Élections et drogue
Haïti: Au moment où les autorités onusiennes et locales dénoncent avec impuissance l'éventualité que le prochain scrutin soit perturbé (ou influencé de préférence ?) par des violences, vu que beaucoup d'armes circulent, que les gangs ont repris du service en profitant du séisme du 12 janvier dernier et que le trafic de drogue gangrène tous les couches et secteurs d'activités de la vie nationale, la distance prise avec l'illégalité et l'aspiration à l'État de droit, voilà les prérequis d'une société démocratique fondée sur un commun respect des normes, des valeurs et des lois. Des thèmes électoraux ? Mon oeil !... Si les dirigeants et aspirants dirigeants donnent les mauvais exemples, qui oserait les sanctionner ?
La réponse est assez simple à formuler : la DEA. Mais sporadiquement. Un État-nation respecté est assuré non seulement par le respect des lois, mais aussi par la qualité des hommes et l'universalité des valeurs et des normes qu'ils défendent. Les différentes crises (institutionnelle, sociale, morale) qui rongent notre pays trouvent leurs sources dans cette perte effroyable des valeurs et des normes qui a tout inversé, perverti, pollué : l'argent, peu importe sa provenance, est devenu la sacro-sainte religion des uns et des autres. C'est un véritable fléau national. D'où certainement ces phénomènes de ras-le-bol, de révolte, de rupture qui rendent si compréhensifs, aux yeux d'une bonne partie de la jeunesse saine, le discrédit, les atermoiements de nos dirigeants, notamment politiques, judiciaires et policiers. Toute notre histoire récente et immédiate - avec ses catastrophes et ses régressions spectaculaires - peut s'interpréter comme une fulgurante et irrésistible victoire de l'illicite, correspondant à la « dictature » de « nouvelles » calamités, des calamités liées à la corruption, au banditisme et au crime.
Comme on le sait, comme on le voit, de grands pas ont déjà été effectués chez nous dans cette voie : non seulement l'argent de la drogue et les profits d'autres activités criminelles (kidnapping - contrebande - trafic d'armes - vol) servent à financer différents types de candidats depuis l'après - 1986, mais on retrouve ici et là de présumés « dealers » élus qui évoluent au sein du Parlement, ou dans le secteur privé des affaires, ou encore dans les forces de l'ordre comme d'intarissables tribuns des lois de la République d'Haïti (placée en bonne position dans le peloton des territoires de transit via USA, par le Département d'État dans son dernier rapport annuel), comme de percutants profiteurs du libéralisme, comme d'hypocrites avocats de la morale publique et du patriotisme. La situation d'extrême misère et de total désenchantement de notre société alimente cette dérive. Les élections deviennent alors une affaire de gros sous pour des gens sans foi ni loi en quête d'immunité et d'argent « blanchi ». Il est vain d'attendre une saine réaction de l'électorat à cet avilissement de la morale privée et des vertus publiques. Mais un vote zéro tolérance, peut-être ? A partir de là, le vote populaire et la mobilisation des citoyens électeurs changent ainsi de signification et de cadre.
A l'éthique de la légitimité électorale, de la participation populaire et de l'engagement communautaire se substitue un « nouveau modèle d'action politique » dans lequel la pratique de la carotte et l'emploi de la force conquièrent une place sans précédent, une place omniprésente. Dans ces conditions, semblables à des carcasses de voitures, l'UCHREF, la CSCCA et l'ULCC, pour « moraliser » la vie publique, sont « éteintes ». Dès lors, de fond en comble, ces logiques mafieuses influent directement sur l'émergence du multipartisme, de forces politiques modernes, de réformes institutionnelles profondes qu'elles rendent tout à la fois impossibles et lointaines. C'est peu dire qu'elles favorisent les alliances contre nature, l'instabilité chronique, voire le statu quo.
Pierre-Raymond Dumas
http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=84147&PubDate=2010-10-11
Commentaire
Cher M. Dumas, vous mettez là le doigt sur une plaie béante et nauséabonde. Combien d'entre nous ne souhaiterait pas que ce discours soit le fruit d'une imagination fertile, d'un homme éloquent en quête d'auditoire! Mais hélas, vous avez raison et les faits quotidiens qui secouent jusque dans ses entrailles cette société haïtienne que nous voudrions autrement, confirment ce que vous regrettez, ce que nous regrettons tous. Et vous avez de nombreuses justifications pour vouloir secouer ainsi les consciences et espérer au moins opérer ce réveil brusque ou graduel, mais un retour sur soi, une pause-réflexion, au sein de cette communauté dont la physionomie devient de plus en plus trouble et troublante. Nous n'hésiterons pas à vous relayer chaque fois que l'occasion s’en présente et à vous encourager à remplir avec le même sens du devoir, ce travail indispensable. Merci, Pierre-Raymond Dumas!
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