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dimanche 5 septembre 2010

Graffitis, la controverse

Rouges de colère, des résidents de la zone métropolitaine de Port-au-Prince assistent impuissants au retour en force des graffitis alors qu'on avance à grands pas vers les élections du 28 novembre 2010. Certains s'expriment, dénoncent, se positionnent en utilisant ce médium bon marché et d'autres font la gueule quand ils découvrent des graffitis sur leurs murs...
Haïti: « Ces vagabonds ! Regarde ce qu'ils ont fait ! », tempête Elna, 44 ans, ulcérée de découvrir un nouveau slogan graffité sur la clôture de sa résidence à Delmas 40 B : « Jèn kore Jèn ». Pas moins vexé, Jean M., un jeune entrepreneur de Pétion-Ville, rumine les mésaventures de certains de ses pairs, victimes de ces "afficheurs" qui n'épargnent ni les murs ni les affiches publicitaires des entreprises. « Je paie jusqu'à 2 000 dollars américains l'an le droit d'affichage pour mon entreprise. Je crains de tomber sur des graffitis un de ces quatre matins", confie-t-il, acide, à cause de « l'indifférence de la municipalité face à ces actes de vandalisme. »
« C'est une vieille pratique d'avec laquelle il faut absolument divorcer. Et je suis sidéré de constater que dans la zone métropolitaine, des maires en fonction et des candidats à la présidence, acceptent que leurs partisans salissent les murs avec leurs slogans de campagne, raconte Edner Jean, journaliste, publiciste de Communication Plus. Il y a des alternatives. La publicité imprimée, explique M. Jean, est de moins en moins chère ».

Une question d'argent

Calme, un des meneurs du mouvement Jèn kore Jèn, sous couvert de l'anonymat, explique que les « jeunes n'ont pas le choix. Ils n'ont pas d'argent. Les graffitis sont le meilleur médium qu'ils puissent utiliser pour véhiculer leurs messages »,ajoute-t-il.
« L'affichage pour un an d'un message sur un billboard de 12' X 24' (pieds carrés) peut coûter 5 000 dollars américains. Et le plus imposant réalisé aujourd'hui en Haïti de 16'x 48' (pieds carrés) coûte 9 000 dollars us. La mairie de Pétion-Ville, par exemple, exige 80 gourdes par pied carré, soit 2 dollars us plus la taxe sur le chiffre d'affaires (TCA) de 10 %. En clair, sur un billboard de 16' x 48', on a 768 pieds carrés multipliés par 2 dollars, ce qui donne 1 532 $ us, soit 17 % des 9 000 dollars. Si l'on ajoute les 10 % de la TCA, la mairie de Pétion-Ville engrange 27 % de ces 9 000 dollars », explique, calculatrice à la main, un publiciste du milieu, qui déplore l'absence de législation et "l'arbitraire des maires de la zone métropolitaine dans la fixation des tarifs d'affichage". Ce publiciste dont les calculs permettent d'apprécier le coût des affiches imprimées condamne toutefois ceux qui font des graffiti sur les murs.

La loi

« Nul ne peut utiliser les murs externes des clôtures des maisons privées, les murs des édifices publics ou des monuments à des fins de propagande électorale sous peine de sanctions prévues par la loi pénale », dit l'article 124 de la loi électorale de juillet 2008. Et
dès que la façade d'une maison, d'un édifice quelconque donne sur la voie publique, son utilisation à des fins de « communication », de « publicité » doit être autorisée par la mairie. En outre, dans le cas d'une autorisation municipale, le propriétaire du domaine, de la maison, doit nécessairement donner son aval, son accord à toute affiche à tout imprimé quels qu'ils soient. Naturellement, ces imprimés ou graffitis ne doivent pas porter atteinte aux bonnes moeurs, à la décence publique, explique un juriste. Continuer >
Par ailleurs, dans la section 5 du Code pénal concernant les délits commis par voie d'écrits, images ou gravures distribués sans nom d'auteur, d'imprimeur, les législateurs ont été très précis. Dans l'article 228 du (CP), il est mentionné que : « Toute publication ou distribution d'ouvrages, écrits, avis, bulletins, affiches, journaux, feuilles périodiques ou autres imprimés, dans lesquels ne se trouvera pas l'indication vraie des noms, profession ou demeure de l'auteur ou de l'imprimeur, sera, pour ce seul fait, punie d'un emprisonnement allant de six jours à six mois » de toute personne qui aura sciemment contribué à la publication ou distribution ». Et plus loin, dans une disposition particulière, l'article 235 du code pénal stipule : « Tout individu qui, sans y avoir été autorisé par le juge de paix, fera le métier de crieur ou afficheur d'écrits, imprimés, dessins ou gravures, même munis des noms d'auteur, imprimeur, dessinateur ou graveur, sera puni d'un emprisonnement allant de six jours à deux mois ». Ces articles du Code pénal sont toujours en vigueur, poursuit ce juriste. Selon ces textes, la responsabilité des militants (afficheurs de slogans politiques) et des chefs de parti politique est établie. La liste des partis à épingler serait très longue, estime-t-il.

Contre-pied et proposition

Il peut être difficile de prouver la responsabilité d'un candidat, car des gens peuvent prendre sur eux la responsabilité de graffiter en son nom, soutient un militant politique sous couvert de l'anonymat qui réfute les arguments du juriste. Un candidat peut aisément nuire à son ou ses concurrents si l'on ne fait pas suffisamment attention, argument-t-il en appelant à la prudence dans l'application de la loi.
« Il faut veiller au respect de la loi », avance le professeur Monferrier Dorval, docteur en droit public, qui propose la création d'une police électorale.

Oui..., mais

« Jèn kore Jèn », « Fas a Fas », « Cristalin 2011 », « Alexis 2011 » " Viv retou Jean-Claude Duvalier", "Viv retou Titid"... et d'autres graffitis accusant d'autres hommes et femmes politiques des sept péchés capitaux, constituent, avec les fresques de l'artiste Jerry, des éléments du paysage audiovisuel de la zone métropolitaine. Les graffitis font partie du "décor" de l'espace public. On les voit dans beaucoup de quartiers de la zone métropolitaine, incisifs et cinglants... Ils épousent souvent les velléités manichéennes de leurs commanditaires. Pour dire "vive" ou "à bas", pour dénigrer ou encenser, pour aider des opérateurs politiques à se positionner, pour exprimer la révolte, l'espoir, exprimer nos errements, nos croyances dans un avenir sans cesse troublé par le reflet hideux de nos ombres, analyse un journaliste. Ces messages, indicateurs des agitations et tractations de l'affrontement entre groupes politiques, traversent le temps. Rien n'indique que cela va changer du jour au lendemain, ajoute-t-il. Entre-temps la controverse se poursuit.Et les vendeurs de peintures, de bombes aérosols se frottent les mains, plaisante un spécialiste en communication qui analyse le phénomène dans sa dimension sociologique, artistique et communicationnelle...
Les graffitis existent depuis des temps immémoriaux. Certains exemples remontent à la Grèce antique ainsi qu'à l'Empire romain et peuvent aller de simples marques de griffures à des peintures sur les murs élaborées. Dans les temps modernes, la peinture aérosol et les marqueurs sont devenus les outils les plus utilisés. Dans la plupart des pays, dégrader une propriété avec un graffiti sans le consentement de son propriétaire est considéré comme du vandalisme, lequel est punissable par la loi. Parfois, le graffiti est employé pour communiquer un message politique et social. Il existe de nombreux caractères et styles de graffiti, cette forme d'art évoluant rapidement. Le mot italien "graffiti" dérive du latin "graphium" (éraflure), qui lui-même tire son étymologie du grec "graphein" qui signifie indifféremment "écrire", "dessiner" ou "peindre". "Graffiti" en langue française vient de l'italien "graffito", terme désignant un stylet à écrire. Son pluriel italien est "graffiti". (L'usage n'a pas retenu une tentative de francisation en "graffite" à la fin du XIXe siècle, ni le singulier "graffito" qu'utilise, entre autres, André Malraux). On emploie donc le mot graffiti au singulier et au pluriel même si l'utilisation du S (graffitis) est admise dans l'usage.

Roberson Alphonse
ralphonse@lenouvelliste.com

http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=82722&PubDate=2010-09-03

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