabarre Issa (Nord-est de la capitale), pourtant considéré comme « un camp modèle ». 512 familles y sont logées, dans des tentes pour la plupart, sur 10 carreaux de terre dépourvus de la moindre végétation.
Résidant auparavant dans la vallée de Bourdon (zone est de la capitale) les 512 familles ont accepté de s’installer à Tabarre Issa suite aux promesses de logements transitoires (structures en tôle et en bois qui doivent durer 3 ans) et de nourriture gratuite faites par les organisations humanitaires, selon Jean Auguste Petit-Frère, vice-président du comité. Cependant huit mois après la catastrophe, la construction des abris de transition avance lentement, trop lentement au gout des déplacés qui ne peuvent plus subir les conditions inhumaines dans lesquelles ils vivent.
Reloger… provisoirement
L’inquiétude des sans abri qui peuplent les camps spontanés qui ont poussé un peu partout dans les régions affectées par le séisme n’est pas due uniquement aux effroyables conditions d’existence qui règnent dans ces lieux. Dans plusieurs camps, ils sont sur le qui-vive. Occupant des terrains privés, les sinistrés sont l’objet de menaces d’expulsion, qui, dans plusieurs cas, se concrétisent.
L’expert indépendant des Nations Unies sur la situation des droits de l’homme en Haïti, Michel Forst, affirme que ces expulsions sont illégales et a demandé à deux reprises un moratoire, sans qu’aucun suivi ne soit fait par les autorités de l’Etat.
Interrogé sur la question, Ronald Baudin, ministre de l’économie et des finances et président du Comité de facilitation pour la reconstruction du Centre ville de Port-au-Prince, met en avant le respect de la propriété privée.
« Je crois que pendant que nous devons faire tout ce qui est possible pour améliorer les conditions de vie de la population, en particulier de ceux-là qui vivent sous les tentes, il nous faut aussi faire la promotion du respect de la propriété privée », soutient-il.
La question des expulsions pose pourtant celle des droits des êtres humains au logement et celle de l’aménagement du territoire, dans un pays où, avant le 12 janvier, 81% de l’espace bâti était constitué de masures, si on croit une étude réalisée par Fedner Jean-Pierre, un finissant de la faculté d’ethnologie de l’Université d’Etat.
Après la catastrophe du 12 janvier, faudra-t-il refaire les mêmes bidonvilles ou « bétonvilles » (comme disent les port-au-princiens), en dehors de toutes normes urbanistiques ou trouver des formules qui permettent à la fois de satisfaire les besoins du moment et de préparer l’avenir ?
Le temps presse et « Il n’y a pas de stratégie formelle nationale » pour reloger les sans abris, signale Adam Fysh, responsable du Cluster Abri (association des organisations internationales intervenant dans le domaine des abris en Haïti). Les organisations humanitaires comptent ériger 135.000 abris transitionnels sur tout le territoire national, avec pour échéance l’été de l’année 2011.
« L’objectif est de fournir une surface habitable au sol de 18m2 et au maximum une surface de 24m2 », selon un document du Cluster Abri, consulté par AlterPresse. « Un minimum de 12m2 pourrait être envisagé pour les cas où l’espace disponible est limité et clairement justifié », indique le même texte.
Jusqu’ici, selon Fysh, seulement environ 10.000 abris transitoires ont été construits, pour un cout de 1.500 à 2.500 USD l’unité.
Or, les informations collectées par AlterPresse montrent qu’au mois d’aout, le financement était disponible pour la construction de plus de 120.000 abris. Ce qui suppose que les Organisations Non Gouvernementales (ONG) disposent de plus de 200.000.000 de dollars américains pour la mise en place de ces maisonnettes prévues pour durer quelque 3 ans et qui devraient être installées dans des espaces provisoires.
Adam Fysh explique le peu de réalisations effectuées dans le cadre du plan de construction d’abris transitoires par la lenteur de la livraison des matériaux et la difficulté d’accès physique et légal à des terrains.
Pour le responsable du Cluster Abri, la question de la propriété représente le principal obstacle à la construction des abris transitoires. Car, il est difficile d’établir le statut réel des terrains, réclamés par plusieurs personnes à la fois qui se présentent toutes comme des propriétaires munis de titres difficiles à vérifier.
Toutefois, le ministre Baudin « ne partage pas l’idée que la question de la propriété soit un frein au relogement des sans abris parce que le gouvernement s’est engagé à donner l’accès à des terrains à chaque fois qu’il y a un projet sérieux de logement ».
Comment penser le long terme ?
« Les agences sont […] intéressées à aider les gens qui veulent retourner chez eux, c’est-à-dire construire un abri transitoire dans la cour de la maison en ruines, ou à la place maison détruite et déblayée », explique Fysh. Il précise toutefois que « c’est difficile de trouver les gens qui sont propriétaires et qui ont un titre de propriété. »
Et pour cause, 70% des sinistrés étaient des locataires. De plus selon les organisations du Cluster Abri, la plupart des sinistrés préfèrent demeurer dans les camps notamment parce qu’ainsi ils ne sont pas forcés de payer un loyer.
Dans ce contexte, un plan gouvernemental d’urbanisation tenant compte à la fois de l’économie, de l’éducation, des infrastructures routières et du transport, est, pour Adam Fysh, l’unique stratégie de long terme pouvant résoudre la question des sans abris.
Le gouvernement a jusqu’ici annoncé sa décision de reconstruire une portion du centre ville de la capitale, prochain site des bâtiments de l’administration publique et de quelques entreprises privées.
Bien qu’il ne s’agisse pas d’un plan global, il doit poser le problème des sans abri, à cause du Champs de mars, situé en face du Palais national, l’un des plus grands centres d’hébergement improvisés de toutes les zones affectés par le tremblement de terre. Le gouvernement prévoit de compléter le déblaiement du quartier de Fort National d’où sont issus la plupart de ces sinistrés afin de leur permettre de retourner dans leurs lieux d’habitation d’origine et libérer ainsi une portion de la plus grande place publique du pays.
Mais en terme plus global, le seul élément connu est que « la reconstruction en tant que telle va prendre plusieurs années et je crois que d’ici là on aura résolu le problème des sans abri qui sont encore dans ce périmètre [centre ville] », lâche Ronald Baudin.
Après huit mois, beaucoup de sinistrés s’inquiètent chaque jour davantage et ont tendance à ne plus tolérer des conditions inhumaines qui prévalent dans l’enfer des camps, par temps sec comme par temps pluvieux.
Le gouvernement et les organismes humanitaires, se sont-ils interrogés sur ce qui peut se passer lorsque les centaines de milliers de personnes qui croupissent dans ces nouvelles « zones de non droit » auront perdu tout espoir de retrouver un toit et de pouvoir vivre dans la dignité ? [kft gp apr 17/09/2010 11:00]
http://www.alterpresse.org/
Commentaire
A distance, on risque de se dire, "mais ces gens, ont-ils de la fierté pour vouloir rester dans ces camps nauséabonds, juste afin d'éviter de payer un loyer décent?". Eh bien, vous qui observez à distance, sachez que ce peuple a toujours été abandonné à lui-même. Et malgré son abandon, nulle part ailleurs, la pensée de Bernanos n’a été plus justement applicable (Sur le fumier de la misère ont cru les plus belles fleurs de la civilisation humaine »). Un peuple vivant dans un milieu sain, propre, moralement stimulant, ne peut qu'internaliser les valeurs auxquels il est habitué. Toute autre réalité surmontée par ce même peuple pour néanmoins s’affirmer, est un geste dont le mérite ne revient qu’à ce seul peuple. Les Haïtiens à travers les siècles, après l’esclavage, ont tres souvent su s’attribuer ce mérite. Ils continueront certainement de le faire ! Cependant dans le cas qui nous concerne, la rapacité des dirigeants depuis Duvalier ou plutôt Duvalier-fils, les ingrédients qui font d'une communauté un peuple fier et fort ont toujours manqué. Si Duvalier père, tout cruel qu'il était, savait inculquer cette fierté par sa manière de penser, puisqu'il pensait, son fils a mutilé le peuple de cette même vertu en le privant d’emploi donc d’avenir, et en le privant de raison de croire en lui-même. Et les autres...sans exception depuis, ont suivi le même chemin que son fils...sauf Préval possède une vertu que n'avait pas Duvalier-père):la tolérance vis à vis de ses adversaires. Et encore, on se demande si ce n'est pas à cause de la présence des forces internationales. Mais en même temps, cette seule vertu si cela suffit à en faire un homme vertueux, c'est un homme sans fierté, fatigué de la vie et de tout ce qui contribuerait à l'alimenter ; Privé d’optimisme, irresponsable, mutilé jusque dans sa vision de la vie qui n’est que le spectacle d’une masse difforme s’agitant toute seule devant lui d’un mouvement qui est plus une force d’inertie, un résidu de force, plutôt qu’une dynamique voulue. On dirait qu'Aristide, plus ou également cruel que Duvalier père, mais sans ses vertus, a achevé d'émasculer à la fois Préval et les Haïtiens. Car après lui, est arrivé le déluge, mais d'abord, le déluge moral. Il nous faut en Haïti un restaurateur, un restaurateur à la fois moral et physique, j'entends de l'environnement! Haïti ne peut pas continuer comme ça. Non! Ce n'est pas possible que toute une génération soit privée d'hommes!
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