Au terme d'une brillante carrière de 25 ans à la douane, Eric Smarki Charles, 48 ans, a de nouveaux rêves, dont celui de devenir président de la République d'Haïti. Portrait d'un Port-de-Paisien d'origine modeste qui a forcé le destin...
Haïti: Eric Smarki Charles est né le 22 septembre 1962 à Balladé, une bourgade située à une dizaine de kilomètres de Port-de-Paix. Le nourrisson, fragile, est frappé par le sort deux mois seulement après sa naissance. Son père passe l'arme à gauche et laisse sa mère, Anne Elisabeth Genita Charles, dans un total désarroi, avec trois enfants d'un autre homme sur les bras et très peu de ressources économiques. « Enfant naturel reconnu par ma mère, je ne connais même pas le nom de mon père », raconte Eric S. Charles, ton sec, peu enclin à donner des détails ni à lever le voile sur le rapport ambigu, énigmatique qu'il entretient avec la mémoire de son géniteur.
Même pas sevré, à six mois, sa mère le confie à sa grand-mère, Mme Carmilia Pierre Charles, et tente, obnubilée par le rêve américain, l'aventure à Miami, comme beaucoup d'autres Port-de-Paisiens de l'époque. Mi-orphelin, privé de sa maman, le petit, encore frileux, trouve pourtant l'amour et le réconfort auprès de sa grande soeur Nicole. « Nicole, à 14 ans, venait à peine de finir son brevet d'études quand elle s'est sacrifiée pour s'occuper de moi et de mes autres frères », s'exclame Eric Smarki Charles, dont la reconnaissance et l'amour se mesurent à l'aune du respect voué à Nicole, une « adolescente au grand coeur ».
A six ans, le gamin retrouve l'affection de sa mère Anne Elisabeth Genita Charles, revenue au pays avec ses désillusions après une expérience mitigée aux Etats-Unis. « J'étais content quand maman était à la maison », explique Eric S. Charles, qui a entre-temps découvert les chiffres, les lettres et les couleurs à la modeste école maternelle de M. Adam Faton à Balladé. «Cependant, c'est à l'initiative de mon oncle, Exalus Charles, que mon éducation a pris son envol. Pour que nous puissions, mes frères et moi, aller à l'école, il a donné à ma mère une petite chambre en ville, à Port-de-Paix. J'avais six ans et mes grands frères 9 et 11 ans quand on est entré ensemble, dans la même classe de 7e », conte-t-il, le regard figé de celui qui se paie un flash-back.
Turbulent, bagarreur et élève moyen, Eric S Charles redouble la classe élémentaire II. « C'est le déclic. Je suis devenu brillant, appliqué, studieux après ce revers », se rappelle Eric S. Charles qui a laissé tomber le football et les billes. « On mangeait une fois par jour. On était à l'étroit, mais on s'est accrochés parce qu'on avait des rêves et des ambitions», explique Eric S. Charles,
reconnaissant envers son parrain Mercidieu Telcy dont le support fut inestimable dans ces moments de vaches maigres.
Admis au lycée Tertullien Guilbeau, Eric S. Charles cale. Il a du mal à s'adapter. Il redevient un élève moyen de la 6e jusqu'à la 3e secondaire qu'il redouble. Comme en primaire, cette mésaventure va redonner des ailes, des envies à l'adolescent qui côtoie en tant qu'enfant de choeur l'actuel directeur de l'ULCC, M. Amos Desrosiers, ex-prêtre, le père François Gaillot, le père Frantz Colimon, le père Jean-Marie Vincent, martyr après son assassinat durant le coup-d'Etat de l'armée contre l'ex-président Jean-Bertrand Aristide (septembre 1991/ octobre 1994). Un saut dans l'univers des scouts (St-Jean Baptiste) se charge de renforcer la discipline de fer de l'adolescent complètement métamorphosé, en qui sommeillait un "leader" reconnu par le père Richet Antoine lors d'un camp à Môle St-Nicolas. « A 17 ans, je me suis occupé de moi tout seul parce que toute ma famille, ma mère, ma soeur Nicole et mes frères étaient partis pour les États-Unis à l'exception du benjamin, mon petit frère », dit-il.
Rentré à Port-au-Prince en 1984, il est admis en philo au lycée Toussaint Louverture. « J'ai réussi dès juin, et le 9 septembre 1985 j'ai été employé à la douane par M. Emile Charles, un parent à moi », confie Eric S. Charles qui, deux années plus tard, décroche son diplôme de gestion d'entreprise et de comptabilité à l'Institut supérieur des sciences économiques, politiques et juridiques du docteur en économie Rony Durand. Entre 1987 et 1991, il obtient la licence en sciences économiques de la faculté de droit et des sciences économiques de l'Université d'État d'Haïti (UEH) et entame sa fulgurante ascension, occupant des postes de direction dans presque toutes les douanes installées dans les ports et aéroports du pays au cours des 25 dernières années.
Fier de son bilan
« Les recettes collectées par la douane du port de Port-au-Prince représentent 60 % du budget de la République. L'ensemble des recettes des autres douanes du pays est de 35 %, et les 5 % restantes proviennent de la DGI, explique Eric S. Charles, qui se félicite de l'augmentation des perceptions sous son administration à la douane du port de Port-au-Prince. En 2004, les recettes étaient de 500 millions de gourdes, et maintenant elles ont atteint 1 milliard 651 millions de gourdes », selon le douanier doublé d'une solide expérience en gestion, titulaire d'une chaire de monnaie et banque à la faculté des sciences économiques du Cap-Haïtien alors qu'il dirigeait la douane de cette ville, avec le leadership et les capacités d'un grand technicien comme Jean-Jacques Valentin, directeur général des douanes (AGD) . M. Charles, sans être légalement obligé de le faire, a remis sa démission comme directeur de la douane du port de Port-au-Prince en août 2010.
Marié et père de deux enfants, ce boulimique du savoir, qui a suivi des cours d'alphabétisation et promotion collective à la Faculté des sciences de l'Éducation, admirateur de l'économiste émérite et ex-ministre des Finances, Henri Bazin, dévoile le secret de sa réussite : « fermeté et souplesse ». « Il faut être rigoureux et flexible. Mais pour réussir, il faut également créer des conditions humaines facilitant la production. Je crée toujours l'ambiance humaine favorisant cela », explique l'enfant de Port-de-Paix.
« Cependant, je ne badine pas avec les mauvaises pratiques. J'ai adressé des rapports négatifs contre des fonctionnaires qui ont conduit au renvoi de ces derniers », se souvient Eric S. Charles, qui se dit propre, en reconnaissant s'être fait aussi quelques ennemis au cours des dernières années. « S'il y a des graffitis sur les murs qui m'accusent de corruption, ils sont peut-être l'oeuvre de mes adversaires », dit-il sèchement.
Plus politique que l'on croit
Alors qu'il poursuit sa carrière de douanier, Eric S. Charles, en 1990, introduit par Evans Paul, milite dans la mouvance lavalassienne. « En 1991, je rencontre William Jeanty et Dismy César, mes mentors politiques. En décembre 1994 j'ai intégré le Parti Louvry Barye (PLB) de feu Renaud Bernardin et en 1995 je deviens coordonnateur du parti. En 2010, suite à un conflit avec le directoire qui décide de l'intégration du PLB dans la plate-forme Inite, j'ai quitté le parti et je suis candidat à la présidence sous la bannière du Parti Evolution nationale Haïtienne (PENH) », raconte-t-il.
« C'est une impression de méconnaissance que l'on a de moi parce que mon travail ne m'a pas permis de donner des interviews. Mais je vous assure que je suis connu à travers tout le pays où j'ai travaillé comme douanier », répond Eric S. Charles à ceux qui disent qu'il est un novice et un candidat à la présidence transparent. « Je suis neuf, du sang neuf », ajoute-t-il en prônant l'inclusion. « Il faut l'émergence d'une nouvelle classe moyenne », selon ce politique qui s'inspire du parcours de Toussaint Louverture et de Dumarsais Estimé. Comme d'autres candidats, M. Charles, longiligne, physique d'un boxeur poids plume, cheveux sel et poivre, du haut de ses 48 ans, promet de s'attaquer aux grands maux de la République. Il veut reconstruire. Faire du neuf dans presque tous les domaines afin de changer les conditions de vie de l'Haïtien : l'agriculture, l'énergie, l'environnement, etc.
D'origine modeste, Eric S. Charles a fait une carrière remarquable à la douane. Entre-temps, l'homme a des rêves. Beaucoup de rêves, dont celui de troquer son fauteuil de douanier contre celui de président de la République. Le 28 novembre 2010, on saura si les électeurs acceptent de « dédouaner » sa marchandise, son projet politique et tout le reste...
Roberson Alphonse
ralphonse@lenouvelliste.com
http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=83588&PubDate=2010-09-15
Commentaire
Avouons qu'il séduit par son parcours. Naturellement, le parcours est une chose, les moyens en représentent d'autres et pas des moindres. Pourra-t-il convaincre la population? Saura-t-il évincer des candidats aussi connus et avec des structures d'appui aussi solides que Mirlande Manigat, Henri Baker, Jacques Edouard Alexis...et de nombreux autres? On verra.
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