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samedi 23 octobre 2010

Les inquiétudes du secteur privé

900 propriétaires ont déjà déposé à la DGI leurs titres de propriété dans le cadre de l'arrêté présidentiel décrétant d'utilité publique une partie du centre-ville. Les commerçants ont vivement participé à ce processus. Toutefois, ils n'en finissent pas de dénoncer la légèreté avec laquelle le gouvernement a pris cet arrêté les expropriant de leurs biens et attendent que le processus soit enclenché afin d'entrevoir le bout du tunnel.
Haïti: Hier patron, aujourd'hui chômeur. Il s'appelle Samir Handal. Son nom sonne comme un géant du centre-ville de Port-au-Prince d'hier. Les locaux de son magasin de matériaux de construction ont été incendiés au lendemain de la catastrophe du 12 janvier. Et voilà qu'un autre séisme s'est abattu sur son entreprise cinquantenaire : son business s'est trouvé au beau milieu du domaine déclaré d'utilité publique par l'Etat haïtien huit mois après le séisme ravageur qui a emporté, en 35 secondes, des biens valant plus de 4 milliards de dollars américains.
« Depuis le 12 janvier je ne fais rien, dit le commerçant. Je voulais commencer à travailler, mais je me morfonds dans l'inquiétude qu'un jour quelque chose va se dire. » La décision de l'administration Préval/Bellerive bloque toutes les activités économiques au centre-ville. Certains entrepreneurs gardent les portes de leur business ouvertes. D'autres se perdent dans leur indécision.
Quand l'Etat prend des décisions, le citoyen se doit de les respecter, fait remarquer M. Handal. Mais, en tant que garant du bon fonctionnement du pays, l'Etat doit aussi protéger ses concitoyens. » Au bord de la ruine, Samir Handal ne s'attend qu'à son dédommagement pour se diriger vers d'autres activités commerciales. « Mon métier, c'est le commerce, dit-il. Je n'ai pas d'autres. »
Alors que le plan d'aménagement de la capitale et le processus de dédommagement des propriétaires traînent, certains commerçants ne baissent pas les bras, en dépit de l'insalubrité et de l'insécurité qui règnent au centre-ville. Roméo Halloun est de cette catégorie qui attend le dernier signal de l'Etat pour plier bagage. « Nous luttons jusqu'au bout, soutient M. Halloun. Car le problème de l'insécurité relève d'un manque d'engagement des forces de l'ordre et de coordination des actions policières. »

Bas la suspicion!

Ils choisissent la vie et non la fuite ni la peur. Sibylle Théard Mevs, secrétaire à l'Union des Avocats d'Haïti (UNAH), défend par ses dieux cette affirmation. « On ne construit pas sur des suspicions », soutient-elle. Pour Me Mevs, l'arrêté publié le 2 septembre 2010 par l'équipe gouvernementale tombe mal même s'il n'est pas pris dans un esprit de nuisance.
Une déclaration d'utilité publique ne concerne que les ouvrages publics. Dès qu'il s'agit d'oeuvre privée, cet acte quitte le cadre de la loi pour chevaucher sur le droit de propriété qui est, d'ailleurs, garanti par la loi. « Comment faire s'affronter deux lois », s'interroge la juriste qui ajoute : « On n'arrivera jamais à construire l'Haïti désirée si tout ne se fait pas sur la base de la loi. »
Le séisme du 12 janvier doit servir à tous les Haïtiens de challenge afin de changer le statu quo, selon elle. Mais seule la loi doit servir de boussole aux actions qui se font dans le cadre de cette reconstruction, qu'elles proviennent de l'Etat ou des citoyens.
En déclarant d'utilité publique les propriétés privées, l'Etat ne doit susciter aucune suspicion dans l'esprit des citoyens. Mais dans le cas de cet arrêté, ces derniers ne peuvent ne pas se sentir lésés, car ils verront leurs propres biens, acquis au prix de grands sacrifices, devenir la propriété d'autres personnes.

Zoner pour changer

Il eut été préférable que les autorités déclarent leur intention de zoner le centre-ville, souligne Me Sibylle Théard Mevs. « Si on faisait le zonage du centre-ville, j'abandonnerais, sans broncher, mes activités actuelles pour me lancer dans d'autres investissements, car il ne nous manque pas de ressources », dit Samir Handal.
Les 15 jours impartis aux propriétaires du centre-ville pour déposer leurs titres de propriété sont déjà expirés, mais la Direction générale des Impôts (DGI) continue néanmoins de recevoir ces pièces dans un bureau aménagé à cet effet. 900 titres ont ainsi déjà été déposés, selon les autorités de cette institution d'Etat qui ne fixent encore aucune date pour la fin de ce processus.
Bien avant le séisme du 12 janvier, les membres du secteur privé s'attendaient déjà à un projet de zonage du centre-ville. Malheureusement, ils ont vu tout changer avec cet arrêté présidentiel qui veut que les terres rentrent dans le domaine de l'Etat avant que le projet soit présenté. « La loi prévoit qu'en cas d'échec d'un projet qui a entraîné une expropriation par l'Etat, le domaine doit être restitué à son propriétaire. Que va-t-on faire pour les gens dont les bâtiments auront été détruits ? », s'interroge Me Sibylle Mevs.
Concernant les maisons déjà détruites par le Centre national des équipements (CNE) au lendemain du 12 janvier, la commission responsable de l'implantation de ce projet décline toute responsabilité. « Seuls les propriétaires des bâtiments détruits par la firme engagée par cette commission seront dédommagés », prévient le ministre de l'Economie et des Finances, Ronald Beaudin.
La décision de déclarer les propriétés situées entre la rue des Césars au nord, la rue Saint-Honoré au sud, la rue Capois à l'est et le Golfe de la Gonâve soulève d'autres questions : « L'Etat projette de dédommager les propriétaires des maisons et des terres concernés, que va-t-il leur dire pour le transport du matériel lourd et sa relocalisation », s'inquiète un autre entrepreneur.
Entre-temps, les bulldozers aplanissent les terrains en accord avec certains propriétaires, en attendant que la Fondation du Prince Charles produise un plan pour savoir véritablement à quoi s'en tenir.


Lima Soirélus
lsoirelus@lenouvelliste.com

Commentaire
Nous avons dit qu'Haïti, malgré la destruction naturelle dont les conséquences nous ont conduits où nous en sommes aujourd'hui, le pays pourrait profiter du malheur et de la somme des énergies mobilisées à l’occasion (nationalement et internationalement) pour se reconstruire. Cependant si le gouvernement, cet empêcheur perpétuel de tourner en rond, ne prend pas les choses au sérieux, s'il ne cherche pas la coopération des citoyens par un traitement respectueux, conforme aux lois de ce pays, loin d'aider à construire, sera responsable de la destruction de toute possibilité de relèvement. Et cette fois, ce serait l'autre bout de l'enfer, car le premier bout, nous l'avons déjà rien que par le type de gouvernement inefficient dont nous pâtisson depuis si longtemps.

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