« On n'avait pas besoin de ça ». Celui qui lâche ces mots est le plus éminent spécialiste des diarrhées infectieuses en Haïti. Il a fait ses armes à l'Hôpital de l'Université d'Etat d'Haïti (HUEH) il y a plus de trente ans de cela. A l'époque, les nourrissons et les enfants mouraient de la diarrhée comme des mouches. William Pape avait mis en place un protocole, systématisé l'usage du sérum oral pour aider à sauver des dizaines de milliers de vies à travers le pays. Signe de son succès, le service, devenu inutile, est fermé faute de malades quelques années plus tard. Une belle victoire. C'était en soignant les diarrhéiques que des collègues lui référaient des adultes atteints de cette pathologie. Sans le savoir, le docteur Pape ouvre le premier centre d'études et de traitement des patients atteints du sida. Voilà que la diarrhée le rattrape avec cette vague de cas de choléra qui frappe le pays. Revenu dimanche d'une visite dans l'Artibonite, il s'est confié au Nouvelliste.
« Peu à peu, la situation est sous contrôle dans le Nord, mais la bataille sera de longue haleine », avoue d'entrée de jeu le Dr Pape. Au moment où il visitait l'Artibonite dimanche, l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS), de concert avec les autorités haïtiennes, dénombrait 253 décès notifiés et 3 015 cas confirmés. Des tests étaient effectués sur des cas suspects dans les départements du Nord et du Sud et cinq cas étaient confirmés à Port-au-Prince.
Haïti: Tout est dans l'eau, insiste le Dr William Pape. « Il va nous falloir changer toute notre politique de l'accès à l'eau. Changer nos habitudes d'hygiène aussi, car le choléra quand il entre dans un pays, il n'en sort pas de sitôt », prévient le spécialiste.
« Il nous faudra aussi apprendre à neutraliser les matières fécales avec du chlore, par exemple, pour tuer le microbe et l'empêcher de se propager. Il est urgent que soit définie toute une politique d'évacuation des selles qui sont les principaux vecteurs de maladie », insiste celui qui sait combien est virulente la bactérie, le Vibrio cholerae, qui cause le choléra.
« Il va falloir que les règles de vie de la population changent drastiquement. Le choléra on peut l'éviter, mais il faut prendre des précautions élémentaires », ajoute celui qui connaît la valeur et la lourdeur des programmes de sensibilisation pour avoir passé les dernières décennies dans la lutte contre la propagation du sida.
« Je suis très inquiet: on n'avait vraiment pas besoin de cette maladie. J'ai peur pour les bidonvilles qui sont à Port-au-Prince. Un peu moins pour les camps où de l'eau de qualité est fournie à la population et où des cabinets d'aisance sont disponibles et nettoyés. »
Les toilettes ne sont pas en nombre suffisant à travers le pays et, plus grave encore, la majorité des fosses sont à fond perdu et les fosses septiques rarement étanches. Cet état de fait les met en position de contaminer la nappe phréatique où l'eau de boisson est puisée dans de nombreuses régions du pays. Si l'on y ajoute la mobilité de la population des régions atteintes par le choléra qui, par peur ou par besoin, va se réfugier dans des zones saines, on peut craindre le pire.
Car selon le Dr Pape, « le problème avec le cholera c'est que pour un patient qui présente les symptômes et qui va à la selle de manière visible, il y a dix porteurs asymptomatiques qui ne présentent aucun signe, mais propagent le microbe dans leurs défections ».
Interrogé sur l'origine probable de la maladie, le Dr William Pape est catégorique : « Ce choléra nous vient d'ailleurs. Il a été importé en Haïti par un porteur malade qui l'a disséminé ici. Et cela va prendre du temps pour nous en défaire. »
Selon les statistiques de l'OMS, « rien qu'en 2008, 56 pays ont notifié 190 130 cas, dont 5 143 mortels. Mais de nombreux cas ne sont pas recensés à cause des limitations des systèmes de surveillance et de la crainte de sanctions limitant les voyages et les échanges commerciaux. On estime que le bilan véritable de la maladie se chiffre à 3-5 millions de cas et 100 000-120 000 décès par an. »
Pour le moment, le Dr Pape et son équipe se sont remis à faire ce qu'ils savent faire le mieux : soigner les malades et former des équipes pour prodiguer les soins aux malades dans les meilleures conditions.
« J'ai déjà mis sur pied trois centres de traitement au centre Geskio au Bicentenaire, à l'hôpital de Tabarre et un dernier au camp que nous gérons depuis le séisme. Nous avons aussi commencé avec la formation du personnel médical dans deux centres de formation. »
En attendant, de nombreux compatriotes craignent de rester enfermés dans un pays en proie à une nouvelle maladie endémique.
Bien que, toujours selon l'Organisation Mondiale de la Santé, « de nos jours, aucun pays n'exige plus de certificat de vaccination anticholérique pour autoriser l'entrée sur son territoire. Dans le passé, l'expérience a montré que les mesures de quarantaine et les embargos pour empêcher la circulation des personnes et des marchandises étaient inutiles. On a associé des cas isolés de choléra en relation avec des aliments importés en possession de voyageurs individuels. Par conséquent, il n'est pas justifié de restreindre les importations d'aliments produits dans le respect des bonnes pratiques de fabrication, au seul prétexte que le choléra est épidémique ou endémique dans un pays.
Il est conseillé aux pays limitrophes des régions affectées par le choléra de renforcer la surveillance de la maladie; la préparation nationale pour détecter rapidement d'éventuelles flambées; et intervenir si jamais la maladie devait traverser leurs frontières. En outre, il faut donner aux voyageurs et aux communautés des informations sur les risques potentiels, sur les symptômes du choléra, ainsi que sur les précautions pour l'éviter, et leur indiquer quand et où notifier les cas » de contamination réels ou supposés.
Frantz Duval
duval@lenouvelliste.com
http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=85010&PubDate=2010-10-25
Commentaire
Ce spécialiste dont la réputation est déjà établie, a prouvé de mille manières qu'il sait de quoi il parle. Ses preuves il les a faites en Haïti, en France, aux Etats-Unis et ailleurs. Actuellement, son groupe GHESKIO apporte une aide précieuse dans la détection du sida et des infections opportunistes en Haïti. Grand prix Christophe et Rodolphe Mérieux 2010 de France, cet éminent chercheur et praticien peut aider comme il a réussi, plusieurs décades auparavant à éradiquer la diarrhée dans le pays. Le problème, c'est que l'environnement n'est plus le même et les camps, l'absence de système de distribution d'eau potable, l’absence de stabilité au sein de la société et bien d'autres désagréments encore lui rendront certainement la tache très compliquée.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire